Décidément, rien de peut résister au génie de Joss Whedon ! Le script-doctor d’Hollywood, créateur de séries cultes (Buffy, Angel, Serenity, Firefly, Dolhouse, Dr Horrible), initiateur de comic-book à ses heures perdues et réalisateur de blockbusters monstres (The Avengers), comme de séries B à succès (La Cabane dans les bois) adapte aujourd’hui brillamment Shakespeare.
Pièce écrite en 1 600, Beaucoup de Bruit pour rien raconte la visite du prince Don Pedro et de ses deux chevaliers Claudio et Benedict chez son ami Leonato. Si Claudio tombe sous le charme de la fille de ce dernier Hero, Benedict retrouve sa nièce Beatrice avec qui il échange de multiples joutes verbales. Un conte cruel et intemporel adapté au cinéma dans les années 90 par Kenneth Branagh.
Comment Joss Whedon a-t-il pu enchaîner le tournage de The Avengers et l’adaptation de cette pièce à petit budget, en noir et blanc dans sa propre maison ? Pour répondre à ses fans français, le papa de l’Élue a fait le déplacement à Paris à l’occasion de l’avant-première de son film lundi 20 janvier sur les Champs-Élysées. La salle comble a accueilli Joss Whedon avec une ovation avant et après (ouf) la projection du film. Pendant près d’une heure et avec beaucoup d’humour, le réalisateur a éclairé le public sur ce film hors-norme.
Lire la critique de Beaucoup de bruit pour rien.
Pourquoi avez-vous réalisé ce projet avant le montage de The Avengers ? Est-ce une manière pour vous de vous changer les idées ?
À la fin du tournage de The Avengers, je devais initialement partir en vacances à Venise avec mon épouse. Et elle a dit : « Non, tu dois te relaxer, tu devrais faire un autre film ». Elle a ajouté : « Tu as le casting, tu as l’équipe, je te donne le décor, tu as tout ce qu’il faut, fonce. » Elle avait raison. Je ne sais pas comment me reposer. Pour moi, c’était un soulagement de ne plus filmer des combats de superhéros !
Pourquoi avoir choisi d’adapter cette pièce avec un petit budget ?
J’admire l’œuvre de William Shakespeare, j’adore également filmer Amy Acker et les tous les autres membres du film. J’attendais aussi depuis longtemps de filmer cette maison incroyable que ma femme a construite.
Comment avez-vous réussi, avec les mots de William Shakespeare, à imprimer votre patte sur ce projet ?
Je cherchais à rendre cette pièce plus actuelle. L’idée de cette adaptation vise à montrer des personnages contemporains tout en jouant sur la prétention des personnages qui refusent de se regarder en face, et ne voient pas le bonheur quand il se trouve en face d’eux. J’ai grandi avec les mots de Shakespeare, j’ai, en quelque sorte, envisagé le texte comme le mien.
Votre film est différent de celui de Kenneth Branagh dans les années 90. Aviez-vous peur de faire la même chose que lui et vous en êtes-vous parfois inspiré ?
Je l’ai vu plein de fois. Il m’a inspiré. J’ai essayé de faire mon propre film, sans volontairement faire le contraire. Il semble que Kenneth Branagh est quelqu’un de plus équilibré que moi. Ma version diffère.
[quote_right] »J’ai grandi avec les mots de Shakespeare. »[/quote_right]Étiez-vous parfois frustré de ne pouvoir changer le texte ? Vous avez quand même changé des choses. Le personnage de Conrad devient une femme, par exemple.
Non, au contraire, je m’en suis trouvé soulagé de ne pas avoir à m’occuper du texte et à en faire des changements. J’ai changé Conrad en fille, je pense qu’il s’agit d’un joli rôle pour une fille. L’intérêt réside dans la manière dont vous interprétez le texte sans le trahir.
Pourquoi avoir fait le choix du noir et blanc ?
Oui, je l’avoue, tous mes amis sont en couleur (rire). Le film rendait très bien, mais certaines couleurs étaient trop flashy et trop fortes. La seule façon de s’en débarrasser restait de transformer l’image en noir et blanc. Mais avant tout, je voulais retrouver l’ambiance des films des années 40, à la fois dramatiques et sombres, tout en gardant un aspect comique et léger. Je voulais apporter à mon film cette élégance. Il y a une robe turquoise dans la scène du bal. Croyez-moi, vous êtes très content de ne pas l’avoir vu en vrai !
