Manhunt : John Woo manque sa cible
Véritable déception, Manhunt rejoue à sa manière maladroite les grands polars de John Woo, avant de sombrer dans le bis pur et dur. Un ratage sans appel.
Peut-être moins connue de la jeune génération, l’œuvre de John Woo est cruciale dans l’histoire du film d’action, et de la manière dont celle-ci peut, et doit, être filmée. Héritier de Sam Peckinpah autant que de Jean-Pierre Melville, Woo fut touché par la grâce au milieu des années 80, quand après des dizaines de films de commande, il signe le premier Syndicat du crime. Romantisme chevaleresque, ralentis grandioses, violence chorégraphiée en appelant à l’univers du ballet, tournage à caméras multiples et montage au millimètre : plus qu’un style, c’est un nouveau champ des possibles que les polars hongkongais de John Woo ont ouvert, avec comme point culminant À toute épreuve en 1992. Malgré une prolifique carrière américaine (dont on retiendra surtout deux collaborations fructueuses avec Nicolas Cage, Volte/Face et Windtalkers) et une production historique prestigieuse (Les trois royaumes), John Woo n’a sans doute jamais fait mieux. Et Manhunt a ceci de terrible qu’il laisse supposer que la flamme qui l’animait alors a peut-être bien disparu.
Chasse à l’homme au Japon
En mode fusillade automatique
Derrière sa trame de polar très familière (pour ne pas dire plus), Manhunt se révèle vite être un exercice difficile de reconquête d’un style perdu. Les profanes tiqueront d’emblée devant les fondus enchaînés évanescents, une discussion cinéphile étrange entre deux inconnus, un fond sonore jazzy fournissant le contrepoint d’une fusillade expéditive… Des signes distinctifs, des appâts reconnaissables entre mille pour qui vénère l’ami Woo. « Je suis de retour », semble-t-il murmurer. Mais rapidement, il devient évident que quelque chose cloche. Cela tient peut-être à la stupidité d’une intrigue sur laquelle le spectateur a toujours deux trains d’avance, à l’incohérence des dialogues sautant d’une langue à l’autre sans raison (les deux héros parlent anglais comme s’ils doublaient les Expendables avec un coup dans le nez), ou à un montage haché qui massacre plus qu’il ne sublime les scénographies spectaculaires de John Woo ? C’est, plus sûrement, tout ça à la fois. Manhunt a des allures de best of lyophilisé multipliant les clins d’œil visuels ou narratifs à tout un tas de films passés à la postérité : on y cause de « better tomorrow », il y a des motards vêtus de noir, deux amis/ennemis rassemblés par leur sens de la justice, une poursuite en jet-ski, et on explose des colombiers au ralenti au cas où vous ne sauriez pas qui tient la caméra.
Quand le dernier acte arrive, nous enfermant dans une sorte de laboratoire métallique avec des méchants patibulaires et des mutations dignes de Street Fighter le film ou, justement, du cinéma HK dans ce qu’il avait de plus bis, on se dit que John Woo a peut-être bien touché le fond. Celui qu’il tutoyait dans ses productions les plus anonymes, comme Paycheck ou le téléfilm Blackjack. Manhunt n’est peut-être pas aussi ennuyeux, mais fait de la peine, et ne laisse pas augurer du meilleur pour le prochain projet du cinéaste… qui se trouve être un remake en anglais de son propre The Killer.