Hard Day : ripou contre ripou
Coup de pied dans la fourmilière du polar coréen, Hard Day cumule twists, humour et suspense extraordinaire pour un résultat détonnant.
Pas besoin d’être un citoyen sud-coréen pour savoir que l’Agence nationale de la police n’est pas un repaire d’incorruptibles. Un coup d’œil à la vaste production de thrillers, depuis Memories of Murder (qui plongeait lui dans le passé proche d’un pays longtemps sous le joug d’un pouvoir militaire autoritaire) jusqu’à ce Hard day, suffit pour comprendre que cette institution locale repose sur des critères de déontologie assez « fluctuants ». Si l’on en croit le film de Kim Seong-Hung (futur réalisateur de Tunnel et de la série Kingdom), la corruption fait même partie intégrante du fonctionnement de certaines brigades locales, entre extorsion organisée et pots-de-vin entre amis. Ce thriller, qui pourrait n’être qu’un divertissement virtuose et haletant (déjà de belles qualités en soi) acquiert encore plus d’intérêt en intégrant à son scénario cette dimension politique et (a)morale, qui lui permet de se distinguer immédiatement de la masse des films de genre coréens.
Une avalanche d’embrouilles
Hard day a pris des leçons chez John McClane : comme l’indestructible flic new-yorkais, l’inspecteur de la criminelle Ko Gun-Su passe une journée horrible, qui débute mal et ne fait ensuite qu’empirer. Ko doit en effet rejoindre sa sœur à l’enterrement de sa mère en pleine nuit. Empruntant un raccourci hasardeux avec sa rutilante voiture, le policier ne peut qu’éviter au dernier moment un chien qui passait par là, avant de heurter de plein fouet un quidam qui s’avançait sur la chaussée. Mortifié, Ko décide, par un réflexe qui en dit long, de cacher en toute hâte le corps dans sa voiture et de repartir. À partir de là, c’est l’avalanche d’embrouilles : entre la patrouille qui fouille les véhicules, un enterrement qui tourne mal, et la police des polices qui débarque chez ses collègues pour saisir leur argent détourné, Ko est au bord de l’implosion. La goutte d’eau ? L’encombrant corps est en fait celui d’un voyou recherché par toutes les polices, et un témoin de l’accident commence à le faire chanter…
« Dès les premières minutes, Hard day nous force à prendre fait et cause pour un petit chef paniqué à l’idée de perdre son statut,
son argent sale et sa liberté. »
Pris de manière séparée, les éléments qui composent le scénario de Hard day ont un parfum familier : humour noir, ultra-violence, corruption généralisée, empilement de sous-intrigues… La dimension remarquable du film est de parvenir à pousser le bouchon un peu plus loin, sans jamais relâcher la pression qui pèse sur son personnage principal, éponge à emmerdes que le réalisateur prend soin de ne jamais montrer sous un angle véritablement positif. Dès les premières minutes, Hard day nous force à prendre fait et cause pour un petit chef sans scrupules, un ripou paniqué à l’idée de perdre son statut, son argent sale et sa liberté, et qui fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’en tirer, sans exprimer des remords sur sa conduite ou ses bavures. Ce pourrait être glauque et perturbant, ça n’est, miracle du cinéma, que jouissif au plus haut degré.
Rédemption et surréalisme
La manière dont les événements s’enchaînent durant la première heure, selon un principe appelé « loi de Murphy », qui veut que tout ce qui pourrait mal tourner… tourne mal, tient à la fois du surréalisme burlesque tout en demeurant parfaitement cohérente. Chacune des intrigues parallèles esquissées se rejoignent pour culminer dans un premier morceau de bravoure qui résume bien le brio technique et artistique du projet : Ko se retrouve obligé de cacher le cadavre de sa victime tout en assistant à la cérémonie funéraire de sa mère. La manière dont il va se sortir de cette impasse vaut son pesant d’or ! Loin d’avoir abattu toutes ses cartes, Kim Seong-Hung embraie ensuite sur de nouvelles pistes, la « nuit en enfer » de l’inspecteur Ko n’étant en effet que le premier acte d’une chasse à l’homme plus complexe et retorse.
Ainsi, l’identité du maître chanteur de Ko permet au réalisateur de traiter frontalement le véritable thème de Hard day, qui perce derrière son côté « divertissement quatre étoiles » : la perte de repères moraux d’une institution pourtant chargée d’imposer les siens à la société. Ce n’est pas un hasard si Ko, acculé de toutes parts, émasculé quasiment au sens propre lors d’une brutale scène de bagarre dans les toilettes du commissariat, ploie au fil des minutes sous les ennuis avant de retourner le destin en sa faveur : ne respectant ni les traditions familiales, ni les coutumes de son pays ou les obligations dues à son rang, Ko doit surmonter une série d’épreuves et se confronter à une version plus négative de lui-même afin d’espérer atteindre une possible rédemption. Le message, moins désabusé qu’il n’y paraît (le réalisateur a d’ailleurs déclaré en interview se considérer comme un « misanthrope optimiste »), passe d’autant mieux qu’il est noyé sous une bonne couche d’ironie, comme lorsque le supérieur de Ko lui demande de se rappeler la raison pour laquelle il s’était engagé au départ dans la police. « Pour toucher une bonne retraite ? », lance l’inspecteur. « Oui, exactement ! ».
Efficacité à tout prix
Cette cohérence de ton, plutôt rare dans un paysage cinématographique plutôt enclin à varier indéfiniment les registres en passant de la comédie à la tragédie, caractérise un polar qui peut également être dégusté plus simplement, au premier degré, comme un formidable morceau de suspense échevelé. Hard day, en plus de démontrer son degré d’excellence technique (la photographie métallique est somptueuse et le film est garni d’effets de style, de plans steadicamés et de contres-plongées extrêmes aussi efficaces que justifiés), ne relâche jamais la pression, quitte à en rajouter dans l’invraisemblance pour faire durer le plaisir. S’il devient plus classique dans sa dernière ligne droite, laissant de côté les grands discours pour privilégier des mano à mano parfaitement chorégraphiés, Hard day ne tombe pour autant jamais dans l’ordinaire : chaque moment choc (et il y en a !) rivalise d’inventivité et de férocité pour mieux surprendre le public. Et ça marche, pratiquement à chaque fois, en partie grâce à la présence physique de ses comédiens, en particulier Lee Sun-Kyun, plus habitué à fréquenter les paisibles plateaux de Hong Sang-Soo qu’à jouer les punching-balls humains. Hard day lui offre sans aucun doute son rôle le plus mémorable, à l’image d’un thriller qui a gagné en 10 ans sa place au panthéon des meilleurs titres du genre. Preuve en est la multiplication des remakes ces dernières années, comme Sans répit sur Netflix, avec Franck Gastambide, ou le japonais Hard Days, également sorti sur la plateforme.