Si, côté BD, le Kick-Ass de Mark Millar n’a pas tardé à connaître une suite, encore plus bourrine et glauque que l’original, la séquelle du réjouissant Kick-Ass de Matthew Vaughn a elle tardé à voir le jour. Cinq ans déjà que les exploits douloureux de Dave Lizewski et de la jeune mais létale Hit Girl ont donné un coup de fouet estampillé méta au genre du film de super-héros dans un déluge de couleurs pop, d’injures épiques et de cynisme volontaire très représentatif de son époque. Les producteurs de Kick-Ass 2 n’ont certes eu qu’à adapter la suite de l’histoire imaginée par Millar et à convaincre chacun des jeunes membres du casting de repartir au turbin. Mais la valse des réalisateurs durant la phase de pré-production, la très médiatique sortie d’un Jim Carrey condamnant la violence d’un film dont il est la grosse star invitée, et la sortie peu glorieuse du film outre-Atlantique à la fin d’un été surchargé en grosses productions, ont jeté un certain discrédit sur un divertissement plus roboratif que son prédécesseur.

 [quote_center] »Chloe Moretz est la vraie star de cet épisode, et a en cinq ans développé un sacré charisme d’actrice, crédible dans toute les situations. » [/quote_center]

Kick-Ass 2 se déroule quelques temps après les événements du premier opus, alors que Dave (Aaron Taylor Johnson, toujours idéalement ahuri) est retourné à son quotidien de lycéen complexé de jour, et de justicier en costumes la nuit, et que Mindy « Hit Girl » McReady (Chloe Moretz, irrésistible) a été placée sous la protection de l’ex-partenaire de son défunt père, Marcus. Tandis que les exploits de Kick-Ass inspirent une nouvelle génération de super-héros sans pouvoirs auto-baptisée « Justice Forever » menée par le colonel Stars & Stripes (Jim Carrey, qui n’a le droit qu’à quelques courtes mais mémorables scènes), l’ennemi juré de Dave, Chris d’Amico (Christopher Mintz-Plasse… fatigant) prépare sa vengeance sous le nouveau pseudonyme de The Mother Fucker. Chacun poursuit son apprentissage à sa manière, en attendant un inévitable affrontement général…

Justiciers du dimanche

Kick-Ass 2 : retour de bâtons

Sans surprises, Kick-Ass 2 se penche sur le thème de la justice et de la fascination pour les super-héros avec le second degré généralisé qui caractérisait déjà le film de Matthew Vaughn. Comme dans Kick-Ass, la bonne volonté manifeste de Dave et des gentils illuminés qu’il croise dans la ligue « Justice Forever » (dont son propre pote de classe, s’inventant pour l’occasion une fausse origin story à la Bruce Wayne) se heurte à la violence beaucoup plus réaliste de la société, qui sanctionne à chaque fois leur naïveté de manière brutale et sans appel. Très étrangement, les actions de charité, les personnalités un peu perchées et la mythomanie sous-jacente des acolytes de Kick-Ass, en dehors du très comic-book colonel Stars & Stripes (et son chien dressé pour s’attaquer à l’entrejambe de ses adversaires, du Millar pur jus) rappellent beaucoup les véritables super-héros costumés et un peu paumés du formidable documentaire Superheroes de Mike Barnett. L’utilisation des réseaux sociaux pour générer une émulation entre ces justiciers du dimanche est elle aussi reprise de ce docu révélateur de l’intérêt persistant des Américains pour les héros en marge de la loi, fonctionnant avec leur propre conception de la justice.

Loin de condamner ce phénomène, Kick-Ass 2 semble ne pas savoir quel position prendre sur le sujet : faut-il prendre soi-même les choses en main pour « botter des culs » et rendre la société meilleure, ou passer à autre chose, grandir en quelque sorte pour changer les choses « de l’intérieur » ? La voix-off omniprésente de Dave elle-même entretient la confusion en tentant de justifier la légitimité des deux positions. Les flics sont montrés comme des éléments facilement corruptibles et copieusement éliminés par la clique du Mother Fucker, tandis que les malfrats auxquels s’attaquent Kick-Ass et Hit Girl sont uniformément présentés comme des psychopathes ultra-violents, tout justes bon à prendre un bon coup de matraque ou se faire ouvrir le bide. Pas la peine de vous faire un dessin : Kick-Ass 2 ne prône pas la paix dans le monde, et ne risque pas de décourager les adeptes de l’auto-défense, même si les dialogues rappellent ponctuellement que les actions de nos héros ont des conséquences. Dans le même temps, le film ne manque pas une occasion de rappeler que, tout « réaliste » qu’il soit, puisque présentant des héros dépourvus de pouvoirs, il ne s’agit avant tout que d’un film d’action sans prétention, saturé de gags plus ou beaucoup moins fins et de combats surréalistes.

Big girl

Kick-Ass 2 : retour de bâtons

Ainsi, malgré l’intelligente mise en parallèle de trois storylines, mettant aux prises des adolescents se réfugiant derrière un masque pour éviter de se confronter à leur évidente confusion identitaire (Dave ne communique plus avec son père, Mindy et Chris souffrent du décès du leur et recherchent chacun des substituts), Kick-Ass 2 multiplie dès qu’il le peut les incartades comiques et les idées outrancièrement gore. On a donc le droit dans le désordre à des pets odorants, des problèmes d’érection ou de quiproquos masturbatoires qui n’auraient pas dépareillé dans un American Pie, des tonnes de sous-entendus graveleux et même un sick stick (sans doute volé sur le plateau de Minority Report) servant à l’occasion d’une scène scatologique digne d’un Big Mamma. Moyennement drôles, ces blagues vulgaires dénotent un véritable manque d’ambition dans le film de Wadlow, moins rigoureux et imaginatif qu’un Vaughn pour maintenir ce délicat équilibre, propre au comics, entre ultra-violence un brin complaisante et critique hardcore d’une société de consommation dans une véritable impasse morale.

Bien sûr, avec le recul nécessaire et la clémence qui peut s’imposer envers ce qui n’est après tout qu’une séquelle opportuniste mais sans prétention (l’absence de discours clair sur son thème de base est là pour le rappeler), il est possible d’apprécier certaines qualités de Kick-Ass 2. À commencer par son traitement du personnage de Hit Girl, clairement mise en avant cette fois-ci, que ce soit au centre d’un mini-remake de Lolita malgré moi ou lors de multiples combats ponctués comme il se doit de punchlines salées et de rebondissements un peu faciles (ah, cette seringue à l’effet « mystérieux »…). Chloe Moretz est la vraie star de cet épisode, et a en cinq ans développé un sacré charisme d’actrice, crédible dans toute les situations. Kick-Ass lui-même gagne en épaisseur, mais son parcours paraît tracé d’avance, et il n’est pas rare que ses acolytes, tous plus fous ou maladroits que lui, lui volent la vedette – et les meilleures répliques. Que dire enfin du Mother Fucker, méchant de carnaval idiot et vociférant, symbole d’une séquelle tellement concernée par le détournement de ses archétypes (le super-vilain, la ligue de justiciers, le mentor joué cette fois par Carrey, etc.) qu’elle ne conserve que l’énergie brouillonne et adolescente de son modèle, sans en adopter sa richesse de ton si particulière.


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Kick-Ass 2, de Jeff Wadlow
USA / 2013 / 103 minutes
Avec Aaron Taylor Johnson, Chloe Moretz, Jim Carrey
Sorti le 21 août
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