Le 2 septembre, les enfants reprennent le chemin de l’école. Un sujet maintes fois exploré au cinéma et pas toujours de belle manière. De L’élève Ducobu aux deux Petit Nicolas, en passant par Les Choristes, le grand écran livre régulièrement son lot de choux-raves en culottes courtes. Pourtant, la rentrée nous offre l’occasion de nous repencher sur quelques chefs-d’œuvre du cinéma français ou étranger, cultes ou méconnus. Le poids du cartable, le son du crayon à papier ou du stylo à quatre couleurs, l’odeur de l’encre fraîche et le bruit de la craie envahissent soudain l’esprit des premiers de la classe, comme des cancres du fond. Des premiers émois amoureux ou philosophiques aux premières réprimandes, le milieu scolaire et l’apprentissage de la vie qui s’y déroule restent une source infinie d’inspiration pour les réalisateurs.
Sous les bancs, la pellicule
Un décor qui varie singulièrement, que se soit dans la prestigieuse académie de Welton (ville fictive du Vermont) où enseignait le regretté Robin Williams ou dans le lycée Montesquieu où Tomasi fait les quatre cents coups avec ses potes avant de succomber d’une overdose. Les 400 coups, justement, qui met en scène l’échappée belle d’Antoine Doinel en pleine Nouvelle Vague. Une Vague, aussi qui entraîne une classe allemande à suivre aveuglément son prof qui reprend des méthodes d’un régime autocratique. Plus léger, le nostalgique Ghost Graduation qui montre un lycée Madrilène ressemblant à s’y méprendre à un établissement américain typique, comme Herrington High, théâtre de scènes étranges de The Faculty.
[quote_center] »Le poids du cartable, le son du crayon à papier ou du stylo à quatre couleurs, l’odeur de l’encre fraîche et le bruit de la craie… »[/quote_center]
Le campus américain, décor incontournable et omniprésent, n’est pas toujours paisible et devient parfois le théâtre d’une violence insoutenable comme dans Elephant. Plus huppée, l’école prend également vie sous les traits de crayons fantaisistes et précieux de Wes Anderson, qui met en scène les déboires de Max dans son école de Rushmore. L’école aussi qui réprime et qui censure, comme le collège de Saint-Cloud devant la caméra de Jean Vigo en 1933. L’école se fait fantaisiste, enfin, dans Harry Potter, Le prisonnier d’Azkaban où les balais de quidditch remplacent les raquettes de badminton et où le cours de potions changent un peu de la physique-chimie.
De Poudlard à Rushmore, ces films permettent un plus ou moins agréable retour en arrière pour ceux qui appréciaient ou non l’école. Parce que même en grandissant, la pilule a toujours du mal à passer à la fin des vacances, il est bon de découvrir ou de se remémorer ces grands moments de cinéma. Sortez vos cahiers de textes, interro à la fin !
Le péril jeune, 1994 : les années rebelles
Nous sommes en 1993, le jeune réalisateur Cédric Klapisch accepte d’apporter sa pierre à l’édifice des « Années lycée », une série de téléfilms produits par Arte. Il met en scène ses propres souvenirs avec l’aide de deux amis de cette époque. Ce film à petit budget rencontre un tel succès critique qu’il sortira en salle deux ans après sa diffusion télévisée grâce à l’intervention de Pierre-Ange Le Pogam (Gaumont). Cette production à petit budget révèle deux acteurs, Romain Duris et Vincent Elbaz qui tourneront de nouveau avec Klapisch à plusieurs reprises (L’Auberge espagnole, pour n’en citer qu’un).
Le film raconte les retrouvailles de quatre amis, venus à l’hôpital à l’occasion de l’accouchement de la femme de Tomasi, le cinquième larron de la bande, victime d’une overdose peu de temps auparavant. Entre sexe, drogue, politique et désir d’émancipation, Le péril jeune s’avère un bel hommage à la liberté qui soufflait sur les années baba cool. Le film, resté culte pour toute une génération, s’inscrit également comme le meilleur succès critique du réalisateur, qui enchaînera sur l’adaptation de la pièce d’Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri, Un air de famille.
Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, 2004 : troublants symboles
Tous les épisodes de la saga du jeune sorcier se déroulent dans l’enceinte de l’école de magie de Poudlard. Mais Le prisonnier d’Azkaban rassemble les suffrages des cinéphiles et des fans de J. K. Rowling grâce à un homme. Alfonso Cuarón (Gravity, Les Fils de L’Homme) parvient à insuffler à l’univers quelque peu enfantin créé par le consensuel Chris Columbus en 2001 un côté sombre, glauque, gothique. Le génie visuel du mexicain se marie parfaitement avec les mots de la romancière anglaise. Puisant dans cette matière littéraire, il insuffle au scénario un double langage, le symbolisme du passage à l’âge adulte ou les métaphores sexuelles se rencontrant avec une maturité nouvelle.
