La trentaine, le sourire timide, Zal Batmanglij apparaît aujourd’hui comme une figure montante du cinéma américain indépendant. Fils d’une célèbre auteure de livres de cuisine et frère d’un des membres du groupe Vampire Weekend, Zal a grandit à Washington. Tout naturellement, il étudie l’anthropologie sur les bancs de Georgetown. C’est dans cette université qu’il rencontre deux figures majeures de sa (jeune) carrière. Son meilleur ami Mike Cahill et Brit Marling. En 2011, Zal Batmanglij réalise son premier long-métrage, Sound Of My Voice, qui raconte le destin d’un couple parti enquêter sur les agissements d’une secte. Brit cosigne le scénario avec lui. Ce film indépendant fait grand bruit dans les festivals. Alors que la carrière d’actrice, scénariste et productrice de Brit Marling, qui a failli travailler chez Goldman & Sachs, décolle, les deux compères récidivent avec The East (lire la critique). Signe de l’intérêt que Hollywood leur porte, la société de production de Ridley Scott assurent cette fois leurs arrières. Et surtout, cette fois, The East reçoit les honneurs d’une sortie française. Rendez-vous est pris pour l’occasion avec Zal Batmanglij pour parler de violence, d’Alan Pakula et des Freegan… au Fouquet’s.

Interview : Zal Batmanglij, réalisateur de The East

Vous parlez bien français. Avez-vous vécu en France ?

Oui, je suis né à Nice et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de sept ans.

Comment avez-vous rencontré Brit Marling ?

Quand j’étais étudiant, mon meilleur ami Mike Cahill (Ndlr : réalisateur d’Another Earth) et moi-même, nous avons codirigé deux films ensemble. Ces films ont remporté le festival de notre université Georgetown à Washington. Brit était en première année, elle avait dix-sept ans et nous a demandé de travailler avec elle. Et petit à petit, nous sommes devenus amis. À la fin de nos études, nous avons aménagé tous les trois dans une maison à Los Angeles. Aujourd’hui, nous habitons encore tout près les uns des autres.

Dans vos deux films, vous semblez être attiré par le thème de l’endoctrinement.

Non, ce n’est pas ce thème qui m’attire. Nous vivons dans une société aliénée, aux États-Unis, mais également en Europe. Nous sommes beaucoup plus seuls qu’il y a un siècle. Auparavant, les gens restaient proches de leur famille. Sound of my voice et The East parlent d’endoctrinement, mais le véritable sujet reste de voir à quel point nous avons besoin des autres.

Vous avez vécu avec des Freegan, il y a trois ans. Pourquoi avez-vous essayé ce mode de vie et pourriez-vous recommencer aujourd’hui ?

Nous avions expérimenté cette aliénation de la société et nous voulions la combattre en vivant en communauté. Nous avions lu des articles en ligne sur cette communauté et nous voulions l’expérimenter dans la vraie vie. Au début c’était pour un jour, puis une semaine et finalement tout l’été. Mais oui, je peux très bien recommencer, une fois que la promotion de The East sera achevée. Je repartirai sur la route. J’ai voyagé hier de Los Angeles à Paris avec un seul sac à dos. Il y a beaucoup de Freegans en Espagne, en France, en Angleterre, en Turquie.

Interview : Zal Batmanglij, réalisateur de The East

 

N’y a-t-il pas un certain décalage entre la vie de réalisateur et celle de Freegan ?

Oui, mais ce décalage se note dans toutes nos actions actuelles. Un jour, nous mangeons des frites à McDo et un autre jour, nous mangeons dans un restaurant cossu. Un jour, nous n’avons pas d’argent pour manger, un autre jour nous en avons beaucoup. Nous vivons dans une époque folle et incertaine.

Savez-vous si certains Freegans ont vu votre film et ce qu’ils en ont pensé ?

J’ai un ami très proche qui est Freegan. Il a vu un premier montage du film. Et il a donné beaucoup de notes sur ses impressions personnelles, qui nous ont été très utiles.

Pourquoi avez-vous choisi de mélanger romance et espionnage ?

