C’est en découvrant les premières images de Crimson Peak que nous réalisons à quel point Guillermo del Toro manque au cinéma fantastique. Certes, le cinéaste mexicain est revenu pour de bon et avec fracas aux affaires avec Pacific Rim en 2013. Mais avant cela, il aura fallu attendre plus de cinq ans pour voir celui-ci se dépatouiller entre les multiples projets sur lesquels il était annoncé, et se sortir du double coup du sort que constituaient Le Hobbit et son adaptation des Montagnes hallucinées. Et même après cela, Pacific Rim, avec son gigantisme geek prononcé, son côté « série B ultime » totalement décomplexé (d’où par exemple certains dialogues à la naïveté très premier degré), avait étonné les adeptes du versant « hispanique » de sa filmographie.
Del Toro comme chez lui
Tous ces amoureux de L’échine du diable et du Labyrinthe de Pan peuvent désormais saliver à haute dose pendant l’année qui vient : en reprenant en main un scénario qu’il avait coécrit au milieu des années 2000 avec Matthew Robbins (le bien mauvais Don’t be afraid of the dark), Del Toro s’empare d’un genre sur lequel tout le monde l’attend, pour y apporter, espérons-le, une contribution mémorable. Il n’y a en effet pas actuellement de metteur en scène mieux désigné pour ressusciter le film d’épouvante gothique et victorien. Il n’y a qu’à voir les photos de ses bureaux personnels de Los Angeles ! Et plutôt que signer pour une version cinématographique de l’attraction Haunted Mansion, l’artiste a préféré mettre sur pied, grâce au succès de son gros film de robots, une histoire originale, qui cligne de l’œil à de nombreux classiques tout en arborant une direction artistique à l’ambition proprement monumentale, le film ayant pris le pari de reproduire une atmosphère typiquement britannique dans l’Ontario.
Après avoir teasé son monde au Comic Con 2014 avec une attraction temporaire en forme de cabinet des horreurs crypté, le film lève le voile sur une partie de ses mystères dans une première bande-annonce somptueuse – quoique montée au son d’une reprise douteuse du « Red Right Hand » de Nick Cave. Dans un rôle sur lequel lorgnait un temps Emma Stone, Mia Wasikowska (The Double, Stoker) joue une jeune femme attirée par le fringant Sir Thomas Sharpe (Tom Hiddleston, entre deux Avengers). Elle se marie avec ce noble ténébreux qui l’amène bientôt dans la demeure en titre, un château anglais où réside aussi sa sœur (Jessica Chastain, qui revient au genre après Mama) et qui a la particularité de retenir littéralement sur place les fantômes et les blessures du passé. Cette maison vit, saigne et ne va pas laisser partir l’innocente : son ami d’enfance (Charlie Hunnam, déjà héros de Pacific Rim) va devoir s’interposer pour la sauver…
Angoisse cinéphilique
Impossible en voyant les premières images de Crimson Peak de ne pas songer aux films d’angoisse gothiques signés Mario Bava, aux adaptations bariolées de Poe par Roger Corman ou plus encore à une version débordante de couleurs de La maison du diable de Robert Wise. Oui, Crimson Peak peut être vu comme une future revanche pour ceux, nombreux, qui avaient saigné des yeux à l’époque de Hantise, remake officiel et grandiloquent nanar des années 90. Del Toro n’est certes pas un réalisateur passéiste, mais c’est plus fort que lui : chaque image révélée ici témoigne d’un amour massif et encyclopédique du genre, comme si le film devait à la fois être une somme de tout ce qui a précédé et une proposition personnelle, fidèle à son style et à ses obsessions.
[quote_center] »Tous ces amoureux de L’échine du diable et du Labyrinthe de Pan peuvent désormais saliver à haute dose pendant l’année qui vient. »[/quote_center]
Innocence menacée, attirance pour le Mal, omniprésence de forces occultes, le tout dans des décors en brut regorgeant de fresques murales et de formes architecturales torturées : pas de doute, c’est bien de l’auteur des Hellboy dont nous parlons ici, qui voit Crimson Peak comme un retour, temporaire avant son inévitable Pacific Rim 2, au côté intimiste et psychologique de son œuvre. Preuve en est, l’indubitable dimension charnelle et perverse du film, cette scène où Chastain épie à travers le trou de la serrure son propre frère dans la chambre conjugale. Cette famille Sharpe s’annonce fortement, très fortement tordue… L’ouverture du manoir est en tout cas prévue en France le 11 novembre, soit le même jour… que le nouveau James Bond, Spectre. Belle coïncidence, non ? MAJ : Le film sort finalement un mois plus tôt, le 14 octobre. Ce qui est loin d’être une mauvaise nouvelle !