C’est dans un Tour & Taxis plutôt déserté qu’a débuté la 6e journée du Bifff. La Belgique est en effet secouée par un fait divers tragique, qui a vu un chauffeur de bus décéder des suites d’une agression. Conséquence, les transports sont en grève, et le festival, un peu excentré, devient difficile à rallier. Cela n’a en tout cas pas empêché l’invité du jour, le boss de Troma Entertainment Lloyd Kaufman, de gratifier le Bifff de sa présence. Le jovial réalisateur-producteur-scénariste-acteur est venu des USA présenter à la fois sa dernière production, Father’s day, et une master-class sobrement intitulée « Make your own damn movie » (« Réalise toi-même ton bon sang de film », en français littéral).
Constituée principalement d’extraits de son dvd du même nom (dommage), la Masterclass de Kaufman a ouvert l’après-midi avec autant de verve que de roublardise. Aussi volubile et pro dans son discours qu’un vendeur de voitures, Kaufman est à l’image des milliers de films qu’il a engendré depuis plus de 35 ans : sincère, potache, décalé et absolument fasciné par le processus de fabrication d’un film, aussi fauché, con et inexportable soit-il. En grand défenseur du cinéma indépendant de chez indépendant (on parle de budgets « royaux » de 50 000 dollars dans le meilleur des cas), Kaufman a sabré comme il se doit les « élites » d’Hollywood, et leurs filiales estampillées « Sundance ». « C’est de la bouffe pour bébé », résume-t-il. « Ce qui est bien, parce qu’on peut vivre en ne mangeant que ça, mais cela rend aussi complètement idiot ». A bon entendeur…
L’appel des salles obscures s’est malgré tout fait sentir avec Mural, dernière réalisation en date de Gordon Chan (Painted Skin, Fist of Legend). Projeté finalement en 2D – la copie 3D initialement prévue n’a visiblement pas atteint Bruxelles – cette fable aux couleurs chatoyantes se déroule quasi-entièrement dans une sorte de Paradis terrestre uniquement habité par des femmes. Une sorte de royaume amazone, dans lequel pénètrent façon Narnia, c’est-à-dire en étant hypnotisé par la peinture murale d’un temple,trois hommes (un érudit, son servant et un guerrier), qui vont faire naître un sentiment interdit dans cette communauté sous cloche : l’amour. Dit comme ça, ça paraît niais, et le film est effectivement chargé en dialogues déclamés de manière très théâtrale sur le pouvoir de l’amour, la nécessité de craindre les hommes (car ils ne font que nous faire souffrir, snif), les notions de sacrifice, etc. Bref, malgré la beauté irréelle du casting et des compositions visuelles soignées, Mural ennuie un petit peu, avant de s’énerver enfin à partir du deuxième acte, quand le petit groupe de héros s’échappe du palais et s’en va affronter des monstres en CGI. Là, on comprend pourquoi le film est en relief. Le climax tente un renversement de perspective, en mettant en avant le personnage le plus intéressant du film, l’impitoyable reine du royaume, et en osant une première fin pessimiste. Las, Chan préfère opter pour une succession de happy ends sucrés jusqu’à l’overdose, ternissant un peu plus une production très bancale.
Là, le trailer :
3D toujours, cette fois au Japon, avec le Tormented de Takashi « The Grudge » Shimizu. Le réalisateur est déjà un habitué du format, puisqu’il avait livré en 2009 le toujours inédit Shock Labyrinth. Cinéaste roublard recyclant comme les frères Pang les mêmes motifs visuels et rythmiques depuis dix ans, Shimizu ose malgré tout une mise en abyme intéressante dans Tormented, autrement titré Rabbit Horror 3D. Comme ce nom l’indique, il y a effectivement un lapin (géant, et en peluche) qui pourchasse sans relâche un petit garçon et sa grande sœur, contaminant même les écrans de cinéma lorsque les deux s’en vont voir… Shock Labyrinth, ce qui permet au film de présenter deux séquences fascinantes de « 3D dans la 3D ». C’est aussi fou et barré que ça le paraît, et le recours à des éléments en CGI à ces moments précis permet aux effets 3D de fonctionner, une fois n’est pas coutume, à plein régime. Sinon, rien de bien neuf à l’horizon, Shimizu tentant de justifier de manière improbable (et involontairement drôle) la présence d’un gros lapin flippant, ainsi que le trauma de la sœur, muette depuis un accident tragique. Shimizu s’amuse avec le format (escaliers en spirales, gouttes d’eau et plumes en suspension, livre d’images en relief, tout y passe), tente un twist repris-d’un-film-célèbre-dont-on-ne-rappelera-pas-le-nom, mais échoue à se renouveler. Abouti techniquement, le film n’en est pas moins très oubliable.
