En surface, Les derniers jours prend une forme un peu trop reconnaissable ces temps-ci : celle d’une histoire de fin du monde avec ses plans larges désormais familiers sur une mégapole (en l’occurrence Barcelone, ce qui indique déjà que nous ne sommes pas en territoire si connu que ça) désertée et peuplée d’animaux, ses survivants terrés dans l’ombre, son virus d’origine inconnue… Un décorum particulièrement prisé au cinéma, dans le jeu vidéo ou l’animation. Le postulat du deuxième film des frères Pastor (après le sympathique Infectés, déjà un film de contamination, comme son nom l’indique) se révèle pourtant rapidement plus introspectif et révélateur que les autres. L’idée est simple, quelque peu invraisemblable, mais terrifiante en soi : et si une soudaine épidémie rendait la population agoraphobe, au point de ne plus pouvoir sortir de chez elle ou de son bureau, au risque de mourir d’une crise de panique aiguë ?

Avec un budget serré de cinq millions d’euros, Les derniers jours pousse ce postulat dans ses derniers retranchements, nous plongeant dès les premières minutes dans une société post-apocalyptique où ceux qui n’ont pas péri dans la rue sont retranchés dans le dernier immeuble où ils se trouvaient avant « La Panique ». Pour certains, comme Marc (Quim Gutierrez, Inside), c’est dans son entreprise, loin de sa petite amie Julia (Marta Etura). Lorsque un tunnel est enfin percé au sous-sol pour rejoindre le métro et qu’une possibilité de la retrouver apparaît, Marc s’associe à son ancien « bourreau », un liquidateur d’entreprise nommé Enrique (l’excellent José Coronado, vu notamment dans Box 507 et The Body) qui possède un précieux GPS, pour partir en quête de sa bien-aimée, en évitant à tout prix de mettre le nez dehors.

Redistribution des cartes

Les derniers jours : enfermés dedans

Les frères Pastor ont eu le nez creux en choisissant de situer l’intrigue de leur film dans une cité espagnole au lieu, par exemple, de New York. Certes, Les derniers jours ne dispose pas du coup d’un budget mirifique, mais l’odyssée souterraine de Marc et Enrique acquiert, par la force des choses, une portée insoupçonnée au vu de la situation économique du pays. Marc est un bourreau de travail rétif à s’engager dans une vie de famille avec Julia, rendu presque asocial par de longues journées de travail passées devant son ordinateur, et qui voit l’arrivée d’Enrique (surnommé « El Terminator » par ses collègues) comme une menace arbitraire. Celui-ci lui annonce dans une scène « qu’il faudra bien renvoyer quelqu’un ». Comment ne pas voir dans ce rapport de force, rendu soudain dérisoire lorsque l’Apocalypse fait s’effondrer les repères de la société, un commentaire acerbe sur le sentiment d’injustice qui se développe actuellement dans la société espagnole ? Et du coup, ne pas considérer cette apocalypse insidieuse, comme une forme de libération ?

[quote_center] »David et Alex Pastor confirment que nous avons raison, aujourd’hui, d’être pessimistes quant à notre avenir, et qu’il nous faudrait repartir de zéro pour bâtir une meilleure société. »[/quote_center]

Car étonnamment (et c’est un discours particulièrement gonflé si l’on y réfléchit bien), Les derniers jours parle moins de fin du monde que de redistribution des cartes. Comme si le rêve des anarchistes de Fight Club se révélait réalité : « La Panique », qui conduit chaque habitant à devoir rester à vie dans les lieux anonymes où il passait l’essentiel de ses journées (son appartement, le métro, le bureau, les centres commerciaux), devient littéralement un moyen pour ceux qui en ont la force de révéler en quelque sorte leur vraie nature. Les symboles utilisés dans le film pour montrer « l’éveil » de nos deux anti-héros sont certes grossièrement soulignés (ils récupèrent l’eau de pluie pour boire, affrontent un ours (!) dans une église pour le manger, font du feu pour s’éclairer dans les égouts), mais demeurent particulièrement évocateurs. Ils permettent en plus de rendre les deux personnages, aussi individualistes que sans remords, attachants car confrontés à des dilemmes et des peines universels. Il n’est pas nécessaire d’aimer Marc et Enrique pour s’émouvoir de leur amitié naissante, ou du respect qui finit par naître entre eux, alors que resurgit leur instinct de conservation, bridé si l’on en croit les frères Pastor par notre mode de vie toujours plus contrôlé et déshumanisé.

Un petit pas pour Marc…

Les derniers jours : enfermés dedans

Le film est ainsi rempli de symboles et de séquences virtuoses, quasi autonomes, où le discours rousseauiste des réalisateurs/scénaristes éclate, le plus souvent sans avoir recours à des dialogues superflus. En témoignent ces plans en apparence anodins sur des rues Barcelonaises rendues à l’état sauvage, ou cette caméra plongeant depuis la surface sous les égouts, où un homme savoure une pluie providentielle, comme il ne l’a sans doute jamais fait avant. La structure narrative même des Derniers Jours, qui jongle entre l’avant et l’après-Panique au moyen de flash-backs merveilleusement entrelacés, permet d’instaurer une forme de commentaire sur l’évolution des personnages et leur adaptation à des lieux qui ont eux changé de fonction. L’appartement de Marc est ainsi devenu un refuge pour une famille musulmane dans le besoin (l’occasion d’une très belle scène où le père mime un conte pour son enfant dans le reflet d’une télé éteinte), les stations de métro un lieu de chaos, le bureau une prison lumineuse, et le centre commercial un fort retranché où des « clans » se disputent les dernier biens de consommation non encore pillés. Marc Forster faisait de ce passage obligé un moment anodin et faussement original dans World War Z ; dans Les derniers jours, cette scène est l’occasion d’un monstrueux plan-séquence en remontrant aux Fils de l’homme, placé là pour servir de pivot dramatique à l’histoire de Marc et Enrique.

Car s’il est un point sur lequel les avis divergent à propos des Derniers jours, c’est sur l’épilogue du parcours de Marc, et sur la morale que certains jugeront naïve esquissée dans un ultime plan élégiaque, conclusion d’une ellipse particulièrement déstabilisante. Le lyrisme dégagé par cette fin prouve pourtant que les Pastor ont une foi absolue dans leur histoire, et dans le message qu’ils véhiculent. Dans un sens, ils confirment que nous avons raison, aujourd’hui, d’être pessimistes quant à notre avenir, et qu’il nous faudrait repartir de zéro pour bâtir une meilleure société. D’un autre côté, l’épreuve traversée par Marc suggère que faire le plus petit des pas pour vaincre ses peurs (en l’occurrence, pour lui, celle de la paternité) constitue le plus sûr moyen de vivre pleinement sa vie. Ça peut paraître angélique, mais Les derniers jours n’est pas de ces œuvres qui se moquent cyniquement du genre qu’elles illustrent : s’ils choisissent de parler de fin du monde, les frères Pastor en profitent surtout pour commenter l’état du nôtre. Dans cette optique, et au-delà des réelles qualités plastiques du film (qui paraît avoir coûté dix fois que son budget), la mission est plus que remplie.


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Les derniers jours (Los Ultimos Dias)
De David et Alex Pastor
Espagne / 2013 / 100 minutes
Avec Quim Gutiérrez, José Coronado, Marta Etura
Sorti le 7 août
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