C’est une évidence : les faits divers se transforment souvent, par la force des choses, en événements médiatiques, en sujets de société qui suscitent un intérêt et des questionnements infinis, parfois même après que justice ait été, ou pas, rendue. En France, c’est par exemple l’affaire Omar Raddad, qui a suscité nombre de livres, documentaires ainsi qu’un film, Omar m’a tuer. Aux États-Unis, pays où la réalité rejoint souvent la fiction et inversement, les exemples sont innombrables. L’affaire des « West Memphis Three », même si elle demeure moins connue chez nous, a défrayé la chronique pendant une bonne partie des années 90. C’est une affaire criminelle glauque, où comme à Outrault, la justice a semble-t-il dérapé dans les grandes largeurs et spectaculairement bâclé un procès. C’est une affaire qui a mobilisé l’opinion nationale, ainsi que des stars de Hollywood comme Johnny Depp et la scène métal. Elle a servi enfin de base à pas moins de cinq documentaires et quatre livres.

Quel était du coup l’objectif du projet The Devil’s Knot, adaptation filmique de cette triste histoire par un cinéaste, Atom Egoyan, déjà familier de ces atmosphères dépressives depuis son déchirant De beaux lendemains ? Le film, retitré Les 3 crimes de West Memphis chez nous, est adapté de l’un des livres proposant son point de vue sur l’histoire, écrit en 2002 par Mara Leveritt. Il n’entend pas proposer une vérité définitive sur un procès qui comporte encore aujourd’hui de nombreuses zones d’ombre impossibles à éclairer : les co-scénaristes Paul Harris Boardman et Scott Derrickson (Sinister) se bornent à étudier les tenants et les aboutissants de ce fait divers, avec un nombre assez grand d’ellipses et de timides parti-pris pour frustrer le spectateur et lui donner envie d’en savoir plus… par lui-même.

Les coupables idéaux

Les 3 crimes de West Memphis : l’affaire est… ouverte

L’histoire se déroule à West Memphis, dans l’Arkansas, durant l’été 1993. Trois enfants de 8 ans, Stevie, Michael et Chris disparaissent et font l’objet d’une intense opération de recherche dans la communauté. Malheureusement, les trois garçons sont retrouvés morts le lendemain dans un cours d’eau boisé appelé « le repaire du diable », brutalisé et les pieds attachés aux mains par leurs lacets. Un crime atroce, qui choque la ville, puis bientôt le pays. Menée sous pression, l’enquête aboutit aux arrestations de Damien Echols, Jason Baldwin et Jessie Misskelley, que tout le monde juge coupables en raison de leur intérêt pour le métal, la magie noire et les armes blanches. Mais les témoignages qui les accablent sont douteux, les preuves circonstancielles. Un enquêteur privé, Ron Lax (Colin Firth, peu concerné) mène son enquête pour la défense, semant le doute dans l’esprit de la mère de Stevie, Pamela Hobbs (une plutôt convaincante Reese Witherspoon). Au terme d’un procès retentissant, les « West Memphis Three » sont condamnés à la prison à perpétuité et à la peine de mort pour Damien.

[quote_center] »L’affaire des « West Memphis Three » a défrayé la chronique pendant une bonne partie des années 90. »[/quote_center]

De son propre aveu, effectué du bout des lèvres lors de sa présentation en 2013 au festival de Toronto, Atom Egoyan est loin de considérer Les 3 crimes de West Memphis comme une œuvre personnelle. Malgré un thème fort, souvent présent dans son œuvre, celui de l’innocence sacrifiée, il est en effet permis de douter de sa totale implication dans un projet à la valeur artistique limitée. Lorsqu’il plante l’action dans la communauté en apparence tranquille de West Memphis, et fait planer une atmosphère de sourde menace sur ces enfants traversant funestement une rivière sur une canalisation rouillée, Egoyan réussit à captiver et à émouvoir. On est loin des descriptions d’enquête « objectives » et aseptisées des procedurals télévisuels : ici, les secouristes découvrant les trois victimes s’effondrent sur place sous le poids de l’horreur, les familles et les policiers sont totalement dévastés et désarmés face à une sauvagerie sortie de nulle part. Egoyan saisit ce sentiment de panique et de confusion qui s’empare d’une ville avec acuité. Finalement, la seule chose qui échoue à passionner dans cette histoire, c’est le personnage de Firth, dont l’unique fonction est de faire office de balise morale et de témoin outré des événements.

Des théories et peu de réponses

Les 3 crimes de West Memphis : l’affaire est… ouverte

Passé une première demi-heure effective et angoissante, semant des pistes fascinantes et mystérieuses (comme ce fameux inconnu repéré le soir du crime, les mains en sang dans les toilettes d’un fast-food, et que personne ne retrouva… car les relevés d’empreinte avaient été perdus), Les 3 crimes de West Memphis commet l’erreur de se cantonner au registre, pantouflard quand il n’est pas inspiré, du film de procès, ponctué de moments surréalistes comme l’intervention d’un spécialiste autoproclamé des sciences occultes. Il montre l’importance qu’ont pris petit à petit les reporters couvrant celui-ci. Deux en particulier, Joe Berlinger et Bruce Sinofsky, ont accumulé des dizaines d’heures d’archives vidéo ayant servi à produire une trilogie de documentaires, Paradise Lost. Quiconque aura vu ces films ou le dernier docu en date West of Memphis (2012), projeté à Deauville, qui revisite l’enquête sous un nouveau jour, apprendra peu de choses dans le film d’Egoyan. Tout juste le film ose-t-il pointer du doigt la thèse d’un infanticide perpétré par Terry, le mari de Pamela (joué ici par Alessandro Nivola), une théorie appuyée par de nombreux indices que le film décide tout simplement de reléguer aux cartons de générique de fin. Le spectateur est laissé à ses propres réflexions, sans direction ou parti-pris clairement énoncé.

La qualité du casting, qui comporte un nombre incroyable de têtes connues du petit écran (Stephen Moyer, Mireille Enos, Kevin Durand… et la liste continue) permet de compenser cette impression tenace d’assister à un docu-drama où la fiction elle-même servirait à introduire un débat de fin de soirée avec les véritables protagonistes de l’histoire. Les savoir-faire rassemblés garantissent certes que le résultat ne ressemble pas à un téléfilm fauché de la TNT, mais dans le genre, le dernier opus d’Egoyan sur un thème similaire, Captives, présenté au dernier Festival de Cannes, semble à la fois plus prometteur et plus personnel pour le réalisateur canadien.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troisurcinq
Les 3 crimes de West Memphis (The devil’s knot)
D’Atom Egoyan
2013 / USA / 114 minutes
Avec Reese Witherspoon, Colin Firth, Alessandro Nivola
Sortie le 7 octobre 2014 en vidéo chez Rimini Editions
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