Aussi remarquée (et pour certains remarquable) que soit la filmographie de Rob Zombie, les quatre films réalisés jusque là par la rock star (sans compter son faux trailer pour Grindhouse) se sont surtout imposés comme des œuvres clivantes, ou au moins controversées. De La Maison des 1000 morts aux deux Halloween en passant The Devil’s Rejects, chacune de ses tentatives, en dehors de ses performances au box-office, a été accueillie avec soit un enthousiasme délirant, soit un rejet farouche. Cinéaste cinéphage, portant Carpenter ou Friedkin en haute estime, Zombie n’a malgré tout jamais connu, excepté peut-être avec Devil’s Rejects, le genre d’unanimité qui cimenterait son statut de vedette du cinéma d’horreur. Le veut-il seulement ? Avec Lords of Salem, le réalisateur, qui s’est associé aux petits malins de Blumhouse Productions (Insidious, Sinister, etc.) pour bénéficier, en contrepartie d’un budget modeste, d’une totale liberté artistique, semble au contraire vouloir creuser un sillon (sic) de plus en plus personnel et tranché. La moindre des qualités du bonhomme n’est pas de se préoccuper du qu’en dira-t-on. Lords of Salem déjoue toutes les attentes, pas forcément pour le meilleur, mais on ne peut nier le côté jusquauboutiste de sa démarche.

Le 33 tours infernal

The Lords of Salem : une fille pour le diable

[quote_right] »À trop vouloir privilégier l’assaut sensitif au détriment d’une intrigue elle-même déjà très convenue, Rob Zombie se tire au final une balle dans le pied. »[/quote_right]Comme son titre l’annonce efficacement, Lords of Salem se déroule dans la célèbre cité du Massachussetts, où les procès pour sorcellerie font plus partie du foklore local que du quotidien des habitants. Sauf que comme nous l’apprend le poisseux flashback qui ouvre le film, au XVIe siècle, les sorcières existaient bel et bien, et priaient de toutes leurs forces pour que Satan fasse venir son fiston sur Terre. Plus de 300 ans après leur exécution, une jeune animatrice de radio, Heidi (Sheri Moon Zombie), reçoit un mystérieux vinyle du nom d’un groupe inconnu, les Lords of Salem. Vintage, certes, mais diabolique : l’écoute de ce disque provoque chez l’ancienne junkie comme chez d’autres femmes de Salem, un incompréhensible malaise. La réalité se disloque : par-delà les siècles, la malédiction proférée par les sorcières de Salem prend forme, et rien ne peut la stopper, pas même l’enquête menée par l’écrivain Francis Matthias (Bruce Davison). Il est temps de sortir les boucs !

Ceux qui aimaient le côté crasseux, férocement redneck et visuellement secoué du réalisateur, peuvent revoir leur enthousiasme à la baisse : Rob Zombie, qui n’a jamais caché son amour pour le cinéma de genre des années 70, réalise ici son film le plus ouvertement référencé. Dans un réflexe qui rappelle beaucoup le travail de Ti West sur House of the Devil, Zombie adopte pour les besoins de son œuvre démoniaque un rythme et une esthétique qui rappellent énormément le cinéma de cette époque. On y entend même du Velvet Underground pour faire bonne mesure. Plus regrettable, malgré les visions horrifiques qui assaillent progressivement la frêle Heidi (un prêtre libidineux, un homme sans visage dans un cimetière…), pour la plupart inutiles au-delà de leur aspect choc, le film s’avère une bonne partie du temps étrangement « reposé », voire indolent.

Cadeau de Zombie

The Lords of Salem : une fille pour le diable

Voir par exemple l’enquête du démonologiste Matthias, passage obligé de scénariste pour inclure quelques dialogues explicatifs dans l’intrigue, que Zombie traite avec toute la distance et l’absence de point de vue qui s’impose. Ou les pitoyables émissions radiophoniques de Heidi et son équipe, qui servent surtout à justifier l’emploi d’un vinyle malfaisant (et d’un thème musicalement aussi imparable qu’éprouvant, qui nous informe donc que la vraie musique du Diable serait le drone) et à donner un rôle à Ken Foree (Zombie, ça ne s’invente pas) et Jeff Daniel Philips (Halloween II), grimé comme un sosie de l’ami Rob. Que celui-ci soit secrètement et désespérément amoureux du personnage de Sheri Moon, égérie exclusive à la ville de son cinéaste de mari – est-ce un hasard si elle ne tourne quasiment que pour lui ? – en dit long sur les choix de réalisation de Zombie, qui plus que jamais met en valeur sa femme au détriment même de l’intrigue. Lords of Salem est un cadeau déglingué qu’il lui offre sans retenue, son rôle exigeant un abandon physique complet qui constitue le cœur d’un film égo-centré, n’en devenant du coup que plus bancal.

Car si l’on adhère parfois à l’esthétique outrageusement léchée des compositions de Zombie et de son DP Brandon Trost, sur lesquelles plane constamment l’ombre de Kubrick, Ken Russell et Jodorowski (le Requiem de Mozart est même invoqué, histoire d’être bien clairs), Lords of Salem, en tant que film d’épouvante au crescendo narratif savamment entretenu – il n’est pas compliqué de savoir où tout ça va nous mener – manque in fine cruellement de surprises et de consistance. Les 100 et quelques minutes du métrage sont ainsi saturées de plans marquants, qui ont beaucoup contribué au buzz généré autour de la sortie du film, mais qui replacés dans leur contexte, n’ont rien de transcendant ou même de cohérent. Heidi pelotée par un black métalleux (un fan de Belphegor ?), secouant les tentacules d’un nain ventru,  ou observée par une sorte de Yéti difforme dans l’ombre d’une chambre éclairée par une croix rouge (?), par une sorcière nue dans sa cuisine ou un vicaire au visage fondu, et finalement prisonnière d’un sabbat forcément sanguinolent… Autant d’images puissantes, mais tellement déconnectées les unes des autres, tellement gratuites et référencées, qu’elles auraient plus leur place dans l’univers du clip musical.

L’horreur sans compromis

The Lords of Salem : une fille pour le diable

À trop vouloir privilégier l’assaut sensitif au détriment d’une intrigue elle-même déjà très convenue, Rob Zombie se tire au final une balle dans le pied. Son Lords of Salem provoque certes un sentiment de malaise diffus, car le réalisateur, loin d’être un manchot, n’a aucun mal à garder le cap, de la première à la dernière image, d’un spectacle sans compromis, qui appuie à fond sur tous les aspects potentiellement glauques d’un tel sous-genre : sexualité déviante, nudité monstrueuse, incantations macabres et infanticide. Seulement, ce déballage sataniste est mis au service d’une histoire aussi creuse qu’un tronc d’église, un récit bancal et volontiers confus qui s’épuise à glorifier, par le truchement de maquillages et de poses recherchées, une actrice qui n’est exceptionnelle qu’aux yeux de son Pygmalion.

Très clairement, Zombie ne risque une nouvelle fois pas de faire l’unanimité avec ce cinquième essai. Pas étonnant qu’il ait conclu sa phase horrifique (le réalisateur dit vouloir explorer dorénavant d’autres genres) avec une histoire de secte prenant le pouvoir sur un parterre épars de victimes consentantes : le cinéma de Zombie paraît lui aussi et plus que jamais, être conçu pour séduire avant tout les fans et les initiés.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Deuxsurcinq
The Lords of Salem, de Rob Zombie
2012 / USA / 101 minutes
Avec Sheri Moon Zombie, Ken Foree, Bruce Davison
Sorti le 9 octobre chez Seven 7
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