L’orphelin Harry Potter, sous les traits bien plus adultes de Daniel Radcliffe est en danger après l’évasion de la prison d’Azkaban de Sirius Black, soupçonné d’avoir comploté auprès de Voldemort pour assassiner ses parents. Le dangereux criminel semble à la recherche du jeune garçon pour achever le travail entamé par son maître supposé. Dans cet épisode, les fameux Détraqueurs apparaissent. Ces voleurs d’âmes sèment une réelle terreur chez le spectateur, tels de funestes, mais plastiquement superbes présages.
La Vague, 2008 : l’appel de l’obscurantisme
Dans une Allemagne qui a fait une croix depuis bien des années sur la période nazie, un professeur fait resurgir les démons de la dictature lors d’un angoissant exercice pratique dans sa classe. Le réalisateur Dennis Gansel (Le Quatrième Pouvoir, Nous sommes la nuit) montre comment transformer des individus en masse facilement contrôlables, qui laisse volontiers la raison au placard, au profit d’une conformité effrayante.
Rainer Wegner enseigne l’histoire dans un lycée. Pour sortir de la monotonie, il met au point une manière pratique de faire comprendre les concepts de l’autocratie et du fascisme à ses élèves. Jour après jour, il enseigne à ses désormais « disciples » un culte quotidien, appelé La Vague. Cette secte dispose de ses propres uniformes et de son propre salut, qui n’est pas sans rappeler celui né dans les années 30. Inspiré d’une expérience ayant réellement existé, le film raconte comment l’expérimentation dérape lorsque l’enseignant se retrouve grisé par sa propre mythologie. Sans porter de jugement ni donner de leçon particulière, La Vague fait office de piqûre de rappel aussi terrifiante que fascinante.
Breakfast Club, 1985 / Ghost Graduation, 2012 : multiples personnalités
Cinq élèves, en apparence très différents, se retrouvent en retenue un samedi, et découvrent les points communs qui les rassemblent, malgré tout. Si les années 80 ont été le terreau de toutes les « teen comedies » qui continuent de pulluler aujourd’hui, Breakfast Club reste sans doute le classique le plus emblématique du genre. Sa richesse tient au fait que John Hugues reproduit en apparence chacun des clichés en vogue (le jeune voyou, l’intello, le sportif, la fleur bleue…) pour mieux les retourner à la fin et montrer à son audience que chacun d’entre nous peut être autre chose, justement, qu’un cliché ambulant.
Un professeur de lycée, incarné par le désopilant Raúl Arévalo, est doué depuis l’enfance pour communiquer avec les morts. Il décide donc de venir en aide à un groupe de lycéens décédés, qui hantent, malgré eux les couloirs de son établissement depuis de longues années. Fils illégitime de Breakfast Club, Ghost Graduation, de l’espagnol Javier Ruiz Caldera est un hilarant hommage au cinéma américain des années 80 et à la vague de films d’épouvantes, Carrie en tête. Alternant entre des références d’hier et d’aujourd’hui, Promocion Fantasma, son titre ibérique, joue sur un tempo parfait, des personnages attachants et une bande-son dantesque.
Voir la critique de Ghost graduation
Voir la rencontre avec son réalisateur, Javier Ruiz Caldera
Le cercle des poètes disparus, 1989 : l’une des gloires d’un poète
Durant l’une de ses multiples vies, Robin Williams fut monsieur Keating, le meilleur enseignant du monde. Le décès de l’acteur, oscarisé pour ce rôle, rappelle à la mémoire collective le chef-d’œuvre de Peter Weir (The Truman Show, Master and Commander) qui aborde les thèmes de l’éducation et de la lutte contre l’obscurantisme. Tourné dans l’ordre chronologique afin de renforcer le réalisme des liens qui se tissent peu à peu entre les personnages, Dead Poets Society réussit l’exploit, à sa sortie, de créer sur un sujet sérieux et grave, un immense succès à la fois commercial et critique.
Dans une école britannique aux mœurs strictes et autoritaires, un professeur de lettres farfelu fait découvrir à ses élèves la littérature, la poésie et la philosophie. Mais surtout, il marquera à jamais ses jeunes en leur insufflant la voie de l’anticonformisme et de la liberté. Un groupe d’élèves redonne naissance au cercle des poètes disparus, qui encourage la liberté de pensée et l’onirisme et auquel appartenait leur enseignant. Cette expérience, dans le contexte d’une institution conservatrice, influera grandement sur le destin des élèves.
The faculty, 1998 : poussée d’hormones
Lancé dans la foulée du succès de Scream (le scénariste Kevin Williamson figure au générique des deux films), The Faculty se pose à la fin des années 90 comme un remake officieux, pour la génération MTV, des célèbres Body Snatchers. L’originalité du film, réalisé par un Robert Rodriguez tout juste sorti du succès d’Une nuit en enfer, est que l’action se déroule cette fois dans un campus en apparence banal.
À Herrington High, la vie se déroule comme dans tout film pour teenagers, avec ses sportifs, ses pom-pom girls et ses garçons timides et persécutés. Ce quotidien est chamboulé quand plusieurs d’entre eux soupçonnent qu’un organisme inconnu a pris possession de leurs enseignants. Sans être révolutionnaire (le film pille autant les Body Snatchers que La Mutante ou The Thing), The Faculty reste une série B attachante grâce à l’alchimie de son casting, et sa vision hautement fantasmée, mais percutante des années lycée en Amérique, dont l’influence se fera ressentir dans nombre de séries pour ados par la suite.
