Il y a trois ans, Mark Wahlberg incarnait dans Fighter le boxeur prodigue d’une famille dysfonctionnelle, devant surmonter pour faire ses preuves le prédéterminisme de son quartier et de ses racines personnelles pour conquérir le titre. Le film se déroulait entre les quatre rues d’un bas quartier du Massachussetts, dépeint avec sensibilité par un David O’Russell en pleine résurrection après, notamment, la débâcle de son I love Huckabees. Le réalisateur des Rois du désert est resté sur la même ligne douce-amère avec Happiness Therapy, qui se déroule lui dans un quartier de la classe moyenne de Philadelphie. Le film s’attache au lent retour à la vie, et à la raison, de Pat Solatano, interné après avoir tabassé l’amant de sa femme, surpris en plein « exercice » dans la douche conjugale. Pat a des tendances bipolaires qui s’expriment par de brusques accès de colère, et qui n’épargnent pas ses parents, obligés de recueillir chez eux ce trentenaire ayant perdu femme et maison. Il finit par se trouver de nombreux points communs avec Tiffany, jeune veuve cherchant dans une nymphomanie désespérée un moyen d’évacuer la douleur. Ces deux-là sont abîmés par la vie, et le suspense va résider tout entier dans cette question : leur attirance mutuelle, évidente, va-t-elle pâtir de ces blessures psychologiques ?

Tordus mais pas trop

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Évacuons les idées reçues directement : Happiness Therapy n’est pas, comme on veut le vendre, « un sommet de comédie », ou en tout cas, ce n’est pas sa première raison d’être. Le film se résume effectivement à ce jeu de séduction tordu entre deux bras cassés, drogués par leurs psys au Xanax et au Lithium. Mais, pour une bonne part, il s’agit surtout de s’attarder sur leur côté inadapté social, caractérisé par exemple par leur mépris des convenances lors d’un repas à quatre mouvementé. Pat, en particulier, se montre obsessif, occasionnellement violent et délusoire, et ses relations avec ses parents, notamment son père, victime du syndrome du « fils préféré », sont au mieux tendues, au pire orageuses – un conflit qui culmine lors d’une scène glaçante de confrontation dans leur grenier. Son comportement décalé, s’il provoque le sourire, n’a intrinsèquement rien de drôle, tout comme la situation affective de Tiffany.

C’est sur ce postulat, qui en Angleterre aurait pu déboucher sur un drame social plombé par la pluie, que vient bientôt se plaquer un schéma, redouté et reconnaissable entre mille, de comédie romantique « à suspense », calibré pour apaiser le spectateur en fin de parcours. Dans Happiness Therapy, les mythomanes compulsifs comme Danny, un ami « d’hôpital » de Pat, sont gentils et ont le sens du groove, le grand frère pourri-gâté se fait pardonner en protégeant son frérot des hooligans, le meilleur ami castré par sa femme se rabiboche en deux coups de conseils tombés au coin du bon sens. Bref, les pires problèmes relationnels sont résolus en à peine deux heures, notamment ceux de Pat et Tiffany, ce qui est irréaliste et d’autant plus étonnant lorsqu’on sait que le fils du cinéaste serait atteint de troubles bipolaires.

La famille en or JACKI WEAVER and ROBERT DeNIRO star in SILVER LININGS PLAYBOOK

Malgré tout, Happiness Therapy parvient à faire mouche en esquivant, de manière assez maligne, les tropismes les plus embarrassants du genre. On passera sur l’utilisation d’un concours de danse en guise de climax émotionnel artificiel, ou sur la paresse d’écriture qui devient évidente dans ce dernier acte, lorsque les dialogues acérés et pour certains jubilatoires se transforment en tirades énamourées et éculées, qui semblent tout droit sorties d’un film avec Julia Roberts (ou Katherine Heigl, pour rester branché). O’Russell conserve ici la patte stylistique qui faisait tout le charme rugueux de son Fighter, avec une caméra à l’épaule omniprésente, des brusques travellings avant qui soulignent les chavirements émotionnels de ses héros, ou une gestion patiente et attentive d’une communauté de personnages aussi soudée que bancale. Qu’importe que tous les protagonistes de Happiness Therapy se retrouvent comme par miracle réunis dans la maison parentale au moment de la « grande explication » : la façon dont toutes les lignes narratives sont progressivement exposées, pour être finalement regroupées au sein d’une même unité de lieu et de temps, fait qu’on se sent alors proche de la fratrie Solatano, tout comme on s’attachait malgré leurs défauts aux Ward dans Fighter.

[quote_center] »Le suspense va résider tout entier dans cette question : leur attirance mutuelle, évidente, va-t-elle pâtir de ces blessures psychologiques ? »[/quote_center]

Il n’y a pas de secret : pour réussir ce coup avec un script finalement très calibré, il faut de bons comédiens. O’Russell a beau avoir une réputation difficile, devant sa caméra, on ne trouve aucune fausse note dans l’interprétation. Bradley Cooper, ayant ravi le rôle à… Mark Wahlberg, initialement pressenti pour remettre le couvert avec O’Russell, trouve là l’occasion de montrer des talents dramatiques encore peu mis en avant. Visage émacié et regard un peu trop brillant, il incarne un Pat sur le fil du rasoir, tantôt enfant égaré, tantôt lunatique inquiétant, sans jamais donner toutes les clés de son personnage facilement. Face à lui, Jennifer Lawrence montre après, entre autres Winter’s Bone et (ahem) Hunger Games, qu’elle sait décidément tout faire, avec classe et malice, dans un rôle pourtant plus ingrat et moins vraisemblable. La vraie surprise, outre le plaisir de revoir la grande actrice australienne Jackie Weaver (qui depuis Animal Kingdom ne risque plus d’être oubliée par les directeurs de casting hollywoodiens), c’est de retrouver Robert de Niro dans un vrai rôle de composition, celui de Pat Sr. Une sorte d’extension un peu moins psychopathe de son personnage du Fan (mais si, le film de Tony Scott !), qui serait devenu ce bookmaker superstitieux incapable de trouver les moyens de communiquer avec son fils. Loin de tout cabotinage, le grand Bob prouve qu’entre les mains d’un bon directeur d’acteurs et avec un rôle original, il peut encore étonner et mettre l’audience dans sa poche.

Avec ce carré d’as dans sa manche – ils ont d’ailleurs tous été nommés à l’Oscar, une première depuis le Reds de Warren Beatty -, pas étonnant qu’Happiness Therapy conserve malgré ses recette éprouvées un énorme capital sympathie. On a beau savoir où tout cela nous mène, on ressort contents d’avoir parcouru ce bout de chemin en compagnie de Pat & cie.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq
Happiness Therapy (Silver Linings Playbook)
De David O’Russell
2012 / USA / 122 minutes
Avec Bradley Cooper, Jennifer Lawrence, Robert de Niro
Sortie le 30 janvier 2013
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