Michel Hazanavicius l’assure : sa volonté d’enchaîner, après le succès historique de The Artist, avec un drame sérieux, voire déprimant, sur l’un des conflits les moins illustrés au cinéma, ne tient pas du plan de carrière. Le réalisateur a remporté un Oscar au nez et à la barbe de Scorsese et Terrence Malick, et rien que cela aurait pu faire tourner la tête à n’importe quel cinéaste expérimenté. Le changement de genre et de ton n’est pas seulement radical : il fait figure de note d’intention en soi, imposant l’idée que Hazanavicius se voit comme un auteur versatile et pas un faiseur de comédies plus doué que la moyenne.

[quote_center] »Le film n’est pas aidé par la prestation catastrophique de Bérénice Béjo, compagne du réalisateur. »[/quote_center]

Avec The Search, le réalisateur des OSS 117 s’attaque au remake d’un film de Fred Zinneman tombé dans l’oubli, Les anges marqués (1948). Là où l’original avait pour toile de fond la Seconde Guerre mondiale, The Search se situe lui en 1999, lors de l’invasion de la Tchétchénie par les troupes russes. Une séquence en mode found footage nous plonge après un court carton d’introduction (l’une des modifications apportées par Hazanavicius après le Festival de Cannes, nous allons y revenir) dans l’enfer de cette guerre à sens unique. De jeunes soldats exécutent en ricanant les parents du petit Hadji (Abdul Khalim-Mamutsiev), qui parvient à s’enfuir avec le bébé du fils de sa sœur dans les bras. Désemparé, le garçon, qui ne sait pas que sa sœur le recherche, est bientôt récupéré par Carole (Béjo), chargée de mission pour l’Union européenne, qui recueille les témoignages des réfugiés. En parallèle, nous suivons l’embrigadement progressif de Kolia (Maksim Emelyanov), jeune russe enrôlé de force dans l’armée, qui perd, brimade après brimade, toute trace d’humanité. D’un côté comme de l’autre, des destins sont durablement bouleversés par ce conflit cruel, qui fit plus de 200 000 victimes.

Deux faces d’une même pièce

The Search : dur et naïf à la fois

Ce ne sont non pas deux, mais trois histoires qui sont racontées dans The Search : trois trajectoires liées par un suspense modérément prenant, qui ne se rejoindront comme c’est l’usage qu’à la toute fin du métrage, de manière à la fois logique et surprenante. Hazanavicius s’est pris de passion pour cette période de l’Histoire obscurcie par les événements du 11 septembre 2001, qui ont permis à Poutine de justifier des exactions immorales, qui trouvent un écho douloureusement prégnant dans l’actualité ukrainienne. Son script très documenté, et le soin avec lequel il a recréé des décors de conflits criants de réalisme avec l’appui du gouvernement géorgien (qui a aussi fourni les costumes de l’armée russe, pour l’anecdote très semblable aux leurs) témoignent de l’attention et de l’objectivité avec laquelle il s’est emparé de son sujet. Le choix de consacrer un temps égal aux agresseurs et aux victimes n’a lui rien de révolutionnaire, mais s’avère effectif dans la mesure où les deux garçons interprétant Kolia et Hadji, de vraies trouvailles de casting, affichent une ressemblance frappante, comme les deux faces d’une même pièce.

Dans ses intentions, The Search a tout du film exigeant, nécessaire même, et Hazanavicius s’est donné les moyens pour concevoir un film crédible, anti-spectaculaire même quand il s’essaie au plan-séquence en pleine action façon Les fils de l’homme. Certaines séquences frappent fort et juste : des femmes tchétchènes qui plaisantent pour évacuer le stress pendant un bombardement, un enfant tétanisé par les larmes effaçant ses parents d’un dessin idyllique, un soldat battu à mort par un camarade ayant peur de paraître trop faible… Dur et mélodramatique à la fois, The Search contient son lot de moments marquants, qui mis bout à bout, ne forment toutefois pas un film mémorable.

Bancal et dispersé

The Search : dur et naïf à la fois

Le problème vient du fait que pendant une bonne heure, The Search se place de lui-même dans une impasse : cantonné dans un appartement ou une base militaire, les deux garçons passent par une succession de scènes redondantes et sans vie, qui soulignent toutes les mêmes points sans que le cœur dramatique de l’histoire n’en soit enrichi. Fraîchement accueilli à Cannes, le film a été remonté en profondeur par son réalisateur, qui a nettement amélioré son dénouement et enlevé 15 minutes de métrage. Plus fluide, The Search n’en est pas moins trop long, surtout qu’il continue de donner la part belle à deux personnages exaspérants : Carole d’une part et Helen (Annette Benning, de passage), au centre des séquences les plus inertes du film. Malgré toute sa bonne volonté, on sent bien que Hazanavicius n’est pas à l’aise avec ces passages moralistes et ultras naïfs. Occidentales outrées et paternalistes, Carole et Helen sont censées mettre des mots sur l’horreur et l’injustice qu’elles rencontrent, mais au cinéma, les images les plus fortes savent se passer de commentaires.

Le film n’est pas aidé par la prestation catastrophique de Bérénice Béjo, compagne du réalisateur, qui lutte visiblement pour donner un semblant de profondeur à un rôle ingrat et plat au possible. Qu’elle parle en dodelinant de la tête au petit Hadji comme s’il s’agissait d’un petit chat (le petiot ne comprend rien à l’anglais, ce qui ne l’empêche pas de persister pendant tout le film), tente de lui faire découvrir le disco ou fasse un grand discours à Bruxelles, rien n’y fait : Béjo est coincée dans une intrigue sans passion ni but, et son jeu, indécis et forcé, s’en ressent. Même si la partie russe reste au final plus évocatrice, plus « mise en scène » par les moyens qu’elle doit déployer, The Search pâtit de ce côté bancal et dispersé. Plutôt que de vouloir jouer sur tous les tableaux, Hazanavicius aurait du s’inspirer de Requiem pour un massacre (alias Come & See) et filer à l’essentiel, concentrer tous ses enjeux sur cette alternance entre la bouille triste et attachante de Hadji et le visage fermé de Kolia. Deux âmes si voisines, si innocentes, si abîmées par la guerre que la juxtaposition de leur parcours suffirait à nous faire comprendre leurs tourments. Et ceux de deux pays par la même occasion.


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Troissurcinq
The Search
De Michel Hazanivicius
2014 / France – R-U – Tchétchénie – Russie / 134 minutes
Avec Bérénice Béjo, Maksim Emelyanov, Annette Benning
Sortie le 26 novembre 2014
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