Le Rituel : perdons-nous dans les bois…
Son pitch et son titre ne laissaient présager rien de bon, mais Le Rituel n’en est que plus surprenant : ce film d’épouvante forestier s’avère aussi maîtrisé qu’efficace.
Quiconque s’est, comme nous, aventuré à de nombreuses reprises dans le sous-genre du survival, sait qu’avec ce type de films, on déterre dix navetons pour une bonne surprise. Plonger une poignée de personnages dans un décor campagnard – sauvage – inquiétant (rayez la mention inutile), pour les faire mordre la poussière à cause de rednecks consanguins, de bêtes féroces ou une autre menace invisible (coucou Le projet Blair Witch) : c’est un schéma immuable et labouré mainte fois par le cinéma de genre depuis au moins, allez, Delivrance et Massacre à la tronçonneuse, pour ne pas remonter plus loin. Alors quand on lance Le Rituel, production britannique tournée en Roumanie (mais censée se dérouler en Suède), distribuée en France sur Netflix, c’est plus avec la crainte d’endurer une énième série B soporifique pleine de vide et de clichés, que celle d’être effrayé par un bout de forêt tout ce qu’il y a de plus familier. 90 minutes plus tard, le verdict est pourtant évident : Le Rituel fait contre toute attente partie du haut du panier du genre.
Randonnée avec un lâche
La première qualité du film de David Bruckner, réalisateur jusqu’ici de « morceaux » de films omnibus (The Signal, V/H/S, Southbound) qui adapte ici un roman d’Adam Nevill, est de bâtir en quelques scènes un groupe de personnages crédibles et attachants dans leurs interactions. Luke, Phil, Robert, Hutch et Rob sont des vieux potes d’enfances londoniens qui veulent oublier un peu leurs vies de pères de famille plus ou moins rangés pour voyager ensemble, en souvenir du bon vieux temps. Le projet prend un tour dramatique le soir où Rob est tué lors du braquage d’une supérette. Luke était là également mais, par lâcheté, n’a rien fait pour aider son ami. Le groupe veut malgré tout se ressouder lors d’un trekking en Suède à sa mémoire. Surpris par l’orage et ralentis par une blessure au genou de Robert, les amis décident de quitter leur sentier balisé pour prendre un raccourci par la forêt toute proche. Monumentale erreur de touriste débutant !
« Le Rituel est un film d’épouvante, un vrai, qui en appelle à notre peur du noir, des maisons abandonnées et du camping nocturne en forêt.«
Sur un point de départ qui peut rappeler le classique du genre The Descent, mais en version masculine (un trauma initial qui provoque un déséquilibre affectif au sein d’un groupe d’amis, une expédition qui tourne mal et ravive les tensions et les non-dits), Le Rituel déploie une atmosphère efficace de pesanteur et de malaise, qui ne tient pas uniquement à la façon dont le fameux bois est filmé par Bruckner. Une fois passé le traumatisant prologue, la position de Luke, qui ne se pardonne pas sa lâcheté, amène au centre de l’intrigue un conflit larvé qui ne demande qu’à exploser une fois le groupe confronté à l’inconnu. Dans ce cadre, la forêt, son horizon bouché et ses lignes de fuites indifférées, fonctionne comme une page blanche qui exacerbe les personnalités de chacun des membres du groupe, du mâle alpha réservé et inconscient du danger au binoclard pragmatique et râleur, qui ose dire ses quatre vérités en face à Luke. Mais Le Rituel n’est, bien sûr, pas qu’un thriller psychologique décrivant la lente décomposition d’une amitié meurtrie par un drame sanglant. C’est un film d’épouvante, un vrai, qui en appelle à notre peur instinctive du noir, des maisons abandonnées et plus généralement du camping nocturne en forêt. David Bruckner déploie une montée d’angoisse progressive qu’il maîtrise jusqu’au plus petit craquement de branche, et malgré le côté peu original de cette démarche, il est rafraîchissant de constater qu’on peut encore frissonner avec ces bonnes vieilles ficelles.
La grande menace
Comme son titre se plait à le laisser sous-entendre, Le Rituel cligne des deux yeux à un classique homologué du cinéma british fantastique, à savoir The Wicker Man. Dès les premiers animaux éventrés pendus dans un arbre (pourtant un bon signal destiné aux inconscients pour faire illico demi-tour !), et les premiers signes cabalistiques retrouvés sur les troncs, la direction dans lequel le film souhaite nous emmener devient plus claire. Mais là encore, avant ce dernier acte qui versera pour le coup dans la fantasmagorie pure et dure (et reliera, à l’occasion d’un plan composite sidérant, les traumas passés et présents de Luke dans une même image), Bruckner refuse d’expliciter le surnaturel et de se conformer aux formules commerciales. Le hors-champ que privilégie la caméra, les lignes de crête qui nous paraissent soudain hors de portée, et les regards inquiets que jettent nos randonneurs, assaillis de visions et en perte de repères, à ce labyrinthe indéchiffrable qui les entoure, suffit à rendre la menace palpable.
L’une des grandes qualités du Rituel, enfin, outre cette direction artistique plus sophistiquée qu’il n’y paraît (sans trop spoiler l’affaire, la « grande menace » qui plane sur ce film a, dans son aspect grotesque et contre-nature, de quoi hanter bien des nuits) et un sound design aux petits oignons, réside dans son interprétation, souvent le cadet des soucis des réalisateurs plus concentrés sur leur jeu de massacre en pleine nature. Rafe Spall, habitué depuis ses débuts chez Edgar Wright aux rôles discrets dans de gros blockbusters (de Prometheus au prochain Jurassic World), domine un casting ramassé et uniformément convaincant : les personnages incarnés sont des trentenaires rangés qui n’ont rien de héros ou de gens plein de ressources. Ils peuvent se montrer tantôt courageux, tantôt bornés, ils sont lâches et vaillants à la fois… Bruckner donne à voir les failles comme la capacité de résilience de types normaux, confrontés à une force qui dépasse leur entendement. C’est un choc des contraires qui était au cœur du roman (sans doute plus complet dans sa partie « mythologique » ici assez survolée), et qui fait du Rituel ce spécimen rare : un survival intelligent nous entraînant dans des directions inattendues, tout en nous collant une bonne frousse au passage.