Veneciafrenia : Alex de la Iglesia s’égare dans Venise

par | 7 mars 2024 | À LA UNE, Critiques, VOD/SVOD

Veneciafrenia : Alex de la Iglesia s’égare dans Venise

Hommage au giallo dans une Venise malade du surtourisme, Veneciafrenia n’est pas à classer dans les réussites d’Alex de la Iglesia.

Cela fait un moment que le réalisateur espagnol Alex de la Iglesia n’a pas fait parler de lui en France, et pour cause. Depuis son remuant huis clos El Bar en 2017, sorti en vidéo et sur Netflix, aucun de ses longs-métrages n’a franchi les Pyrénées : même sa série HBO 30 monedas n’a pas été diffusée sur OCS ou le pass Warner de Prime Video. Amazon, justement, coproduit pourtant Veneciafrenia, tourné en 2020 en plein Covid. Alex de la Iglesia a coécrit et produit le film avec sa femme Carolina Bang (via Pookeepsie Films, qui chapeaute aussi des titres comme En las estrellas ou La Piéta). Veneciafrenia est en fait le premier titre de l’anthologie « The Fear Collection », coproduite par Amazon Studios – le deuxième étant Venus de Jaume Balaguero. Et il est cruel de voir que cette collection de films d’horreur soit inaugurée par l’un des plus mauvais titres de son turbulent auteur.

Des crétins dans la lagune

Veneciafrenia : Alex de la Iglesia s’égare dans Venise

Veneciafrenia s’inspire pourtant d’un problème de société très actuel, à savoir le surtourisme qui touche et détruit peu à peu la cité des Doges. Des mesures médiatisées ont été prises en 2021, juste après le tournage, pour bannir les paquebots de croisière de la ville. Riche en Histoire et en traditions, la fascinante Venise, vidée un temps de ses visiteurs pour cause de pandémie, constitue, comme au temps des classiques Mort à Venise et Ne vous retournez pas, un décor de choix pour le film d’Alex de la Iglesia, et sans doute son principal atout. Si le projet ressemble à un hommage au giallo (il suffit de voir le délirant générique), le résultat est plus proche d’un slasher dégénéré à l’américaine, ce qui saute aux yeux dès les premières minutes. L’histoire vaut à peine d’être résumée : une bande de jeunes espagnols crétins débarque d’un paquebot pour un week-end de biture en plein carnaval. Ils sont bientôt pris pour cible par un tandem de psychopathes costumés (l’un en Rigoletto, l’autre en médecin de peste – des tenues dignes de louanges) qui veut mettre fin de manière radicale à l’afflux de visiteurs : en les kidnappant ou en les décimant sauvagement à l’arme blanche. Et ce même en public, car ces touristes sont décidément trop stupides pour voir qu’il s’agit de meurtres !

« Alex de la Iglesia n’est pourtant pas coutumier des produits bâclés et aussi bas du front. »

Malgré les évidentes difficultés qui ont dû marquer le tournage de Veneciafrenia, vu le contexte sanitaire, il est difficile de passer outre l’aspect visuel hideux d’un long-métrage pourtant tourné dans l’une des plus belles villes du monde. Éclairé par un aveugle et sans relief, souvent malheureux dans ses choix de montage, le film marque surtout les esprits par les caricatures de personnages, gentiment débiles ou bêtement sadiques, qui peuplent le cadre. Seul le flic en pré-retraite et le pilote de bateau inexplicablement sympa échappent un peu à cette caractérisation à la serpe, qui tranche avec l’outrance généralement plus étoffée et maîtrisée des anti-héros de La Iglesia. Il faut voir, pour y croire, cette sous-intrigue effarante sur le petit ami de l’héroïne resté en Espagne sans rapport avec l’histoire, et qui débarque juste pour prouver qu’il est un immense connard.

En tant que slasher basique (les scènes de meurtres, raison d’être du genre, sont trop rares mais très méchantes, mention spéciale à la décapitation subite à bord d’une navette fluviale), Veneciafrenia aurait pu l’occire pour le principe, mais non : malgré des décors en studio madrilènes inspirés dans le dernier tiers, comme ce théâtre abandonné à demi-immergé dans l’eau, le film tourne à la catastrophe quand il consent à résoudre son mystère tarabiscoté. Nulle et non-avenue, la fin de Veneciafrenia est un affront autant qu’une preuve de paresse très inhabituelle pour Alex de la Iglesia, pas coutumier des produits bâclés et aussi bas du front. Reste à espérer que son nouveau film encore inédit, El cuarto pasajero, redresse sensiblement la barre.