Nous ne vous apprendrons rien en affirmant que l’organisation de festivals fait beaucoup pour la diffusion et la reconnaissance de cinématographies « exotiques » quasiment absentes des multiplexes, voire même parfois des multiplexes. À l’Étrange Festival, comme ailleurs, le méconnu devient la norme, surtout lorsqu’il s’agit de films de genre : s’ils ne viennent pas de Hollywood ou de chez Luc Besson, aucune échappatoire n’existe à part le DTV. On imagine pas une seule seconde les trois films qui suivent trouver le chemin de salles obscures françaises. Raison de plus pour les évoquer avant qu’elles n’alimentent les pages de notre rubrique « Pas vu au ciné ».

(MAJ : ça n’est désormais plus le cas pour Big Bad Wolves, qui sort finalement en salles le 2 juillet. Une décision inattendue mais qui fait plutôt plaisir)

Voici donc une série de chroniques dédiées à des films venant de contrées aussi diverses que la Corée du Sud, l’Autriche et Israël : entre polar musclé, film de monstres et horreur tapissée d’humour noir, elles montrent chacune à leurs manières que le genre n’a définitivement pas de frontières.

Big Bad Wolves : les loups entre eux

Brèves de l’Étrange 3 : Confession of Murder, The Station, Big Bad Wolves

De la rencontre entre un professeur de cinéma et son turbulent élève est né Rabies, premier exemple de slasher venu d’Israël, et premier film prometteur pour un duo pas comme les autres. Avec Big Bad Wolves, Navot Papushado et Aharon Keshales voulaient transformer l’essai et s’affirmer non pas comme des exceptions culturelles dans un pays où la notion même de film de genre était inexistante, mais comme des cinéastes ayant de l’ambition à revendre. Cette progression artistique éclate au visage dès un splendide générique d’ouverture, mosaïque de travellings amples et soignés, transportant immédiatement le spectateur dans un univers de conte cruel contemporain, au son d’une bande-originale entêtante et mélancolique signée Haim Frank Ilfman, qui évoque plus d’une fois Danny Elfman.

[quote_left] »Le déséquilibre tonal est d’autant plus agaçant que le scénario, sans être révolutionnaire, ménage une vraie tension. » [/quote_left]Les cinéastes ne cachent pas s’être inspirés à la fois du style sud-coréen (I saw the devil est cité littéralement lors d’une scène nocturne dans une serre) et bien sûr des contes des frères Grimm. Comme le titre l’indique, il n’y a non pas un mais trois dangereux prédateurs au centre de Big Bad Wolves : le suspect principal dans une affaire de meurtres d’enfants en série, le père d’une des victimes, décidé à se faire justice, et un policier devenu vigilante opérant dans l’illégalité après une bavure de trop. Il ne faut pas longtemps, quelques scènes d’exposition anodines, pour que les trois protagonistes se retrouvent ensemble dans une cave isolée, le premier à la merci des deux autres. Nous aurions pu se retrouver dans un ersatz des Sept jours du talion ou un sous-Saw, mais le duo Papushado/Keshales préfère de loin cultiver un certain art de l’iconoclasme. On retrouve, comme dans Rabies, les saillies acerbes qui moquent les travers de leurs compatriotes (la xénophobie anti-palestienne, avec ce personnage de Palestinien qui apparaît à plusieurs reprises comme la voix de la raison), cet inversement des valeurs établies (la police est vue comme au mieux inefficace, au pire réac’) et un refus forcené des résolutions faciles.

Dans le genre, Big Bad Wolves va très loin – le dénouement est désespéré au possible -, ce qui est d’autant plus inattendu que le film, particulièrement soigné et captivant malgré son apparence de torture porn, ne cesse de louvoyer entre premier et second degré. Les gags tarantinesques fusent, un peu trop systématiques, et un peu trop soulignés au vu du contexte extrêmement sensible de l’histoire (la description du calvaire vécu par les victimes du tueur est glaçante). Ce déséquilibre tonal est d’autant plus agaçant que le scénario, sans être révolutionnaire, ménage une vraie tension. Imparfait, maladroit dans son mélange des genres, Big Bad Wolves laisse pourtant augurer de belles choses pour ses imaginatifs géniteurs.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Big Bad Wolves
De Navot Papushado et Aharon Keshales

Israël / 2013 / 110 minutes
Avec Lio Ashkenazi, Guy Adler, Dvir Benedek
Sortie le 2 juillet 2014
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Confession of Murder : invraisemblable vérité

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Nous souhaitons bonne chance aux scénaristes hollywoodiens qui souhaiteraient adapter en l’état l’un des derniers cartons du polar sud-coréen, Confession of Murder. Ce thriller dans la tradition des The Chaser, No Mercy et autres Public Enemy s’appuie en effet sur une notion juridique propre au pays du Matin Calme : la prescription qui s’applique aux meurtres ayant eu lieu depuis plus de 15 ans. Un aspect de la loi qui profite à un tueur en série qui a toujours échappé à la police, et qui devient d’un coup le chouchou des médias en publiant une autobiographie où il confesse ses crimes. Tout ce tintamarre n’est pas du goût du détective Choi, qui a échoué depuis toutes ces années à l’attraper. Prescription ou pas, il va coffrer ce play-boy serial-killer et se racheter une rédemption.

