Cinéaste rare – en tout cas sur grand écran – Spike Jonze prend un malin plaisir à brouiller les cartes, passant allègrement de la comédie barrée (le génial Dans la peau de John Malkovich) à la fable faussement enfantine (Max et les Maximonstres) avec en point de mire ce besoin d’explorer la psyché humaine avec toute la complexité qu’elle mérite. Car derrière la sobriété d’un titre court comme Her, Spike Jonze se livre avec acuité à une étude sensible des nouveaux comportements sociaux, et de leurs impacts sur l’expression des sentiments, même si le film est censé se dérouler dans un futur proche.

 Mais n’est-ce pas le principe de la bonne science-fiction, que de s’interroger sur les changements en cours dans notre société, en imaginant ce qui peut être possible demain, même en restant au niveau de l’intime et de la romance ? C’est en tout cas l’objectif de Spike Jonze, et il y réussit parfaitement.

Une solitude universelle

Her : génération solitude

Le thème de l’intrusion d’une intelligence artificielle dans la vie d’un simple humain a souvent été à la base de nombreuses réussites dans le cinéma de science-fiction, que l’on pense à Génération Proteus, Electric Dreams, voire Le Cerveau d’Acier. Mais là où souvent le simple ressort dramatique se résumait à la prise de contrôle que l’ordinateur exerçait sur l’humain, Spike Jonze choisit une voie moins spectaculaire, mais qui touche plus à l’universel de par sa simplicité. Décrivant la lente dérive existentielle de Theodore, célibataire attachant perdu dans les affres d’un divorce et en pleine déshérence sentimentale (Joaquin Phoenix, parfait) qui va s’amouracher d’un OS – pour Operating System – des plus perfectionnés qui finit par incarner son idéal féminin, Her pointe du doigt une réalité sociale évidente : certaines âmes en peine préfèrent aujourd’hui s’en remettre au virtuel pour faire des rencontres, organiser leurs échanges amoureux, et éviter si possible d’être seul, ou d’avoir à souffrir.

Là où les partenaires féminins apparaissent des plus désincarnés (la voix orgasmique de Kristen Wiig, Olivia Wilde en hit-girl désespérée), OS1, vite renommée « Samantha », et définie par la voix éraillée et sensuelle de Scarlett Johansson, apporte toute la chaleur qui manquait à son propriétaire déprimé, comblant son vide affectif et rééquilibrant sa vie personnelle, petite touche par petite touche, tout en apprenant à manier l’humour pour le dérider.

Félicité technologique

Her : génération solitude

[quote_right] »On pense à Génération Proteus, Electric Dreams, voire Le Cerveau d’Acier. »[/quote_right]Par sa mise en scène, et un travail sonore remarquable, Spike Jonze réussit à nous faire ressentir les moindres affres de la mélancolie post-moderne de Theodore, mais aussi la félicité qui commence à l’étreindre lorsque sa relation avec « Samantha » commence à s’étoffer, jusqu’à l’amour partagé. Véritable expérience sensorielle, Her se fourvoie quelque peu dans son dernier tiers, avec une prédominance des questionnements philosophiques d’un héros bien autocentré, digressions qui auraient pu être élaguées : c’est le péché mignon de plus en plus fréquent des films américains « sérieux » qui se doivent de durer plus de 2 heures… Heureusement, les personnages de Rooney Mara, incarnant le remords d’une vie passée, et de Amy Adams, plus « concrète », viennent aérer un récit qui risquait de s’appesantir, même si la gravité n’est jamais absente et s’avère nécessaire.

Film pertinent par son propos sur la dépendance affective, qui lie de plus en plus les humains à des objets technologiques en perpétuelle évolution, Her s’appuie sur l’émergence d’une véritable conscience cybernétique pour se poser en conte moralisant. Il s’agit malgré tout d’un petit joyau, enchâssé dans un écrin visuel composé avec élégance, par un des cinéastes les plus talentueux de notre temps.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Quatresurcinq
Her
De Spike Jonze
USA / 2013 / 126 minutes
Avec Joaquin Phoenix, Scarlet Johansson, Rooney Mara
Sortie le 19 mars 2014
[/styled_box]