Cold in July : justice vintage

par | 14 juin 2024 | Rétroaction

Cold in July : justice vintage

Thriller rétro et stylisé, Cold in July peut se reposer sur un trio d’acteurs charismatique pour compenser ses jouissifs mais brusques changements de ton.

Après avoir incarné pendant huit saisons le serial killer le plus chanceux de Floride (100 morts, aucune garde à vue, chapeau), Michael C. Hall a cherché des rôles basés sur d’autres réflexes de jeu, pour le sortir d’une certaine routine dans laquelle le show de FX l’avait enfermé. Et en 2014, Hall trouve chaussure à son pied avec Cold In July, réalisé par Jim Mickle. Le cinéaste, ancien technicien éclairagiste devenu metteur en scène par la force de sa débrouillardise, s’est alors fait remarquer en trois films – Mulberry Street, Stake Land et le remake We are what we are – comme un talent à suivre, de plus en plus ambitieux à chaque proposition. Mickle s’est une nouvelle fois associé à Nick Damici, acteur et scénariste fidèle, pour adapter le roman de Joe Landsdale, prolifique auteur célèbre chez les amateurs de fantastique pour avoir notamment inspiré le Bubba Ho-Tep de Don Coscarelli. Cold in July est ce qu’on pourrait appeler une pulp fiction à l’ancienne, dont l’originalité ne se situe pas dans la nature de ses ingrédients, tous très classiques, mais dans la manière dont ils sont agencés. Le résultat est un thriller gigogne surprenant, le film le plus abouti de Mickle.

Un inconnu dans la nuit

Cold in July : justice vintage

Texas, 1989. Richard Dane (Michael C. Hall, affublé d’une moustache de champion et d’une incroyable et très vintage coupe mulet) exerce la profession d’encadreur dans une petite ville, et mène une vie bien rangée avec sa femme (Vinessa Shaw) et sa fille. Celle-ci bascule pourtant la nuit où un cambrioleur pénètre dans sa maison. Prenant son courage à deux mains, ou presque, Richard abat l’intrus sans trop le vouloir, mais d’un seul coup. Une balle dans l’œil, terminé. Devenu une sorte de héros dans sa bourgade, Richard veut malgré tout reprendre une vie normale, « nettoyer » dans tous les sens du terme les traces de cet incident. Mais tuer un homme n’est pas sans conséquence : bientôt, Richard se trouve confronté au père de sa victime, l’inquiétant Ben Russell (un patibulaire Sam Shepard), tout juste sorti de prison. La police fait tout pour protéger l’innocent père de famille, mais quelque chose cloche : la photo de l’avis de recherche du cambrioleur tué par Richard n’a rien à voir avec le visage de celui qu’il a tué…

« Le réalisateur rend hommage à Walter Hill et John Carpenter en optant pour des lumières crues ou bleutées, un Scope ravageur
et des cadres ciselés qui font mouche. »

À tous ceux qui n’auraient pas encore vu Cold in July : épargnez-vous les révélations dispensées par la bande-annonce. Car si l’on doit résumer le film sans en dire trop, disons qu’il renferme au moins deux histoires complètement différentes, avec des rythmes, des ambiances et même des choix musicaux pratiquement opposés. Ce renversement complet, s’il donne une bonne partie de son originalité au film, menace aussi de le déséquilibrer : le premier acte, sorte de remake accéléré des Nerfs à vif, laisse la place à une sorte d’enquête-vendetta où se mélangent corruption, complot d’État, vétérans de la guerre de Corée et mafia sudiste, avec une redistribution des cartes entre les différents personnages qui n’a parfois rien de cohérent. Cela n’empêche toutefois pas Cold in July d’être réjouissant.

Retour en première classe

Cold in July : justice vintage

Mickle marque d’une part des points par son assurance manifeste en terme de mise en scène : décidé à reprendre à la lettre les codes des années 80, il rend hommage au cinéma de Walter Hill et John Carpenter en optant pour des lumières crues ou bleutées, un Scope ravageur et des cadres ciselés qui font mouche, surtout dans la première partie. La musique de Jeff Grace, collaborateur régulier de Mickle, qu’il associe aux morceaux de Dynatron, artiste dans la lignée de Kavinsky et Lazerhawk, constitue une profession de foi manifeste, avec ses nappes de synthés entêtantes et ses pulsations inquiétantes approfondissant la psyché de ses héros durant certaines séquences.

Ce qui nous amène de manière tout à fait opportune à l’autre atout maître de Cold in July : Don Johnson, qui débarque dans l’intrigue à mi-parcours dans le rôle de Jim Bob (sic), et menace à chaque scène de rafler la vedette à l’ami Dexter, plus ou moins condamné à jouer en sourdine un homme refréné par ses émotions. À moitié détective privé, à moitié éleveur de cochons, habillé comme Bronco Billy et conduisant une décapotable ornée de la plaque « Red Bitch », Jim Bob est l’élément exubérant, mémorable et haut en couleur d’un polar par ailleurs noir comme la pluie, où sont travaillées les notions de sacrifice, de masculinité et de loi du Talion.

Retour en première classe

Cold in July : justice vintage

Un programme chargé que Cold in July exécute avec maîtrise, et un regard affûté pour les détails qui font mouche (le métier de Richard qui devient une métaphore de son état de pensée, le plan sur les toilettes évacuant ce sang que Richard souhaiterait effacer sa mémoire, qui fera écho à un autre où il remplit d’une balle une pièce de liquide rouge). Regrettable dans ces conditions que le film laisse sur sa route ensanglantée autant d’impasses narratives : omniprésent au départ, le shérif incarné par Nick Damici disparaît d’un coup sans raison. L’identité réelle de la victime de Richard n’est jamais vraiment affirmée. Et comment celle, secrète des véritables méchants de l’histoire peut-elle si facilement être révélée ? Surtout, quels sont les motifs qui poussent Richard à risquer sa vie, alors qu’il n’a plus aucune raison de s’impliquer dans l’histoire ?

Ces incohérences , associées à l’implacable constat de la prédominance progressive du personnage de Jim Bob handicapent malheureusement le dernier acte, par ailleurs brutal, de Cold in July, l’empêchant de devenir cette série B parfaite qu’elle aspire à être. Le film n’en reste pas moins plus que recommandable, ne serait-ce que pour les émotions contradictoires qu’il dégage, pour son solide trio d’acteurs principaux et son impressionnante réalisation, qui rappelle sur un mode plus redneck et malpoli le contemporain Drive de Winding Refn.