Une fois n’est pas coutume, les enfants ont dû se lever tôt durant un jour férié : en effet, le lundi de Pâques a commencé pour le Bifff par une projection très matinale du dessin animé familial Le Lorax 3D, diffusé à la fois en version doublée flamande puis française. Une parenthèse tout public dans un festival par ailleurs très « soft » pour l’instant, The Woman étant sans doute le seul titre vraiment hardcore découvert au Tour & Taxis, alors que le Bifff s’est pourtant faite une réputation de temple de l’extrême et de l’incroyable. Mais c’est en Asie qu’il fallait aller chercher les sensations du jour.

Et tiens, d’incroyable il en est question dans Mr & Mrs Incredible, oeuvre de Vincent Kok qui transpose les codes du film de super-héros dans une Chine médiévale-fantastique où on peut manger du popcorn dans des théâtres d’ombres chinoises. A la manière d’un Drunken Master 2, Mr & Mrs Incredible joue sur un pitch favorisant l’action et les effets spéciaux (ici, un couple de super-héros à la retraite se voit forcé de déjouer un complot dans le village où ils se sont retirés incognito) pour mettre en scène un vaudeville très rythmé, à l’humour grivois et très pince-sans-rire. Louis Koo est particulièrement à son aise en barbu affable pourtant doté d’une force surhumaine et d’un regard dévastateur à la Cyclope. Les nombreux anachronismes volontaires, l’abondance de gags visuels suprenants, telle une poursuite en scrolling horizontal au clair de lune, et la bonne humeur générale d’un film pas si « hénaurme » qu’il en a l’air en font un divertissement sympathique, même si non mémorable. A noter qu’une séquence de la bande-annonce incluant une carpe géante est ici étrangement absente du film.

Là, le trailer :

Parenthèse « occidentale » dans cette journée, The Whistleblower est cette fois un thriller politique tout ce qu’il y a de plus sérieux. Ce serait même le principal qu’on pourrait lui faire, tant le sérieux et la gravité du propos empêche quelque peu de vrais « moment de cinéma » de s’imprimer dans notre mémoire. Rachel Weisz ne démérite pourtant pas dans cette sordide histoire de trafic sexuel couvert et alimenté par des missionnaires de l’ONU, au sortir de la guerre en Bosnie. L’héroïne de The Constant Gardener joue un agent justement engagé par les Nations Unies pour garantir le retour à la paix, qui déterre et tente de rendre public cette prostitution esclavagiste à grande échelle. La réalisatrice Larysa Kondracki utilise consciencieusement les grandes ficelles du brulôt engagé (violons, discours final sentencieux, antagonistes caricaturaux et synthétisant tous les maux d’un pays pansant ses plaies) pour appuyer un propos qui n’en avait pourtant pas besoin. Ce qu’il aurait fallu pour faire de The Whistleblower une oeuvre marquante (elle est déjà informative, ce qui est important), c’est une vision d’artiste, un décalage personnel qui fasse sortir le film des rails routiniers dans lesquels il s’engage trop tôt. Dommage.

Le trailer :

Et vint le moment de découvrir Kotoko. Qu’on ne se méprenne pas, Shinya Tsukamoto est sans aucun doute un cinéaste important, qui a introduit nombre de spectateurs dans le monde à la mouvance cyberpunk et à un cinéma japonais underground synonyme d’expérimentations et de jamais vu. Seulement, Tetsuo a vingt ans, Tsukamoto tourne trop, et lorsqu’il se lance dans des délires abscons non maîtrisés comme Kotoko, le résultat a tendance à virer au désastre. On voit bien ce qui a pu intéresser le cinéaste dans cette étude de la folie tout entière soutenue par une actrice/popstar qui n’a pas froid aux yeux, Cocco. Son personnage, Kotoko, voit les humains en double, ces apparitions menaçantes traduisant une schyzophrénie latente et une peur panique de ne pas être une bonne mère pour son enfant. On se demande dès le départ comme une malade mentale aussi facilement diagnosticable peut être laissée à elle-même pour élever un enfant, mais peu importe. Avec son style caractéristique, heurté, extrême au niveau auditif comme visuel, Tsukamoto creuse le cerveau de son héroïne, faisant rentrer de force le spectateur dans un univers instable car soumis à une perception faussée de la réalité. Le sujet est potentiellement passionnant, mais le film est une torture à regarder, une apocalypse de hurlements, de plans flous, de fourchettes dans la main et de parenthèse chantées interminables censées mettre l’âme de Kotoko à nu. Le film se termine comme il devrait (dans un asile), et sonne comme une sortie de cure pour un public qui aura eu l’occasion de montrer tout son, hem, talent.

Après cette expérience aussi éprouvante qu’anthologique, qui aura permis de faire rentrer deux nouveaux « cris » (« La fourchette ! » et « Ko-Chi No-Ga ! ») dans le livre d’or du Bifff, la séance de minuit s’est poursuivi en mode « asiatique abscons » avec un double programme très particulier. Moyen-métrage réalisé par Park Chan-Wook et son frère, Night Fishing a la particularité d’être le premier film a avoir été tourné avec un iPhone 4. Et sinon ? Rien, l’histoire débutant comme un clip d’Arcade Fire partouzant avec Al Jankovic avant de s’enfoncer dans un trip méta-religieux totalement imbuvable. La salle plongeait dans une salvatrice torpeur lorsqu’a commencé Invasion of Alien bikini, micro-production coréenne totalement foutraque, qui a pour seul défaut de transformer des idées de moyen-métrage (sic) en un long-métrage de 80 minutes trop long d’une bonne demi-heure. Passé la déception de voir que le titre mentait quelque peu sur la marchandise (y a pas de bikini !), on s’amuse des parenthèse surréalistes – un spot fabriqué maison pour Rolex interrompt l’action, le héros parle comme une page wikipedia dès qu’il en a l’occasion -, des explications spatio-temporelles farfelues d’une agence secrète anti-alien, sans oublier les combats très énergiques qui ouvrent et terminent le métrage. Invasion of alien bikini, qui n’a pas peur du ridicule, fonce souvent dans le mur pour rien et sans prévenir. Mais l’énergie et la débrouillardise de son réalisateur, Oh Young-Doo, en font un cinéaste coréen manifestement à suivre.

Le final trailer :

Demain, place à la 3D et à la Team Troma !