Les promesses du cœur : amour, gloire et religion

par | 23 avril 2025 | À LA UNE, Critiques, NETFLIX

Les promesses du coeur : amour, gloire et religion

Au-delà de son histoire basique de triangle amoureux, Les promesses du cœur permet de découvrir un pan méconnu du cinéma indonésien.

Le cinéma indonésien est plus connu sur nos plateformes pour les actioners sanglants de Timo Tjahjanto (The night come for us, L’ombre rebelle) et les prises de Pancak silat d’Udo Uwais dans la saga The Raid. Pourtant, il existe toute une production locale liée à la religion majoritaire du pays : les films islamiques. C’est-à-dire des métrages qui se rattachent culturellement et spirituellement à la religion musulmane. En effet, le pays comptant le plus grand nombre de croyants musulmans dans le monde est bien l’Indonésie, avec 212 millions de fidèles pour 241 millions d’habitants. Avec un tel marché, il est inévitable que des producteurs sortent des films à destination de ces très nombreux croyants.

C’est à partir de 2008 que l’offre explose, avec le succès d’Ayat-Ayat Cinta (Les versets de l’Amour), ses 3,6 millions d’entrées et la critique élogieuse du président indonésien de l’époque, Usilo Bambang Yudhoyono. Depuis, les hits se sont enchaînés : Ketika Cinta Bertasbih en 2009 (Quand l’amour glorifie dieu), Hijrah Cinta (L’Hijra de l’amour) en 2014 ou encore Bismillah Kunikahi Suamimu en 2023 (Au nom de l’amour, j’épouse mon mari). C’est donc avec une vraie curiosité et le côté grisant de découvrir une terra incognita cinématographique que l’on démarre Les Promesses du cœur, réalisé par Anggy Umbara et adapté d’un roman à succès écrit par Habiburrahman El Shirazy, prédicateur et écrivain à succès après l’adaptation… de ses Versets de l’amour. Une expérience concluante ?

De l’eau beaucoup trop rose

Les promesses du coeur : amour, gloire et religion

La petite Niyala habite dans un petit village de pêcheurs. Studieuse, elle a pour meilleur ami Faiq, fils d’une famille aisée et se fait ennuyer par Roger, le fils du violent prêteur sur gage Cosmas qui étrangle financièrement la petite communauté. Des années plus tard, après la mort de sa mère, grâce à l’aide de la famille de Faiq, elle part à Jakarta pour réaliser son rêve : devenir médecin. Tous deux seuls et étudiants, des sentiments commencent à naître parmi nos deux protagonistes. Hélas l’idylle naissante est brisée par le départ de Faiq pour le Caire afin d’étudier la théologie. Au village, écrasé par les dettes, le père promet la main de Niyala à Roger, devenu gentil et charmeur. À son retour, Faiq ne doit pas décevoir sa mère en acceptant un mariage arrangé. Est-ce que Niyala va succomber à Roger ou déclarer sa flamme à Faiq ? Faiq va t’il avouer ses sentiments pour Niyala au risque de se couper de sa famille ? Roger est-il vraiment aussi gentil avec son Powerpoint ?

« Les promesses du coeur nous montre des femmes indonésiennes pieuses et maîtresses de leur destin. »

Des questions vues et revues dans les histoires de triangle amoureux de soap opera, qui trouveront des réponses tout aussi convenues, accompagnées d’une réalisation très plate dont le principal gimmick seront ces scènes de pleurs ou de réflexions sur la plage en regardant le soleil couchant. Disons-le sans détour : si l’on détache le métrage de son environnement culturel, Les promesses du cœur est médiocre. On retiendra malgré tout une mignonnerie assez originale comme le jeu que font Faiq et Niyala à chaque repas : chacun doit deviner son plat avant d’ouvrir la lunch box. Des moments d’autant plus sympathiques que les acteurs principaux Beby Tsabina et Deva Mahenra (tous deux connus pour des séries télés) forment un couple très crédible.

Plongée dans l’islam indonésien

Les promesses du coeur : amour, gloire et religion

En fait, Les promesses du cœur est un film qui demande, qui réclame même, la qualité première d’un vrai cinéphile : de la curiosité. Avec nos yeux d’occidentaux, sans référence culturelle, la romance est en effet insipide et le twist final complètement téléphoné. Mais si l’on a la curiosité de tout remettre dans le contexte islamico-indonésien, le film offre un vrai contrepoint à la vision négative de l’islam trop fréquente en Europe.

Il faut savoir que ces films islamiques sont plébiscités par les jeunes générations, car ils se veulent des leçons pour régler les problèmes de la vie quotidienne, comme les relations sentimentales, le travail, les parents tout en se conformant aux valeurs religieuses. On y retrouve les mêmes histoires d’étudiants brillants aux prises avec des histoires familiales ou d’amours insolubles. Pourquoi des étudiants talentueux ? Car la réussite personnelle comme le succès dans les études et l’ascension sociale sont des preuves de sa propre piété. Ainsi, en devenant une docteure respectée ou en étant diplômé de la prestigieuse université Al Azhar du Caire, Niyala et Faiq doivent être vus non pas comme de simples archétypes d’une romance, mais comme des exemples de vie en adéquation avec la religion.

Maîtresses de leur destin

Les promesses du coeur : amour, gloire et religion

Le film est également notable pour son point de vue féministe. Si la place de la femme dans les pays musulmans est très précaire lorsque l’extrémisme est au pouvoir comme en Afghanistan ou en Iran, Les promesses du coeur nous montre des femmes indonésiennes pieuses et maîtresses de leur destin, qui peuvent être célibataires et indépendantes et sont des piliers importants de la société. Une vision fidèle à l’idéologie politique officielle de l’Indonésie, le pancasila, qui prône la croyance en Dieu, l’humanité juste et civilisée, l’unité nationale, la démocratie et la justice sociale. Mais fidèle, aussi, à l’islam indonésien, qui se veut historiquement modéré, ouvert aux évolutions de la société et aux autres religions, et dont les grandes associations s’opposent régulièrement aux Pays du Golfe.

Certes, l’Indonésie n’a pas le monopole d’une lecture « libérale » de la religion musulmane dans son cinéma ou sa politique et l’intégrisme y est présent. Mais Les promesses du coeur permet de décentrer nos regards d’européens sur une religion et des pratiques, que l’on pense à tort monolithiques. Ainsi, si l’on ne regardera certainement pas le film d’Anggy Umbara pour sa réalisation époustouflante et sa romance originale, c’est un point d’entrée intéressant pour découvrir un type de film inédit dans nos contrées et affiner sa propre connaissance des pays asiatiques.