Shadow Dancer s’ouvre de la plus belle des manières, la plus tendue aussi : le film nous présente son héroïne, Collette (Andrea Riseborough, vue dans Never let me go et W.E.), alors qu’elle s’apprête à poser une bombe en plein cœur (souterrain) de Londres. Collette est membre active de l’IRA, venue de Belfast pour frapper le Royaume-Uni là où ça fait mal. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que l’agent Mac (Clive Owen, ténébreux comme il faut), du MI5, est sur ses traces, et va se servir de cette attaque avortée pour en faire sa taupe et espionner sa famille et ses proches. Pas de choix, pas d’échappatoire : au cœur d’une capitale britannique filmée comme un enchevêtrement de blocs de béton sans âme, le destin de Collette est scellé. Shadow Dancer peut commencer, mais sans le savoir, le meilleur de ce que le film a à offrir est déjà passé.

[quote_left] »Lent, monocorde, Shadow Dancer finit par nous laisser totalement indifférent au moment du dénouement. »[/quote_left]

Il a beau ne pas être connu du grand public, James Marsh est pourtant un cinéaste célébré par ses pairs et même détenteur d’un Oscar, obtenu en 2008 pour l’un de ses documentaires, Man on Wire. Côté fiction, le réalisateur se distingue par un style assez rugueux, qui lui a déjà permis de signer un Red Riding 1980, 2e opus d’une trilogie britannique d’anthologie, très remarqué. Shadow Dancer débarque bardé de prix récoltés dans de nombreux festivals comme Dinard, avec Clive Owen une fois encore dans un rôle d’espion (il ne nous fera jamais croire qu’il ne regrette pas d’avoir manqué le rôle de 007, celui-là). En plaçant son intrigue en 1990, Marsh retourne au cœur d’années de conflit qui ont secoué l’Irlande du Nord. L’IRA était présente partout et surtout au cœur de la cellule familiale. Quoi de plus logique alors pour l’espion que de « créer » une taupe pouvant surveiller ses propres frères, et ainsi déjouer les assassinats et attentats qui ensanglantent Belfast. Seulement, Shadow Dancer peine à nous rendre sympathiques ou à créer l’empathie autour de la famille de Collette, quasi détruite par un traumatisme d’enfance qui a défini la personnalité tourmentée de la jeune femme. Passée l’ouverture décrivant de manière clinique les traumas et les contradictions de ce personnage de mère célibataire soudainement prise au piège, Marsh adopte un style détaché et un rythme languissant qui empêchent le suspense de s’installer durablement.

Le cœur du conflit

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L’exemple est donné via l’intrigue retorse autour de Mac et de ses supérieurs du MI5, personnifiés à travers une Gillian Anderson à l’allure sévère, une femme forte qui n’a pas peur de mentir à ses agents pour se garantir de meilleurs résultats. Une femme froide et déterminée, également, qui s’oppose en tous points à Collette, dominée, voire aveuglée par ses sentiments (elle ne porte pas un manteau d’un rouge écarlate pour rien). Cette opposition devrait porter le film, opposer efficacement l’intime et la raison d’État. Shadow Dancer ne fait pourtant que ronronner, s’éparpillant par exemple dans une histoire d’amour avortée entre Mac et Collette qui n’a rien de crédible ni de palpitant. On sent à plusieurs reprises (une scène d’enterrement en pleine rue qui dégénère, les rencontres en bord de mer entre l’agent et sa taupe) que Marsh n’a pas totalement confiance dans les pistes narratives qu’il explore. Sa réalisation à l’esthétisme glacé, tient inexorablement le spectateur à distance d’une tragédie qui devrait pourtant l’impliquer émotionnellement. Tout le contraire par exemple d’un Animal Kingdom, au postulat similaire, qui se centrait avec intelligence sur le cœur du propos : les liens familiaux devenant tout d’un coup des chaînes menaçant à tout moment de vous étouffer.

Lent, monocorde, Shadow Dancer finit par nous laisser totalement indifférent au moment du dénouement, qui se veut (doublement) brutal et abrupt, mais laisse surtout un arrière-goût d’inachevé et de « tout ça pour ça ? ». Pour ce qui est de nous impliquer dans les coulisses tragiques et impitoyables de la guerre civile irlandaise, mieux vaut encore se reposer sur les classiques de Jim Sheridan, Neil Jordan, Paul Greengrass ou Ken Loach. Des œuvres pour le coup plus remuantes et habitées que ce Shadow Dancer trop emprunté pour convaincre.

Note BTW 


2

Shadow Dancer

De James Marsh / 2012 / Irlande-Angleterre / 101 minutes

Avec Andrea Riseborough, Clive Owen, Gillian Anderson

Sortie le 6 février 2013