Outlaw King : à l’assaut du trône du Nord
Séquelle spirituelle de Braveheart, Outlaw King condense une intrigue de guerre médiévale en deux heures menées au grand galop. Au risque de paraître précipité.
Même si ce n’est pas l’intention de son metteur en scène David MacKenzie, Outlaw King : le roi hors-la-loi aurait pu disputer la couronne du film historique écossais à Braveheart, qui se déroule à la même période, et sert en quelque sorte de préquelle. On ne saurait trop vous conseiller de revoir le film de Mel Gibson lors d’un double programme médiéval, ne serait-ce que pour juger de l’écart cinglant entre les deux approches esthétiques et narratives choisies par leurs auteurs. Là où Gibson manipulait sans aucun complexe la réalité historique et la chronologie des faits (son kilt lui-même était anachronique), le réalisateur de Comancheria met l’héroïsme belliciste et l’hyperbole hollywoodienne en sourdine. S’il s’accorde aussi quelques libertés avec les faits, Outlaw Kingest indéniablement une épopée « réaliste » et crasseuse. Un film d’aventures clairement adapté à une époque et un public qui se gargarise des intrigues de cour et des mises à mort visqueuses d’un Game of Thrones.
Le premier roi d’Écosse
À la lueur vacillante de quelques bougies, Outlaw King démarre dans le prolongement des événements contés dans Braveheart : après que la rébellion menée par William Wallace ait été matée par le roi Edward II (Stephen Dillane, aussi peu amène sous sa couronne… que dans Game of Thrones), les lords écossais se partagent les vestiges d’un pouvoir qui leur a été confisqué par l’Angleterre. Chacun doit prêter allégeance au monarque, qui s’empresse de bombarder avec une catapulte ridiculement démesurée une cité désobéissante, juste pour l’exemple. MacKenzie filme ces tractations politiques et cette démonstration de force métaphorique en un seul plan, faisant tourner sa caméra entre ombre et lumière, entre boue et ors des élites, sans relâcher la pression. Tout le film à venir est présenté ici, y compris l’opposition à venir entre Robert de Brus (ou le Bruce), interprété par Chris Pine (déjà dans Comancheria), et le prince de Galles et fils du roi (Billy Howle, belle racaille en costumes), qui se provoquent inopinément en duel. Car Robert, malgré cette paix forcée, va être forcé à se rebeller contre l’Angleterre. S’auto-couronnant roi d’Écosse, il entraîne de maigres forces dans une bataille qu’il ne peut, a priori, gagner…
Tourné entièrement en Écosse, au pied des lochs et de ses rivages tumultueux, Outlaw King est marqué par son environnement grandiose, la succession de châteaux (bien réels et augmentés numériquement) et de plaines vierges de toute empreinte humaine faisant ressembler le long-métrage à une invitation au voyage digne de ce qu’avait réalisé Peter Jackson pour la Nouvelle-Zélande. MacKenzie peuple cet univers sauvage, dangereux et virginal de personnages meurtris. Le père de Robert (James Cosmo) est au crépuscule de sa vie, sa jeune femme (Florence Pugh, petite révélation), féministe avant l’heure, tente d’être plus qu’une monnaie d’échange, James Douglas est un héritier sans terre qu’Aaron Taylor-Johnson (Godzilla) interprète avec une rage hystérique digne d’un raveur défoncé à la meth… Même les nobles, écossais ou anglais, sont dépeints comme des opportunistes obsédés par leur lignée et leur honneur. Le futur Robert 1er n’est pas nécessairement différent d’eux, mais Chris Pine, pas le plus extraordinaire des acteurs, lui insuffle à doses égales charisme et modestie, rigueur morale et panique intérieure. Son roi Robert est plus taiseux et moins démonstratif qu’un William Wallace beuglant son nécessaire besoin de « libertééééé », mais c’est parce qu’il est présenté comme un leader conscient du coût astronomique à payer pour rester fidèle à ses valeurs. Outlaw King organise sa rébellion non pas comme un appel aux armes galvanisant, mais comme une fuite en avant où alliés et victimes innocentes paient le prix des actes d’un seul homme. En ce sens, l’inévitable bataille finale, qui évoque par sa radicalité gore, ses couleurs terreuses et son atmosphère de mêlée désespérée et absurde la « Bataille des Bâtards » de GOT, se perçoit moins comme un accomplissement glorieux que comme une délivrance un brin dérisoire. Après tout, des siècles plus tard, l’Écosse n’a toujours pas eu son mot à dire sur la sortie du Royaume-Uni de l’Europe…
Un montage au pas de charge
Parce qu’il se veut plus politique qu’épique, plus fidèle à l’Histoire qu’inventif, Outlaw King peut paraître laborieux. Avec son héros sur la défensive, plus victime qu’acteur des rebondissements qui s’enchaînent, ses intrigues nous ballotant d’un lieu à l’autre en un éclair, son approche rigoureuse – et donc étonnante – des costumes et folklores locaux de l’époque, le film s’avère moins facilement digérable qu’on pourrait le penser. Et c’est aussi une qualité ! Le plan-séquence qui ouvre le long-métrage donne malgré tout une fausse idée de la virtuosité à l’œuvre au final. C’est une entrée en matière impressionnante, imprimant un rythme qu’Outlaw King va pourtant s’acharner à contredire, en choisissant d’empiler les péripéties à un rythme métronomique sans s’appesantir sur les moments creux qui lui permettraient de respirer, de s’incarner et de marquer les mémoires au fer rouge.
Touchante et poétique, la romance « forcée » entre Robert et sa jeune reine n’existe par exemple que par l’alchimie entre ses acteurs, qui n’ont que quelques scènes pour établir la crédibilité de leur relation. Les compagnons du roi rebelle ont moins de chance : certains sont ses frères, d’autres de fidèles amis, mais bon courage pour les reconnaître ou vous en souvenir. Il faudra par contre se farcir toute une sous-intrigue sur James « what’s my fucking name » Douglas et son interprète cabotin, sans qu’elle n’apporte grand-chose de neuf à l’action. Outlaw King, parce qu’il a les moyens de ses ambitions, aurait pu nous immerger complètement dans son monde, s’il ne passait pas son temps à zapper d’une scène à l’autre comme un ado pressé de terminer sa fiche de lecture d’un tome des Rois maudits.
On ne saura jamais si le premier montage d’Outlaw King projeté en avant-première mondiale au Festival de Toronto, était meilleur que celui que le réalisateur a rendu à Netflix. Raccourci de vingt minutes, le film demeure imposant, mais haché, rectiligne et amputé de pas mal des nuances qui auraient pu faire de certains protagonistes autre chose que des silhouettes barbues et belliqueuses. Le spectacle est bien là, mais comme coupé dans ses élans, tronqué dans son exploration réflexive et désacralisante d’une période généralement plus ouverte aux légendes qu’à une recréation pointue et dépassionnée.