Saint Maud : Dieu m’a donné les foies

par | 17 novembre 2021 | À LA UNE, Critiques, VOD/SVOD

Saint Maud : Dieu m’a donné les foies

Longtemps attendu en salles après sa présentation à Gérardmer, Saint Maud livre un portrait de femme (un peu trop) pieuse aussi maîtrisé qu’inquiétant.

Comme les miracles que les pèlerins espèrent croiser à Lourdes, Saint Maud, couronné de quatre prix, dont le Grand, au festival de Gérardmer de 2020, s’est longtemps fait attendre. Arlésienne de la distribution cinéma, comme tant d’autres productions touchées par la crise du Covid, le premier long-métrage de Rose Glass a fini par être englouti dans les reports et les annulations successives de sorties en salles, pour terminer sa course dans la grille de Canal+. Une déception, tant ce petit film britannique traversé par une terreur sourde aurait pu produire son petit effet sur une audience captive.

Illumination ou illuminée ?

Saint Maud : Dieu m’a donné les foies

Qui est Maud ? À vrai dire, elle n’existe qu’à peine : Maud (Morfydd Clark, troublante révélation) est le nom que s’est donné une jeune infirmière en soins palliatifs reconvertie dans l’aide à domicile. La vie de Maud a été bouleversée par sa « révélation » intérieure, qui l’a transformée en dévote dévouée trimballant partout sa croix du Seigneur et son divin espoir d’accomplissement professionnel. Maud, que l’on devine solitaire et recluse (elle vit en bord de mer dans une chambre de bonne au sud de Londres) s’imagine faite pour de grandes choses, mais elle est d’abord chargée de prendre soin d’Amanda (Jennifer Ehle, vue entre autres dans Zero Dark Thirty), ancienne gloire de la danse contemporaine atteinte d’un lymphome de stade 4. Recluse dans sa grande demeure, la patiente constitue un terrain d’expérimentation tout trouvé pour les pieuses intentions de Maud : pendant qu’elle la soigne, elle s’emploie aussi à sauver son âme, même si elle n’aime pas trop « l’égocentrisme des artistes ». Il y a une chose à savoir : Dieu parle à Maud, souvent, et sa volonté doit être accomplie, envers et contre tous les possibles désirs d’Amanda…

« À la fois prédatrice et victime, possédée et libérée des contraintes du monde extérieur, Maud est une figure obsédante, inquiétante et pathétique tout à la fois. »

Poussant dans l’ombre lointaine de classiques du genre comme Carrie (sans les pouvoirs) ou L’Exorciste (sans les prêtres à la mine pâle), Saint Maud séduit pourtant en refusant de se prêter au jeu de l’angoisse prémâchée, troquant (en partie) les effets choc contre une peinture viscéralement psychologique de son portrait de femme troublée. Maud n’est pas juste une femme pieuse persuadée d’avoir eu une révélation divine : elle entretient une véritable passion avec cet esprit supérieur, qui menace de déborder à la moindre occasion sur son travail d’auxiliaire de vie. Alors que l’on pourrait s’attendre à un pur thriller horrifique opposant une perfide héroïne à une victime innocente piégée dans sa vaste demeure bourgeoise, Rose Glass, qui connait ses classiques, laisse au contraire infuser l’ambiguïté, la subjectivité. La mise en scène prend ainsi fait et cause pour Maud dans ses transes quasi érotiques ou surnaturelles, laissant le contre-champ de ses actions invisible au spectateur.

Entre inquiétude et confusion

Saint Maud : Dieu m’a donné les foies

Si la folie qui s’empare de ce personnage malaimable et surtout mal aimé, dont on sait dès le départ qu’elle s’est rendue coupable de faits horribles, est évidente (attendez de voir comment elle confectionne ses semelles de fortune), l’assurance tonale, sonore et visuelle de Saint Maud contribue à semer le doute et la confusion dans l’esprit du spectateur. À la fois prédatrice et victime, possédée et libérée des contraintes du monde extérieur, Maud est une figure obsédante, inquiétante et pathétique tout à la fois, jusqu’à son ultime plan, électrochoc définitif qui ne peut qu’imprimer la rétine. Avare, on l’a dit, en jump scares faciles jusqu’à son secouant dernier acte, le film braconne à l’évidence sur les terres arty de « l’elevated horror » chère au studio A24 (qui a évidemment acheté les droits de distribution internationale). Mais il y ajoute une fibre sociale ainsi qu’un discours féministe sur le besoin de sororité (les personnages masculins sont rares et purement utilitaires) qui complexifient par petites touches une histoire d’une terrifiante simplicité, racontée de la plus implacable et déroutante des manières.