Silent Night : John Woo fait parler la poudre

par | 25 janvier 2024 | À LA UNE, Critiques, VOD/SVOD

Silent Night : John Woo fait parler la poudre

Premier film US de John Woo depuis Paycheck, Silent Night dépasse son statut de vigilante movie basique grâce à sa réalisation immersive.

Alors que Tsui Hark, qui fut son compagnon de route et le fit sortir de l’ornière des films de commande avec Le syndicat du crime, continue sa route comme réalisateur de blockbusters approuvés par le gouvernement chinois, John Woo se fait discret ces dernières années. La rumeur le disait affaibli par la maladie et de fait, le septuagénaire n’est passé derrière la caméra que trois fois ces quinze dernières années : pour coréaliser le wu xia Le règne des assassins, emballer la fresque The Crossing (inédit) et tenter un retour malheureux au polar HK avec Manhunt. Un bilan contrasté, auquel il faut ajouter Silent Night, une nouvelle incursion inattendue en terres américaines, près de 20 ans après l’oublié Paycheck. Oubliées les grandes stars et les budgets confortables : Silent Night tient de la série B à petit budget opportuniste, car vendue comme « par les producteurs de John Wick ». Signe que le nom de Woo n’est plus un argument de vente pour la nouvelle génération. Qu’importe : malgré les années qui passent (le bonhomme approche des 78 ans), le formalisme élégant du maître de Hong-Kong a survécu et élève au-dessus du lot ce pur exercice de style.

Une vengeance qui se passe de mots

Silent Night : John Woo fait parler la poudre

Les intentions de Woo sont claires dès le premier plan signature de Silent Night : un travelling aérien improbable où la caméra traverse littéralement un ballon rouge qui s’envole pour zoomer sur un corps en mouvement courant au ralenti. Celui de Brian (Joel Kinnaman, For All Mankind, Robocop), pull de Noël ensanglanté, qui tente de rattraper à travers les rues mal famées de Los Angeles les gangsters qui viennent d’abattre d’une balle perdue son propre fils, dans leur jardin. Une course-poursuite percutante, cinétique, qui s’achève avec le pauvre Brian laissé pour mort, une balle logée dans la gorge. Opéré en urgence, le père endeuillé perd sa voix et la possibilité de hurler sa peine et sa colère. De retour chez lui avec sa femme (Catalina Sandino Moreno, Nuit barbare), il ne peut retrouver le goût à la vie. Seule demeure, vivace, le besoin de se venger. Brian décide alors d’enquêter et de s’entraîner à conduire vite, se battre et à tirer pour, au prochain Noël, régler leur compte au gang responsable de ce meurtre…

« Plus qu’un film de vengeance à la Death Wish, Silent Night se mue en plongée dans la tête d’un homme devenu fou de douleur. »

Ce n’est pas la première fois que John Woo suit le parcours d’un personnage bouleversé par la perte de l’un de ses sens : l’héroïne aveugle dans The Killer, Nicolas Cage à moitié sourd dans Windtalkers, sont autant de prémisses du personnage de Brian, dont le mutisme impose un gimmick osé. Silent Night est en effet dénué de paroles (et non pas muet, car subsistent quelques flashs d’émissions radio). Le héros ne peut parler, mais ceux qui l’entourent ou auxquels ils se confrontent ne font jamais non plus entendre leur voix. Et c’est tout le talent de Woo que de parvenir à ce que cette artificialité paraisse logique et fluide, grâce au caractère démonstratif de sa mise en scène. C’est le concept rêvé pour un artiste obsédé par la fluidité du montage, la proéminence de la musique, le lyrisme naïf de ses symboles visuels, comme un défi permanent fait aux cyniques de tout poil. Il n’y a pas de colombes dans Silent Night, mais un tas de belles idées faisant passer beaucoup par l’image : une larme qui coule sur la joue d’une femme délaissée pour se transformer en tombant en douille, une cible en carton perforée par un homme qui tire vers la caméra, un pavillon de banlieue tanguant entre lumière et ténèbres, les burn d’une voiture de sport qui créent un infernal tourbillon de marques de pneus… Plus qu’un film de vengeance à la Death Wish, Silent Night se mue en plongée dans la tête d’un homme devenu fou de douleur, d’une force d’autant plus évidente que sa peine ne peut être atténuée ni par le dialogue, ni par la violence qu’il s’apprête à faire pleuvoir sans espoir de retour – au contraire de sa femme, qui fera son deuil d’une autre manière, plus réparatrice.

Une violente résurrection

Silent Night : John Woo fait parler la poudre

Les expérimentations, pas systématiquement heureuses, mais toujours galvanisantes, du cinéaste, n’empêchent pas Silent Night de remplir le cahier des charges attendu, même si le budget n’autorise pas des délires épiques au niveau de ses films des années 80-90 – ce qui ne l’empêche de cligner de l’œil à ces classiques, en particulier Volte/Face. Le film est violent et ce dès les premières minutes, et les gangsters que Brian élimine tour à tour ne brillent pas par leur présence, tout comme le flic incarné par Kid Cudi avec lequel notre héros finit par s’allier (que serait un film de John Woo sans une bromance qui se passe de paroles ?). Très rythmé, le long-métrage aligne les scènes d’action et training montages jusqu’à un règlement de comptes final qui sacrifie à la mode des plans-séquence tournoyants. Les béquilles numériques et l’absence de progression dramatique (nous y voyons juste Brian monter les étages du repaire du gang en dessoudant ses occupants) empêchent ces démonstrations de force de se hisser au niveau, au hasard, du plan-séquence de l’hôpital dans À toute épreuve.

Mais l’essentiel est ailleurs : par ses thématiques, ses coups de génie comme ses sorties de routes stylistiques, la confiance qu’il place dans son audience et ce concept pleinement embrassé de faire un proto-film muet dans un genre où les dialogues ne brillent de toute façon pas par leur originalité, John Woo semble à nouveau prendre plaisir à faire du cinéma. Nous sommes d’autant plus curieux de voir si ce regain de forme se confirme avec son remake en langue anglaise de The Killer (avec Omar Sy et Saïd Taghmaoui !), attendu pour l’année à venir.