Zéro de conduite, 1933 : révolution enfantine
Décédé à 29 ans, auteur d’un seul long-métrage, le poète et cinéaste Jean Vigo a malgré tout marqué l’histoire du cinéma français, et ce notamment grâce à Zéro de conduite, moyen-métrage plus ou moins autobiographique tourné à Saint-Cloud. Bouillonnant d’invention formelle, le film est un cri de colère éclatant contre le système scolaire de cette époque, jugé rigide et liberticide par Vigo.
C’est un collège comme les autres dans lequel Caussat et ses camarades font leur rentrée. Punis avec un « zéro » de conduite, quatre d’entre eux décident de se révolter avec l’aide d’un surveillant moins coincé que les autres adultes. Ils profiteront de la fête de l’école pour laisser éclater de manière anarchique et expressive leur créativité trop bridée. La vision à la fois très évocatrice et détaillée de l’enfance soumise au carcan de l’école a valu à l’époque au film de Vigo d’être interdit de diffusion en France. Il n’obtiendra son visa qu’à la Libération, en 1945. Une autre époque, déjà…
Les 400 coups, 1959 : école buissonnière
Pour ses débuts derrière la caméra, à la fin des années 60, le critique François Truffaut s’inspire de sa propre vie, et plus particulièrement de son enfance. Il se projette corps et âme dans la peau de son futur alter ego de cinéma, Antoine Doinel, qui avec son ami René fait les proverbiaux « 400 coups » dans le Paris de l’après-guerre. Truffaut crée un courant, la Nouvelle vague, fait découvrir un regard de cinéaste humaniste et virtuose. Les 400 coups est à sa sortie un succès public et critique, ce qui est d’autant plus paradoxal qu’il puise son essence dans les souvenirs tourmentés et les relations familiales difficiles du petit François.
Un jeune comédien débutant, Jean-Pierre Léaud, endosse le rôle d’Antoine, garçon turbulent que la vision passéiste de ses enseignants, comme dans Zéro de Conduite, amène à se rebeller, et à faire l’école buissonnière. Il dérive vers la petite délinquance et provoque le désarroi de ses parents. Les 400 coups, film désenchanté, mais plein d’espoir, demeure malgré sa facture intime, quasi documentaire, un classique à la portée universelle, dont le héros, cet Antoine si vibrant, si vivant, poursuivra sa vie de cinéma dans quatre autres films du réalisateur.
Rushmore, 1998 : la vie n’attend pas
C’est avec son second long-métrage, Rushmore, que Wes Anderson affirme véritablement son style. Son héros, Max Fischer, est un personnage décalé et haut en couleur qui ne pouvait que sortir de son imagination de dandy fantaisiste. Max est un univers à lui tout seul, hyperactif, à fleur de peau. Il est énervant et adorable à la fois. Rushmore est à son image, une comédie dramatique irrésistible, qui offrait de plus à l’époque un rôle en or (le premier !) à l’immense Bill Murray et révélait Jason Schwartzman.
Max Fischer est élève à Rushmore. Peu doué, il se passionne pour les activités annexes, de l’escrime à l’apiculture. Il y multiplie les responsabilités, et écrit aussi des pièces de théâtre, inspirées entre autres… de Platoon. Trop mature, Max vit tout de manière intense, y compris son amitié pour le riche misanthrope Hermann Blume, et son amour pour l’institutrice Rosemary Cross, bien plus âgée que lui. Rushmore parle de désillusions, de déraison, du besoin éperdu de s’accomplir avant que naissent les regrets. Mais il le fait dans un écrin hautement divertissant de comédie sentimentale aux dialogues et à la BO épatants.
Elephant, 2003 : ados en péril
Palme d’Or à Cannes en 2003, Elephant jette un regard froid et très personnel sur le mal-être adolescent, plus qu’inspiré par la fusillade de Columbine, qui avait fait 13 victimes en 1999. Tourné en moins d’un mois à Portland avec des acteurs non professionnels, composé de longs plan-séquences montés de manière non-linéaire, le film de Gus Van Sant a fasciné autant qu’il a divisé lors de sa sortie.
L’action se déroule durant une journée typique d’un lycée anonyme. Elias, John, Carrie, sont autant de personnages que l’on voit se débattre avec leurs problèmes personnels, leurs aspirations et leurs passions : des vies chamboulées de manière tragique par l’irruption dans les classes et les couloirs de deux élèves, armés jusqu’aux dents et venus faire un massacre. Il reste difficile, encore aujourd’hui, de regarder Elephant sans ressentir un malaise viscéral dû à l’aspect inexorable des événements, montrés à la fois de manière objective (le film est plus « passif » qu’accusateur, même si c’est tout le système scolaire américain qui est ainsi mis en cause) tout en créant de l’empathie pour chaque ado, que l’on suit souvent de dos. Un film-choc, qui n’a rien perdu de son pouvoir de fascination.