Comment Amy Acker, Clark Gregg et Alexis Denisof sont-ils devenus vos acteurs fétiches ?
Nous sommes devenus amis quand j’ai compris que je pouvais les gérer. (rires) Dès que j’ai rencontré Amy, je savais que je la suivrais quoiqu’il arrive. Pour Alexis, le processus fut plus long. Pour Clark Gregg, le coup de foudre fut immédiat, j’ai compris qu’il y avait beaucoup à partager avec lui en tant que compagnon de route. Avant le film, je connaissais très peu certains acteurs. Mais l’important réside dans le fait qu’ils ont beaucoup de talent et de beaux vêtements…
Dès le début, je savais qui j’allais prendre pour les personnages de Beatrice (Amy Acker), Benedict (Alexis Denisof) et Dogberry (Nathan Fillion). Les autres représentaient mon premier choix (« my A-list »). Au cas où ils ne pouvaient pas se rendre disponibles au moment du tournage, je pensais à d’autres personnes. Je dispose en effet d’une super troupe d’acteurs autour de moi.
Pourquoi avoir donné à Nathan Fillion le rôle de Dogberry ?
« Because he’s an ass. » (Référence à son patronyme dans la pièce. Un personnage qualifie entre autres Dogberry d’âne, ndlr).
Vos personnages se servent verre sur verre. Vos acteurs buvaient-ils vraiment sur le tournage ?
Étonnamment, personne n’a bu pendant le tournage. Sans doute parce qu’ils devaient apprendre huit pages de dialogues élisabéthains chaque jour, ils sont restés sobres. Par contre, le samedi soir, une fois que nous avions achevé le tournage, le vin était vrai !
Comment avez-vous fait pour tourner un film en 12 jours ?
Je suis habitué à travailler vite et sans trop de budgets avec la télévision. Je trouve fortement plaisant de laisser jouer toute la scène sans les couper. Par contre, cela m’a semblé stressant et parfois compliqué. En particulier si le chien de votre voisin est malheureux !
Combien a coûté le film ?
Pourquoi tout le monde veut savoir ça ? Disons, un peu moins que The Avengers ! (rires)
Avez-vous eu des difficultés à distribuer le film à l’étranger ?
Lorsque nous avions fait ce film, nous pensions surtout le revoir de temps en temps à la maison. Il est sorti au cinéma, je pensais plutôt le diffuser sur Internet. J’en suis très heureux. Un enchaînement naturel de choses m’a amené à présenter le film devant vous ce soir.
La suite de The Avengers sera-t-elle une comédie musicale ? (rires)
Non, mais apparemment, le casting entier sait chanter et danser… Je peux vous révéler la scène d’après-générique ! Non, je ne suis pas sûr que les avocats de chez Disney approuveraient…
Souhaitez-vous refaire une autre adaptation d’une pièce de Shakespeare, peut-être une tragédie ?
Pas dans l’immédiat, je voudrais juste venir à bout de The Avengers II (rire). Si je veux réaliser Hamlet ? Peut-être…
Êtes-vous intéressé par l’adaptation d’autres auteurs ?
Parce qu’il y en a d’autres ? (rire) Shakespeare représente quelque chose de particulier pour moi. Je préfère travailler sur mes propres textes. Si je devais nommer un auteur, je dirais quelque chose de très différent : Stephen Sondheim (le compositeur des musiques et des paroles des comédies musicales Sweeney Todd et West Side Story, ndlr).
Dans votre processus d’écriture, est-il compliqué pour vous de trouver l’inspiration ?
Non, j’ai compris récemment que dans tout ce que j’écris réside une part de ma vie. Je me m’en rendais pas compte avant. Peut-être quatre ans après la fin de Buffy, j’étais dans mon bureau et je me suis dit « Ho putain, j’étais Buffy ! » (rires).
Lire la critique de Beaucoup de bruit pour rien.
Crédit photos : unificationfrance.com/comedieromantique.com