Byzantium : entretien avec des vampirettes
Pendant féministe d’Entretien avec un vampire, du même Neil Jordan, Byzantium apporte une sensibilité captivante au mythe, déployé cette fois sur les côtes anglaises.
Sur le papier, les comparaisons que l’on peut tracer entre le film le plus connu de Neil Jordan, Entretien avec un vampire, et Byzantium, sorti en vidéo en 2012, sont légion : les deux long-métrages sont des histoires de suceurs de sang, qui s’étendent sur plusieurs siècles, et les deux mettent en avant des personnages de jeune adolescente prisonnières pour l’éternité de leur fragile apparence, et en conflit avec une figure autoritaire de jouisseur impénitent. Les deux récits ont été écrits par une femme, Anne Rice dans le premier cas, Moira Buffini (Tamara Drewe) dans le second. Après vision du film, il est évident que le cinéaste irlandais est retourné au genre en connaissance de cause : Byzantium porte à 100 % sa marque, et sans révolutionner le mythe, y apporte une vision mystique qui fait plaisir à voir.
Le prix de l’immortalité
Eleanor (Saoirse Ronan) et Clara (Gemma Aterton) sont deux mystérieuses et pauvres jeunes femmes, qui se font passer pour des sœurs. Ce sont, en réalité, des vampires plusieurs fois centenaires, constamment en fuite car Clara, la magnifique prostituée, ne peut s’empêcher de tuer pour s’abreuver de sang, alors qu’Eleanor préfère se « nourrir » sur de vieilles personnes au seuil de la mort, et qui ont accepté leur sort. Clara, qui est en fait la mère d’Eleanor, doit bientôt quitter leur ville d’accueil pour fuir vers la côte anglaise, loin de ceux qui les poursuivent. Sur place, dans l’hôtel abandonné Byzantium, des souvenirs ressurgissent, réminiscences d’un lointain passé qu’Eleanor n’en peut plus de cacher. Elle, l’éternelle étudiante, rencontre un camarade de classe, Frank (Caleb Landry Jones), qui souhaite connaître son secret…
L’un des ajouts majeurs apportés par Neil Jordan au script de Buffini, à l’origine une pièce de théâtre pour ados, concernent sa mythologie vampirique. Byzantium se situe loin des clichés repris par le monde des séries télé et les Twilight (que le réalisateur avoue détester) : ici, pas de vitesse supersonique, de peur du soleil ou de crocs acérés. Clara et Eleanor n’ont comme seul pouvoir que l’immortalité – et l’ongle du pouce qui s’allonge lorsqu’elles sont sur le point de se sustenter. Une immortalité gagnée aux dépens et au mépris des hommes, au fil d’une histoire que Byzantium déroule en parallèle de son récit moderne. Cette intrigue à deux vitesses, parfaitement maîtrisée par un metteur en scène à l’aise dans les récits d’époque, est l’une de ses principales qualités. Le film s’ouvre sur une séquence nocturne agitée et très gore avant d’agiter les drapeaux du « film réaliste et naturaliste » quand nos deux héroïnes partent au bord de la mer, dans une sorte d’Atlantic City désertée, entre parcs d’attractions servant de lieux de prostitution et jetées détruites par le feu.
Les deux femmes et la mer
Le contraste avec le XIXe siècle, où se révèlent les secrets et les blessures, ainsi que l’origine de l’immortalité de ce couple mère-fille, est stylistiquement saisissant. Baignant dans la brume, la saleté qui contamine le visage de Johnny Lee Miller (marquant dans un rôle de capitaine /maquereau odieux et égoïste), mais aussi dans un parfum de conte gothique, les séquences issues du passé donnent une ampleur bienvenue à un récit qui peine, dans sa partie contemporaine, à créer des personnages secondaires aussi intéressants. Caleb Landry Jones, habitué des gesticulations appuyées et souffreteuses, est particulièrement irritant dans le rôle de Frank.
Cela permet en tout cas aux deux actrices principales de briller comme rarement. Saoirse Ronan s’avère lumineuse dans un rôle plus introspectif – à elle les cours accélérés de piano pour jouer du Beethoven comme si elle en avait fait pendant 200 ans. Gemma Arterton, jamais aussi intéressante que lorsqu’elle tourne « à domicile », est réjouissante dans une composition qui irrigue Byzantium d’une agressive sexualité et d’une sauvagerie inattendue. Jordan a-t-il craqué pour le parfait minois de la jeune anglaise ? Il suffit d’assister à sa lap-dance introductive et de compter ses décolletés pigeonnants pour croire instantanément à son rôle de séductrice fatale, enjôlant les hommes avec de douces mélopées. Une sorte de Lestat en porte-jarretelles, forcée de couver pendant des décennies sa « petite » fille parce qu’elle a voulu tenir tête à une gent masculine, voyant d’un mauvais œil l’apparition de vampirettes dans leur perfide Albion.
Une odyssée terrible et émouvante
C’est de ce contraste entre deux personnages en apparence si proches (d’où leur choix de se faire passer pour sœurs), que se nourrit Byzantium. Jordan l’illustre avec la vista tranquille d’un vieux maître, bien aidé par les trouvailles inspirées de son directeur photo, Sean Bobbitt (The Place beyond the pines). Les échos avec la carrière du cinéaste, outre Entretien avec un vampire, sont aussi nombreuses que surprenantes, du manteau très « chaperon rouge » d’Eleanor (hello La compagnie des loups) au principe d’irruption du fantastique dans un cadre provincial terre-à-terre, repris d’Ondine. Surtout, Byzantium poursuit cette obsession, typique dans sa filmographie, du jeu sur le récit et le point de vue. Eleanor est en effet une narratrice à mi-temps, qui propulse le film dans le passé par la force d’une parole que son entourage considère avant tout comme une fiction.
« Byzantium poursuit cette obsession,
typique dans la filmographie de Neil Jordan,
du jeu sur le récit et le point de vue.»
L’un des ajouts majeurs apportés par Neil Jordan au script de Buffini, à l’origine une pièce de théâtre pour ados, concernent sa mythologie vampirique. Byzantium se situe loin des clichés repris par le monde des séries télé et les Twilight (que le réalisateur avoue détester) : ici, pas de vitesse supersonique, de peur du soleil ou de crocs acérés. Clara et Eleanor n’ont comme seul pouvoir que l’immortalité – et l’ongle du pouce qui s’allonge lorsqu’elles sont sur le point de se sustenter. Une immortalité gagnée aux dépens et au mépris des hommes, au fil d’une histoire que Byzantium déroule en parallèle de son récit moderne. Cette intrigue à deux vitesses, parfaitement maîtrisée par un metteur en scène à l’aise dans les récits d’époque, est l’une de ses principales qualités. Le film s’ouvre sur une séquence nocturne agitée et très gore avant d’agiter les drapeaux du « film réaliste et naturaliste » quand nos deux héroïnes partent au bord de la mer, dans une sorte d’Atlantic City désertée, entre parcs d’attractions servant de lieux de prostitution et jetées détruites par le feu.