Après avoir enchaîné ces dernières années les prestations musclées dans des films plus ou moins rondement menés (Taken et sa suite, bien sûr, mais aussi Non-Stop ou Le territoire des loups) et promis qu’il prendrait un peu de distance avec le genre – c’est loupé, vu qu’il vient de tourner Taken 3 -, Liam Neeson s’accorde une pause dramatique méritée avec Balade entre les tombes. Ce film signé Scott Frank (réalisateur du sympathique The Lookout, et scénariste du dernier Wolverine, entre autres) permet de porter à l’écran le personnage de Matt Scudder, détective privé à la limite de la légalité inventé par le prolifique romancier Lawrence Block. Héros de 18 romans, Scudder avait déjà eu les honneurs d’une première adaptation, plutôt infidèle, en 1986 avec Huit millions de façons de mourir, dernier film de Hal Ashby où Jeff Bridges tenait le rôle-titre… mais l’action y était déplacée à Los Angeles.

Cette version moderne, qui adapte la dixième enquête de Scudder, s’avère beaucoup plus pertinente à ce niveau : le personnage, qui a désormais dépassé la soixantaine, y est saisi au crépuscule d’une carrière marquée par les bavures et des réunions répétées chez les Alcooliques anonymes.

Qui appelez-vous en cas de kidnapping ?

Balade entre les tombes : noir et nostalgique

Comme nous l’apprend une brutale séquence pré-générique qui nous replonge en 1991, Scudder a commis l’erreur de dessouder quelques gangsters sous l’emprise de l’alcool. Le détective résume ce drame qui lui a coûté son poste de flic en répétant « qu’à partir de ce moment, ça n’était plus drôle du tout ». Quelques années plus tard, à la veille du grand bug de l’an 2000, Scudder se voit demander un service des plus étranges : il doit venir en aide à un trafiquant de drogue (Dan Stevens, un régulier de Dowton Abbey que l’on verra bientôt dans The Guest) dont la femme a été kidnappée, puis découpée en morceaux par un duo de psychopathes, alors que la rançon avait été payée. Scudder comprend que ces malfaiteurs s’en prennent exclusivement à des gros bonnets du genre, puisqu’ils ne peuvent faire appel à la police et ont de grosses sommes d’argent à disposition. La torture est un bonus…

[quote_center] »Scudder n’est pas de cette race des action-hero sans tâches ni relief : c’est un homme brisé par la violence. »[/quote_center]

Balade entre les tombes porte manifestement en lui tous les stigmates d’un genre disparu : comme l’époque où se situe son intrigue, le film semble avoir été directement téléporté des années 90. C’est un véritable polar urbain (l’action se déroule dans un Brooklyn pré-9/11) mettant en valeur des personnages tous aussi noirs et désenchantés les uns que les autres, qui prennent le dessus sur les mano-à-mano endiablés que pourraient attendre les (nouveaux) fans de Liam Neeson. Certes, l’acteur irlandais n’est pas totalement en territoire étranger ici : il prête une nouvelle fois sa carrure, son timbre éraillé et son humanisme tourmenté à une figure d’autorité intimidante, qui n’a pas son pareil pour menacer des kidnappeurs par téléphone. Seulement, Scudder n’est pas de cette race des action-hero sans tâches ni relief : c’est un homme brisé par la violence, qui se raccroche aux leçons qui lui ont permis de rester sobre pour poursuivre son existence solitaire.

Une balade familière

Balade entre les tombes : noir et nostalgique

C’est tout du moins ce que l’on comprend entre les lignes d’un script qui passe beaucoup de temps à digresser sur des personnages secondaires guère transcendants. Il y a cet agaçant sidekick noir, jeune désœuvré aussi étranger à l’intrigue que pourrait l’être un trader de Manhattan, ou ces familles de trafiquants aisés, véritables clichés ambulants qui attirent certes la sympathie en étant confrontés à plus impitoyables qu’eux, mais ne laissent guère de trace. Plus flippants, les deux psychos en chef semblent sortis d’un épisode d’Hannibal, et leur omniprésence à l’écran dès le début de l’histoire enlève toute sorte de mystère à une enquête menée à un rythme placide et sans surprise.

Surtout, le réalisateur s’enferme, malgré son aisance remarquable pour faire revivre un lieu et une époque bien particuliers, dans une approche artistico-introspective qui alourdit plus qu’elle ne transcende son intrigue. Le meilleur exemple demeure sans doute cette fusillade nocturne dans le lieu qui donne son titre au film. Entrecoupée avec des images du rappel des « 12 étapes » typiques des AA, qui résonne en voix off dans l’esprit de Scudder, elle perd drastiquement de son impact, alors qu’elle devait résumer par ses enjeux (Scudder se confronte très littéralement à de purs démons, qui n’hésitent pas à mutiler des enfants) tout le chemin émotionnel parcouru jusque-là. Ces artifices et digressions inutiles entament en partie le capital sympathie d’un polar par ailleurs prenant et intègre, dont la fidélité à l’œuvre d’origine sonne aussi comme un aveu de nostalgie.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troisurcinq
Balade entre les tombes (A walk among the tombstones)
De Scott Frank
2014 / USA / 113 minutes
Avec Liam Neeson, David Harbour, Dan Stevens
Sortie le 15 octobre 2014
[/styled_box]