1891, Londres. Holmes déjoue un attentat contre un célèbre scientifique, avant que celui-ci ne soit finalement assassiné. Ce n’est que le premier acte d’une machination ourdie par son ennemi juré, le professeur Moriarty, qui compte déclencher rien moins qu’une guerre mondiale. Le docteur Watson, Mycroft Holmes, une lanceuse de couteaux nommée Simza et les anarchistes français ne seront pas de trop pour aider le détective à sauver le monde.

La Société Sherlock Holmes a peut-être raison de pleurer face au traitement post-moderne réservé par Guy Ritchie & co. à son immortel héros. Il n’empêche qu’après plus d’une centaine d’adaptations cinématographiques de ses aventures, qu’elles soient épiques (Le secret de la pyramide), atmosphériques (Le chien des Baskerville), farfelues (Élémentaire mon cher…Lock Holmes) ou romantiques (La vie privée de Sherlock Holmes), il est admis que comme le comte Dracula, le détective londonien se prête à toutes les interprétations. Seul dénominateur commun de chacune de ses enquêtes : son don quasi surnaturel de déduction, et une tendance exacerbée à la solitude, du fait de ce même don. La version 2009 en fait clairement un super-héros, à la fois suprêmement intelligent, increvable et imbattable à mains nues. Holmes, c’est un peu X-Men version vieille Angleterre, sans le costume jaune.

Les cinq premières minutes

« Je vois Paris d’ici, les amis ! » Holmes et Watson s’en vont à l’aventure.

Toujours est-il qu’on découvre ce Jeu d’ombres avec moins d’appréhension que son prédécesseur, le reboot de Ritchie étant désormais devenu une franchise lucrative. Comme dans toute bonne séquelle, il s’agit de faire plus fort, plus long, plus spectaculaire, et le réalisateur de Snatch entend bien nous le faire comprendre dès les premières secondes, quitte à nous faire perdre la vue et l’ouïe dans le processus.

Sans crier gare (ni justifier par un dialogue d’exposition convaincant sa présence), une scène de combat voit Holmes réfléchir à l’avance à tous les coups qu’il va porter à ses adversaires. On connaît l’astuce, puisqu’elle a déjà été utilisée à outrance dans le premier opus. Manque de bol, Ritchie a décidé d’en remettre une couche, en multipliant par 10 le nombre de cuts et de plans illisibles pour justifier ce manque d’inspiration, et en montant les potards du mixage son à 11 pour bien nous faire saisir la modernité de ce moment de grâce. Résultat : le film n’est pas commencé depuis cinq minutes que le spectateur sent déjà poindre un début de migraine dans un coin de son cerveau.

Les choses tendent à se calmer de manière très relative par la suite. L’affolement dans la juxtaposition de mouvements de caméra virtuels est réservé aux scènes d’action qui ponctuent un scénario désespérément linéaire. C’est là que l’énervement apparaît : lorsque l’on sent que le côté détective importe désormais moins aux scénaristes que le côté homme d’action. Laché dans un univers steampunk échevelé qui ne dépareillerait pas dans La ligue des gentlemen extraordinaires, Sherlock Holmes ressemble moins à un détective excentrique qu’à un super espion à la recherche de son Goldfinger. Triste pitre, Downey Jr. semble s’amuser à le jouer façon Johnny Depp : un Jack Sparrow avec un accent, pour qui même une mort certaine semble être un amusement de plus.

Docteur Watson et mister Holmes

Holmes et Moriarty face à face. Qui a oublié d’effacer le tableau ?

