En dehors de quelques cas récents comme Tim Burton et Brad Bird (et Wes Anderson dans une moindre mesure), il existe peu d’exemples de réalisateurs ayant à la fois œuvré avec succès dans l’animation et le film live. Bien qu’elle paraisse aujourd’hui évidente, la transition effectuée par le sud-coréen Yeon Sang-ho de l’un vers l’autre peut paraître surprenante. Avec le carton international de Dernier train pour Busan, le cinéaste a changé d’un coup de dimension, les recettes de son blockbuster ferroviaire ayant dépassé en une journée celles de tous ses films précédents réunis. Il faut dire que Sang-ho n’est pas exactement un homme de compromis, et que l’animation, florissante en tant qu’industrie en Corée du Sud, mais guère représentée au niveau artistique, est rarement couronnée de succès dans son pays, ce qu’a confirmé le score moyen de Seoul Station au box-office.

Une préquelle socialement angoissante

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C’est en festival que la réputation du réalisateur s’est créée, avec les sorties confidentielles successives de The King of Pigs et The Fake. Basés sur un style graphique immédiatement reconnaissable, et caractérisés par une vision très noire de la société coréenne (le premier film traitait des conséquences tragiques du harcèlement scolaire, le second était entre autres une critique ouverte de la religion), ces deux longs-métrages ont précédé de peu la mise en chantier de Seoul Station, conçu dès le départ comme un diptyque qui mènerait vers Dernier train pour Busan. Les deux films se déroulent donc dans le même univers et le même espace-temps : Seoul Station est en quelque sorte une préquelle, même si les deux films sont, en dehors de leur thème (une invasion de zombies très véloces due à un virus biologique), parfaitement indépendants l’un de l’autre.

Cette différence d’approche, le spectateur doit la garder en mémoire en découvrant Seoul Station : nous sommes moins dans le divertissement à grande échelle que dans le film d’horreur angoissant, porteur d’un message social affreusement pessimiste et rageur. Un film à la Romero donc, auquel le réalisateur adresse un ou deux clins d’œil. L’histoire débute à la gare ferroviaire de « Seoul Station » (celle qui mène, entre autres, à Busan), aux alentours desquels survit une vaste communauté de sans-abris. Ces SDF souffreteux sont ignorés par le reste de la population, comme s’ils étaient des intouchables en Inde. Le « patient zéro » est l’un de ces miséreux, errant en pleine rue perclus de douleurs, sans que quiconque pense à lui venir en aide. Sang-ho force immédiatement le trait en montrant à plusieurs reprises les différentes catégories de la population (le citoyen lambda, les forces de l’ordre, le personnel de la gare) traiter avec un mépris inhumain ceux qu’ils considèrent comme des sous-citoyens. La suite est prévisible : malgré les avertissement d’un camarade lancé dans une quête pathétique de médicaments, le sans-abri se transforme en zombie, et s’attaque immédiatement à ses congénères, abrités sur un quai de métro désert.

Dernier train pour la lutte des classes

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Seoul Station va, suite à cet enchaînement de circonstances, s’attarder sur un trio de personnages pas plus gâtés que ces déclassés : la jeune Hye-sun, qui a fugué de chez ses parents, est à deux doigts d’être à la rue. Son petit ami Ki-woong n’a rien de mieux de faire que de la prostituer en ligne pour payer le loyer. Quand le chaos s’abat sur la ville, ils sont séparés et Ki-woong va partir à sa recherche en compagnie… de son beau-père, aussi musculeux que peu commode. Bref, le tableau que Yeon Sang-ho peint de la société coréenne actuelle est carrément apocalyptique, et le réalisateur est décidé à ne fournir aucune porte de sortie possible à ses personnages. Comme dans de nombreux classiques du genre, le gouvernement est en effet plus prompt à adopter des solutions radicales qu’à venir en aide aux survivants, qui paient très cher le prix de leur indifférence et de leur manque de solidarité.

[quote_center] »Raide, anguleux, théâtral, le style d’animation choisi dans Seoul Station est tout sauf glamour. »[/quote_center]

Cette aventure, simple et familière dans son déroulement (excepté lors des quinze dernières minutes, qui voient arriver un twist assez violent et le point culminant de la charge acide concoctée par le réalisateur), vaut moins pour les péripéties qu’elle propose que pour la force brute des métaphores qu’elle emploie. Sang-ho, et c’est un reproche qui lui a déjà été adressé sur ses films précédents, a la main lourde dans la manipulation de ses symboles, et le refrain du « tous coupables, aucun espoir » peut aussi passer pour une généralité navrante, en s’interdisant certaines nuances salvatrices.

La forme particulière du film, elle, pourra rebuter les spectateurs peu familiers avec sa filmographie. Raide, anguleux, théâtral, le style d’animation choisi dans Seoul Station est tout sauf glamour, et excepté quelques travellings circulaires, conserve une mise en scène assez statique, très loin de l’exubérance visuelle et du dynamisme kinétique démontrés dans Dernier train pour Busan. Néanmoins, les deux longs-métrages sont indéniablement complémentaires dans leur vision, et il est du coup plutôt malin de la part de l’éditeur ARP de proposer Seoul Station en bonus inédit sur le Blu-Ray de Busan.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Seoul Station
De Yeon Sang-ho
2016 / Corée du Sud / 92 minutes
Avec les voix de Ryu Seung-ryong, Shim Eun-kyung
Sortie le 17 décembre 2016 en Blu-Ray
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