[quote_left] »Confession of Murder débute sur une vertigineuse course-poursuite sous la pluie rappelant Seven. »[/quote_left]Tirer à boulets rouges sur la fascination morbide des Coréens pour la télé-réalité (après tout, on parle d’un pays où on met en compétition des femmes qui veulent recourir à la chirurgie esthétique ou perdre du poids), tout en emballant un film d’action badass comme ils en ont le secret, telle est l’ambition de départ de ce Confession of Murder qui débute sur une vertigineuse course-poursuite sous la pluie rappelant Seven (ainsi qu’un de ses plus fameux rip-off, Résurrection avec Totof Lambert). Un point de départ tonitruant qui constitue toutefois le meilleur moment d’un thriller trop alambiqué pour son propre bien. Au classique jeu du chat et de la souris s’ajoute ainsi un « gang » incongru composé de familles de victimes (dont l’une est, allez savoir pourquoi, une pro de l’arbalète), un trio de journalistes télé ridiculisés en permanence, des flash-back liés au passé tragique de Choi… Un empilement d’intrigues qui dilue progressivement l’intérêt du film, traité sur un ton très second degré qui tranche avec la noirceur générale du sujet. Avec un peu de jugeote, vu l’âge du tueur proclamé, il est d’ailleurs possible de deviner dans quelle direction ira le dernier acte, construit autour d’un interminable show télévisé durant lequel les effets de manche dramatiques et les twists surjoués s’enchaîneront. Confession of Murder devient alors aussi invraisemblable que bancal, perdant définitivement le crédit acquis durant sa fulgurante ouverture.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Troissurcinq

Confession of Murder de Byeong-Gil Jeong
USA / 2013 / 130 minutes
Corée du Sud / 2012 / 120 minutes
Avec Jae-Yeong Jeong, Park Shi-Hoo, Jo Eun-Ji
Sortie le 19 février 2014 en DVD et Blu-Ray
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The Station : le glacier mutant

Brèves de l’Étrange 3 : Confession of Murder, The Station, Big Bad Wolves

Nous le savons depuis Rammbock (retitré chez nous Berlin Undead), moyen-métrage réalisé avec un tout petit budget, l’Autrichien Marvin Kren connaît ses classiques. Fanboy débrouillard, le réalisateur est passé à la vitesse supérieure avec The Station, filmé dans les paysages à couper le souffle du Tyrol italien. Après les zombies berlinois, c’est The Thing qui sert d’inspiration à cette série B en haute altitude. L’action est concentrée dans une minuscule station météorologique, peuplée par une poignée de scientifiques qui découvrent un jour un phénomène inédit et inquiétant : le glacier tout proche laisse ressortir un liquide rouge, qui s’écoule dans la montagne tout en faisant muter la faune environnante. Il va sans dire que ce caprice de Mère Nature n’est pas sans danger pour les humains qui vivent tout près…

[quote_right] »The Station filme les paysages à couper le souffle du Tyrol italien. »[/quote_right]Tout comme L’Exorciste projette une ombre imposante sur quiconque s’essaie au film de possession, Marvin Kren ne peut s’extraire de celle du classique de Carpenter. Même héros barbu taciturne à la McReady (accompagné qui plus est d’un chien fidèle), même aberrations de la nature assiégeant un coin enneigé du monde, même menace cellulaire pouvant potentiellement contaminer la planète… Il ne manquerait plus que les personnages procèdent à un test sanguin de sécurité pour crier définitivement au plagiat. À ce parfum tenace de déjà-vu s’ajoute des effets spéciaux qui se veulent artisanaux (no CGI, à part quelques plans), ce qui est loin d’être condamnable, mais qui sont particulièrement mal mis en valeur par un montage haché privilégiant la shakycam et les plans serrés. Résultat, malgré des décors naturels impressionnants et bien exploités, le film verse bientôt plus dans le nanar un peu bis à la Ptérodactyles que dans le film d’épouvante paranoïaque, ses monstres, déjà peu présents, perdant dès de leur majesté (le bouquetin mutant avait pourtant fort belle allure). Point culminant de ce rendez-vous manqué : une adoption express et particulièrement malhabile, qui aura déclenché non pas l’émotion attendue mais l’hilarité durant la projection.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Deuxsurcinq

The Station (Blutgletscher)
De Marvin Kren

Autriche / 2013 / 90 minutes
Avec Gerhard Liebmann, Edita Malovic, Brigitte Kren
Sortie prochainement
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