Le trailer :
[tube]http://www.youtube.com/watch?v=TlZaJ5ZcOKI[/tube]
Changement complet et radical de style avec le british Eliminate Archie Cookson, de Robin Holder. Trois mois après La Taupe, voici un nouveau film d’espionnage à l’ancienne (il concourt dans la section thriller), dotée d’un humour à froid très particulier, et s’inspirant d’authentiques classiques du genre, d’Icpress danger immédiat, référence avouée du réalisateur, ou des Trois jours du condor, auquel il reprend presque séquence pour séquence le pitch initial. Comme dans tout bon film hitchcockien, le héros est un innocent flegmatique et attachant qui s’amourache de la mauvaise fille et est trahi par ceux qui le connaissent le mieux. Bien qu’il fasse d’une maîtrise certaine de son art pour son premier long, Holder a parfois du mal à donner le punch nécessaire à son histoire de petit employé des services secrets pourchassé par ses propres employeurs. La faute à une interprétation générale assez raide, à des traits d’humour trop forcés pour être honnêtes, mais aussi à un script trop elliptique (et parfois incohérent) pour être satisfaisant. Peut mieux faire.
Voici le trailer :
[tube]http://www.youtube.com/watch?v=6bPMDFsHnMc[/tube]
C’est un fait, le Bifff manquait encore en cette 6e journée d’un film véritablement furieux, gore et extrême. C’est quand même pour cela qu’il est connu au départ ! La mission « séance de minuit culte » a donc été confiée à la Team Troma, qui s’est déplacée avec un rejeton, Father’s Day. Passé une introduction filmée permettant au studio de souhaiter un bon anniversaire à une manifestation qui a été parmi les premières à le révéler dans les années 80, et une fausse pub réjouissante de mauvais goût, l’équipe du film (soit Jérémy Gillespie, l’un des membres du collectif Astron-6 qui co-signe l’oeuvre, Lloyd Kaufman et sa femme, ainsi que… la mascotte Toxic Avenger) est montée sur scène pour préparer – en chanson – le public à son dernier méfait. Et de fait, Father’s day répond à ses promesses de spectacle « autre » : tourné pour une misère (10 000 dollars), le film en paraît dix fois plus, accumulant avec une hystérie maîtrisée rappelant l’univers de Trey Parker et Matt Stone (autres protégés fameux de Troma) des scènes gore ou barrées, bâtissant un scénario complexe mais absurde autour de la figure du Fuchman (sic), un serial killer de papas ventrus qui aime arracher des pénis avec les dents et découper tout le monde en morceaux. Le vigilante borne Ahab (re-sic), spécialiste en sirop d’érable, va le poursuivre avec l’aide d’un prêtre jusqu’aux Enfers, quitte à devoir pour cela se suicider et forniquer avec sa sœur ! On ne va pas vous gâcher le plaisir de la découverte, Father’s Day est effectivement aussi cintré qu’on le pense, mais comme avec Hobo with a shotgun, le soin apporté à ce délire très grindhouse (la musique carpenterienne, les génériques de début et de fin, les créatures en latex, la photo, tout fait sens dans cet univers), la générosité du collectif Astron-6, qui se permet même d’interrompre son histoire pour inclure un faux trailer de nanar spatial, permet de passer outre les quelques défauts techniques attendus et l’aspect trop dispersé sur la fin de son histoire. Lloyd Kaufman n’est pas ici producteur pour rien : il y joue ici à la fois Dieu et le Diable. « L’aspect anti-religieux du scénario m’a beaucoup attiré », avouera-t-il après la projection. Pas étonnant !
Histoire de préserver les oreilles chastes, on se contentera de passer ici le fabuleux poster de ce nouveau classique éternel du 7e art.
A demain pour une sélection pleine de robots, de loups-garous et de tueurs masqués. Autant de raisons de se réjouir !