Séance de rattrapage : Unicorn Wars

par | 13 juin 2023

Séance de rattrapage : Unicorn Wars

Grenade dégoupillée par le réalisateur de Psiconautas, Unicorn Wars invente le film de guerre animé trognon et énervé. Saignant !  

Passé plutôt inaperçu dans les salles françaises – où il est apparu brièvement un 28 décembre, comme un cadeau de fin d’année empoisonné -, après une tournée des festivals pourtant remarquée, Unicorn Wars est un projet de longue date pour l’iconoclaste réalisateur espagnol Alberto Vasquez. Artiste complet ayant débuté dans la bande-dessinée, avant d’enchaîner avec des courts-métrages d’animation, l’Ibère a marqué les esprits en 2017 avec Psiconautas, un conte initiatique cruel sur fond d’engagement environnemental vénère. Un long-métrage qui se distingue par sa noirceur, tranchant avec son esthétique rondouillarde et ses couleurs vives, qui agrippe l’œil en quelques images. Adapté lui aussi de l’un ses propres courts, son projet suivant Unicorn Wars pousse encore plus loin ce mariage des contraires en invoquant une imagerie de cartoon pour enfants, mises au service d’une charge énervée contre les engrenages patriotiques, la soumission à la religion… voire contre l’imbécillité de l’humanité toute entière !

Pas de pitié pour les nounours

Séance de rattrapage : Unicorn Wars

Il était donc une fois un monde coloré et lointain où les Oursons sont engagés dans une guerre ancestrale avec les Licornes. Les icônes de la mignonnerie que sont les Oursons (c’est une partie du slogan déroutant de leur armée : « Honneur, douleur, câlin ») sont loin d’être des Bisnounours quand il s’agit de « défendre » leur petit monde. Selon leur Livre Sacré, le sang des Licornes maudites serait la clé de la beauté et de la vie éternelle. Deux frères, Célestin et Dodu, sont enrôlés dans l’armée malgré leur caractère très opposé, et préparent la guerre. Une bonne licorne est une licorne morte ! Envoyés en mission commando dans la forêt magique, la fratrie et leurs frères d’armes vont chuter dans la folie, la mort et la sauvagerie la plus primale…

« Il n’y a pas de place pour la bonté d’esprit ou l’entraide désintéressée
dans cet Unicorn Wars rugueux, sale et énervé. »

Si l’idée d’opposer l’imagerie kawaï des dessins animés pour enfants et un message globalement nihiliste sur les origines de la haine et de la violence dans nos sociétés modernes n’est pas fondamentalement inédite (les séries Happy tree friends ou d’une certaine manière South Park détournent également les codes à leur manière), c’est peu dire qu’Unicorn Wars est un long-métrage diablement vicieux et d’une violence invraisemblable, qui pousse loin son idée de pervertir une iconographie généralement associée aux grandes leçons sur l’amitié et la famille. Vasquez ne se contente pas de proposer sa version animée de Full Metal Jacket avec un brin d’Apocalypse Now (pour son côté hallucinatoire et morbide), arrosée d’une réinterprétation des grands mythes religieux et animistes – en premier lieu Abel & Cain, avec cette histoire de frères ennemis basculant dans une haine sans retour. Il peuple son périple de personnages détestables : figures d’autorité incapables, zélotes fanatisés, harceleurs, sadiques, couards naïfs… Il n’y a pas de place pour la bonté d’esprit ou l’entraide désintéressée dans cet Unicorn Wars rugueux, sale et énervé.

Le film fascine malgré tout par son indéniable ampleur thématique, son soin obsessionnel apporté à l’élaboration d’un univers, d’une mythologie propre, qui est à la fois totalement pop, totalement surréaliste et pourtant parfaitement représentative, au niveau symbolique, de nos dérives et de nos tares. Le dénouement d’Unicorn Wars, véritable apocalypse picturale venant secouer le spectateur tombé dans une légère torpeur au fur et à mesure que la jungle dévorait ses « héros », se montre dans cette optique assez bluffant dans sa manière de prolonger le trouble qui nous envahit. Derrière l’avalanche de cadavres et de mises à mort aussi imaginatives que marquantes, derrière l’esprit « sale gosse » qui donnera à coup sûr à ce second essai une aura de petit film culte, Vasquez a une vision du monde noire comme l’ébène à nous transmettre, à nous pauvres humains mécréants et envieux, tentés par la pensée unique et les absolutismes idéologiques. Nous sommes tous les fils d’Oursons crédules et va-t’en-guerre !