On a laissé Tim Burton il y a quelques mois avec l’impression d’une compromission de plus. Un rendez-vous manqué qui n’étonnait plus de la part d’un génie pourtant précieux, ayant depuis dix ans chaussé les pantoufles du mercenaire au service exclusif de son propre royaume. On ne va pas refaire la liste des courses, mais après le clou dans le cercueil que constituait le naufrage critique et public de Dark Shadows, le remake de Frankenweenie apparaissait comme une bouée de sauvetage inespérée. Un retour aux racines du Burton qu’on aime, celui d’avant les remakes et les adaptations boursouflées.
Back to 1984
Sous l’égide d’un studio Disney ayant, comme il le dit lui-même, « bien changé au cours des années », Burton revient donc, l’œil tendre, à ses débuts, à l’époque de ses premiers courts-métrages confectionnés avec amour au sein de la firme aux grandes oreilles. Frankenweenie, œuvre de jeunesse autobiographique, court-métrage introduisant son univers caractérisé par un dessin anguleux et singulier, un amour immodéré pour les monstres de la Universal, et ce mélange entre imagerie macabre et conte de fées. Une note d’intention que le cinéaste étend ici sur 90 minutes, transformant cette variation canine du Frankenstein de James Whale en divertissement échevelé en stop-motion, sans chansons et sans Johnny Depp.
Comme en 1984, Frankenweenie raconte l’histoire du jeune Victor Frankenstein, double avoué de Burton, et de son chien Sparky (pour « étincelle »). Victor a de l’imagination à revendre, tourne des petits films de monstres – en 3D, oh oh oh – qui ravissent en parents, ce qui compense son manque d’amis et le manque d’excitation de sa vie à New Holland. Quand son fidèle compagnon meurt renversé, Victor refuse l’inéluctabilité de la mort et décide de le ressusciter. Contre toute attente, il y parvient, mais le succès de son expérience attise la jalousie de ses camarades, qui veulent tous le concours scientifique lancé par le professeur Rzykruski…
Victor au pays de Burton
Une banlieue américaine idyllique et intemporelle, un outsider rêveur et débrouillard, des filles étranges et rebelles contre l’ancienne génération, des monstres difformes, une science synonyme de magie et d’émerveillement… Bien plus qu’un Alice ou même que des Noces funèbres, Frankenweenie fonctionne comme une véritable De Lorean customisée pour nos ramener à la décade prodigieuse du petit génie de Burbank. Le film fonctionne presque comme un parc d’attractions (d’ailleurs, le film se termine dans un parc avec grande roue) dédié à la carrière de Burton : on y croise un mentor qui parle comme Vincent Price et les mêmes maisons aux palissades blanches d’Edward aux mains d’argent, un couple de parents trop compréhensifs pour être vrais (comme dans Beetlejuice), des références visuelles à Whale, la Universal et au pouvoir du cinéma, même artisanal (cf. Ed Wood), de la destruction à grande échelle façon Mars Attacks, un moulin à la puissance gothique indéniable qui n’aurait pas dépareillé dans Sleepy Hollow… Il y a même une chauve-souris et des erzatz de bat-signaux dans le ciel !
Et puis bien sûr, outre le noir et blanc et l’animation image par image qui rappellent L’étrange Noël de Monsieur Jack – que Burton avait seulement produit et écrit, mais bon -, il y a, toujours fidèle au poste, Danny Elfman et ses chœurs aériens pour apposer le dernier tampon « burtonien » sur Frankenweenie. Elfman est sur ce coup en pleine forme, à l’aise dans un registre qu’il maîtrise les yeux fermés, et où il peut se faire plaisir en s’auto-citant, lui aussi, allégrement (le crochet mélodique emprunté à Batman ne passe pas inaperçu, d’autant qu’il revient régulièrement).
En terrain conquis
Certes, nous ne sommes pas, pendant 1h30, à l’abri de quelques surprises, provenant principalement de l’apparence des monstres créés malgré eux par les camarades de Victor, qui évoquent Gamera et les Gremlins. Mais l’émerveillement est absent, l’histoire routinière, les séquences véritablement inspirées plutôt rares. Et si techniquement, le film soutient la comparaison avec le Coraline d’Henry Selick ou Paranorman, eux aussi animés en volumes, il garde une patine trop sage, trop statique pour impressionner. Frankenweenie suscite malgré tout la sympathie, ne serait-ce que parce qu’il montre qu’au sein de cet univers personnel qu’il a patiemment défriché, Burton sait encore y faire pour captiver son audience. Et ce malgré un happy end poussif qui contredit l’atmosphère mélancolique constitutive de son œuvre.
Pourtant, le film permettrait presque d’espérer un sursaut créatif de sa part. Un acte de nouvelle émancipation et de remise en cause, d’autant plus nécessaire que sa position artistique devient intenable. L’homme sert tout de même de machine à billets à Disney après qu’il en ait été viré voilà vingt ans. Juste après le premier Frankenweenie, jugé trop noir et « autre » à l’époque. « Avec ce film, je tiens ma revanche ! » exulte Burton en parlant de son dernier-né. On a envie de lui dire qu’il est encore aujourd’hui le dindon de la farce, l’ex-outsider devenu roi du pétrole qui a perdu l’envie de découvrir de nouveaux horizons. Pour l’heure, il revient en terrain conquis, sûr de ses effets et on goûte volontiers sa madeleine en 3D (inutile), en attendant – encore – un plat plus copieux.
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Frankenweenie
De Tim Burton
2012 / USA / 90 minutes
Avec les voix de Martin Short, Charlie Tahan, Winona Ryder
Sortie le 31 octobre 2012
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