Summer of 84 : le rejeton sinistre de Stranger Things

par | 16 janvier 2019

Surfant sur la vague de nostalgie pour les 80s, Summer of 84, où quatre ados affrontent un serial-killer, ploie sous les références et pâtit de choix douteux.

On a pas fini d’entendre parler des années 80, et plus précisément de la mythologie associée au cinéma américain de cette emblématique époque. De l’adaptation de Ça (et sa suite qui arrive dans quelques mois) à Ready Player One, de JJ Abrams à Stranger Things, la décennie reaganienne qui a vu émerger comme autant de marqueurs pop Amblin, John Carpenter, les coupes mulet et deux flics à Miami continuent de fasciner les artistes et créateurs de tous horizons. Avec Summer of 84, c’est le trio RKSS (pour Roadkill Superstars) composé de François Simar, Anouk et Yoann-Karl Whissell qui se frotte à cet exercice de nostalgie déférente, en profitant de notre adoration proustienne pour les ambiances, les couleurs et la technologie analogique typiques de cette période.

Mon voisin le serial-killer

Le collectif canadien avait déjà montré une affection débordante pour les eighties grâce au truculent Turbo Kid, mash-up de Mad Max, Evil Dead, de hentaï et de BMX filmé avec les moyens du bord dans une carrière abandonnée. Après ce festival goresque et clownesque à prendre au dixième degré, Summer of 84 apparaît en quelque sorte comme le projet de la maturité. Même s’il est impossible de ne pas penser à Stranger Things en découvrant le film, les trois cinéastes semblent plus lorgner du côté de l’influence fondatrice de la série Netflix, à savoir l’œuvre de Stephen King et les romans Ça et Le corps. Basiquement, Summer of 84 ressemble à une version lo-fi de Stand by me qui aurait repiqué à Hitchcock le pitch de Fenêtre sur cour. « Les trucs les plus fous arrivent souvent dans les petites banlieues », nous lance Davey (Graham Verchere), un ado livrant du courrier à vélo en ce bel été 1984. Et quand il parle de banlieues, ce n’est pas de ghettos californiens qu’il s’agit, mais des impasses résidentielles d’une petite bourgade de l’Oregon. Une banlieue typique des USA – même si le film a été tourné à Vancouver et ses alentours – dans laquelle, si l’on en croit l’imagination fertile du garçon, passionné de complots, vit un tueur de série : son voisin d’en face, le flic célibataire Mackey (Rich Sommer, Mad Men). Persuadé d’avoir aperçu l’un des garçons disparus dont parlent les infos chez lui, Davey décide de l’espionner avec l’aide de ses trois meilleurs potes Woody (Caleb Emery), Eats (Judah Lewis) et Farraday (Cory Gruter-Andrew). Le quatuor accumule les indices, tandis que contre toute attente, Davey noue une relation romantique avec son ancienne baby-sitter et voisine, Nikki (Tiera Skovbye, Neverdale)…

Darker things

Quatre gamins à vélo, une période révolue et iconique, une aventure pleine de danger façon Les goonies Summer of 84 sait pertinemment quel univers il aborde dès ses premières images. Le duo électro Le Matos rempile après Turbo Kid pour livrer une BO synth wave en adéquation avec ce décor de banlieue familier, ce cul-de-sac plein d’innocence et de « secrets cachés derrière les rideaux » qui était justement au cœur du méconnu Les Banlieusards avec Tom Hanks. Dans ce film de Joe Dante, les soupçons se portaient également sur un voisin un peu trop creepy pour être honnête, un mouton noir qui viendrait ternir un paysage idyllique fait de barbecues et de maisons cossues. Mais le trio RKSS n’est guère animé par une ambition aussi satirique ici. L’œil rivé sur l’héritage du club des Losers au centre de Ça (dont l’action se déroulait aussi durant l’été), Summer of 84 déroule une enquête plan-plan principalement portée par son quatuor d’attachants jeunes acteurs, qui héritent de personnages mal dégrossis (toutes les tentatives d’approfondir leur background familial, par exemple, tournent court) et tentent à tout prix de « sonner vrai » en multipliant les insanités et les références à la pop culture de cette année-là. Les réalisateurs s’amusent particulièrement à glisser des citations visuelles, textuelles ou méta à Karaté Kid, Gremlins, The Thing, Les griffes de la nuit ou bien sûr Star Wars, ce qui fait toujours sourire, mais rarement avancer l’action.

Même s’il dure moins de deux heures, Summer of 84 tire ainsi en longueur, étirant la promesse d’une aventure estivale au moyen de sous-intrigues (la girl next door Nikki, jamais vraiment crédible) et de situations répétitives, qui donnent l’impression que les comédiens ont été laissés à eux-mêmes pour transformer une suite de saynètes en chronique automatiquement culte de l’adolescence. Ce qui handicape le plus le film reste l’absence de surprises du script, tout du moins jusqu’au dernier acte, qui entreprend un virage tonal à 180° ayant au moins le mérite d’être imprévisible. Sentant sans doute que le périple de Davey et ses amis n’aboutissait pas à un résultat mémorable, les réalisateurs durcissent le ton sans prévenir et font basculer Summer of 84 dans un autre genre. Le résultat sert peut-être de rappel à l’ordre au spectateur, pour souligner que derrière leurs apparences de parenthèse idyllique fantasmée, les années 80 n’étaient en fait tout aussi cruelles que notre époque contemporaine. Peut-être. Mais cet épilogue ressemble surtout à la note d’intention d’un autre film, éloigné dans son discours et ses codes de tout ce qui a précédé. Comme si RKSS avait tenté un mash-up tardif façon Turbo Kid, sans parvenir à rendre le mélange aussi cohérent et organique. Dommage.