Face à l’empilement de scènes comiques gênantes de nullité (Holmes se transforme en papier peint, chevauche un mulet, s’habille en transsexuel, multiplie les blagues vaseuses sur sa relation crypto-gay avec Watson, bref que du Shakespeare), Jude Law garde lui toute sa coolitude aristocratique. Le duo a cette alchimie à la Amicalement vôtre qui aide à faire passer beaucoup de pilules, mais on préfère se dire que c’est surtout Law qui hérite du beau rôle dans cette histoire. Le cas de Moriarty est plus compliqué : Jared Harris joue le rôle avec une raideur digne des grands méchants de comic-books, mais le personnage est trop peu présent à l’écran et desservi par une caractérisation trop simpliste pour en faire une némésis aussi marquante qu’un Joker. Le reste du casting est exploité à des fins purement utilitaires : peu importe leur importance (Mycroft et Lestrade, par exemple), ils sont là uniquement pour servir la soupe au dynamic duo et leur indiquer la direction à suivre pour la prochaine « grande scène ».

Et d’ailleurs, que valent-ils, ces fameux moments d’anthologie justifiant les 120 millions de dollars de budget ? Un combat explosif à bord d’un train et une évasion toute aussi dévastatrice à travers la forêt sont autant d’excuses pour multiplier des mouvements d’appareils grandiloquents (aaah, ce travelling virevoltant qui s’immisçe à l’intérieur d’un canon, tel un générique chromé de 007…), et un travail qui confine à l’abstraction expérimentale sur le défilement de l’image. Dans Démineurs, des caméras permettaient à Kathryn Bigelow de filmer 1000 images par seconde. On se demande si Ritchie a eu accès au matériel, tant il semble vouloir figer, d’une manière étrangement fétichiste, la violence des explosions, la trajectoire des balles ou la course effrénée de Sherlock & co. entre les arbres. C’est incongru, assez beau, et surtout totalement gratuit et injustifié (alors que démontrer la puissance d’une explosion et ses effets sur le corps humain est une notion qui a toute sa place dans un film appelé Démineurs).

Simple comme un tour de magie

Dans quelques instants, il va faire disparaître une pomme. Ou se tirer dans la main.

Sherlock Holmes 2 se voudrait être un retour à la grande aventure, dépaysant par le choix de son époque et de ses acteurs (on a oublié de le rappeler, mais Downey Jr. est aussi crédible en Londonien que Jean Réno en maire d’Istanbul), à ceci près qu’il se trompe à la fois d’approche et de style. D’une part, parce que le cadre d’une enquête, une véritable enquête et non pas une succession de déductions magiques qui se refusent à impliquer l’intellect du spectateur (« Vous ne comprenez pas comment Sherlock savait que ce mur était une porte ? Hé bien… lui si ») est nécessaire lorsqu’on s’attaque à un tel personnage. D’autre part, parce qu’un affrontement entre deux redoutables intellects ne peut être intéressant que grâce aux dialogues et non par un montage syncopé de destructions en tous genres. Il ne suffit pas de faire traverser plusieurs pays à ses personnages et de faire tambouriner l’orchestre pour créer une œuvre passionnante.

Cinéaste racoleur et parangon de la culture zapping, Ritchie est malgré les apparences comme un poisson hors de l’eau dans ce monde de grands spectacles pseudo-sophistiqués. S’il est parvenu à faire illusion en maintenant dans le premier épisode l’action dans un cadre maîtrisable, cette suite dénuée de génie perd de son intérêt à chaque minute qui s’égrène. Si bien qu’arrivé aux légendaires chutes de Reichenbach, l’intensité dramatique nécessaire au duel final est absente. C’est une simple péripétie, qui escamote toute tension au prix d’une pirouette tenant plus de Houdini que de Holmes. Conseil d’ami : si vous souhaitez stimuler votre intellect plutôt que votre oreille interne, plongez plutôt dans la version made in BBC de Sherlock. Une modernisation audacieuse là aussi, mais qui a le bon goût de faire du locataire de Baker Street un génie complexe et tragique plutôt qu’un punchliner clownesque reconverti dans la prestidigitation.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Unsurcinq
Sherlock Holmes : jeu d’ombres (Sherlock Holmes : game of shadows)
De Guy Ritchie
2011 / USA / 129 minutes
Avec Robert Downey Jr., Jude Law, Noomi Rapace
Sortie le 25 janvier 2012
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