Ce mélange s’est produit très naturellement. Le personnage de Benji est attiré par Sarah, celui de Sarah est attiré par Benji, et vraiment, quand vous expérimentez un changement de perception, quand vous changez votre vision du monde, généralement cela a à voir avec une romance. Mais nous ne voulions pas d’une romance traditionnelle, nous ne voulions pas qu’ils s’enfuient ensemble. Il fallait rendre justice au personnage de Sarah : elle change, bien sûr, mais pas au point de perdre le sens de la réalité et son intégrité.

Interview : Zal Batmanglij, réalisateur de The East

Aviez-vous des références en tête, des films qui vous ont inspiré ?

Oui, j’adore les films des années 70, ceux d’Alan Pakula comme Les Hommes du Président, Klute, À cause d’un assassinat. Les histoires d’amour sont souvent très importantes dans ces films, d’ailleurs. Les trois jours du Condor par exemple a été une influence importante en ce qui concerne l’aspect romance.

Dans le film, Sarah essaye de fixer une limite entre l’engagement et le crime. Pensez-vous que les personnes anarchistes peuvent être dangereuses parfois ?

Oui, parce qu’ils croient et les croyants sont toujours dangereux. Ils feraient n’importe quoi pour ce qu’ils croient, qu’ils fassent partie de l’extrême droite ou de l’extrême gauche. J’ai tendance à avoir plus confiance dans ces derniers, en tout cas. Ils sont moins dangereux. Je préfère être à côté d’un anarchiste hardcore plutôt que d’un skinhead, en gros. Je ne pense pas que la violence soit nécessaire, mais je peux comprendre qu’on ait besoin d’anarchistes, et d’actions marquantes.

Quelle a été l’approche de Scott Free Production sur le projet ?

La première fois que nous avons rencontré nos producteurs, j’étais en admiration et ils étaient très gentils. Ils nous ont laissé notre liberté pour la majeure partie. Ils nous ont aidé pour les caméras, entre autres.  Ils ont vraiment aimé le scénario et nous ont encouragé à raconter cette histoire qu’ils avaient apprécié.

En dehors de Brit Marling, aviez-vous des acteurs en tête en écrivant le scénario ?

Non. Mais les acteurs ont lu le script, et il a suscité deux réactions radicales. Soit il était rejeté sur le mode « Ce film n’est pas pour moi », soit les acteurs souhaitaient absolument voir le film « Je dois être dans ce film ! », comme un coup de foudre. Ce fut le cas pour Ellen Page, Alexander Skarsgard et Patricia Clarke.

Interview : Zal Batmanglij, réalisateur de The East

Votre premier film Sound of my voice était un film indépendant. The East est une production hollywoodienne. Voyez-vous des différences ?

Oui, mais rien n’est noir et blanc. Pour Sound of my voice, nous n’avions pas beaucoup de moyens, j’avais le premier et le dernier mot, comme une autocratie. Pour The East, je travaillais avec des partenaires. Ma voix comptait bien entendu, mais la décision restait collective, comme une sorte d’anarchie, sans leader désigné. Lorsque le groupe décide, j’aime aussi. Sur les deux films, il y a tout même eu cette possibilité de discuter le scénario, de faire valoir ses arguments. J’apprécie les deux manières de travailler, tout dépend du type de film que je souhaite réaliser.

Vous formez une bonne équipe avec Brit Marling. Allez-vous travailler ensemble de nouveau ?

Oui, en décembre dernier, nous avons travaillé sur deux projets nouveaux au Mexique. Rien n’est encore terminé. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous avons une histoire très longue, avec beaucoup de chapitres. Nous ne savons pas encore quel sera le format du film, s’il se fera à la télévision ou au cinéma.

Comment se passe le processus d’écriture avec Brit Marling ?

Nous apportons chacun nos idées sous la forme d’une discussion. Sans écrire beaucoup.

Développez-vous des projets de votre côté ?

Peut-être. Mais je n’aime pas travailler seul, parce que je déteste la solitude. Je pourrais par contre tourner un film, sans être l’auteur du scénario.