Plus encore que le remake de Total Recall, qui s’attaquait à un classique de Paul Verhoeven ayant avouons-le un peu pris cher au niveau de certains effets spéciaux, l’annonce du reboot de Robocop, film de science-fiction toujours aussi impressionnant trois décennies plus tard (la remasterisation récente pour le Blu-ray se charge de nous le rappeler) a été accueillie avec une froideur extrême par tout cinéphile digne de ce nom. Dans n’importe quelle autre situation, la réunion de pointures comme Joel Kinnaman (The Killing, Easy Money), Samuel Jackson, Gary Oldman et l’increvable Michael Keaton devant la caméra de José Padilha (auteur brésilien des très « lumetiens » Troupes d’élite 1 et 2) aurait attisé la curiosité. Mais pour RoboCop ? Même en laissant de côté les soucis de productions, les retards de sortie et les designs controversés (sur lesquels nous nous étions déjà attardés ici), cette version 2014 était tout simplement attendue comme le sanglier à l’ouverture de la chasse : prête à être fusillée et dépiautée sur place.

[quote_left] »RoboCop fait mine d’oublier le scénario original dans sa première heure, avant de le reproduire ensuite à la lettre. »[/quote_left]Le remake de Padilha tente dès ses premières images de se rappeler au bon souvenir du monument original de Verhoeven, en débutant lui aussi sur une caricature de talk-show abrutissant, cette fois présenté dans une sorte de plateau minimaliste façon « Dark Apple » par un Samuel Jackson en pilote automatique. Le disque couine déjà dans notre tête : l’intention est là, certes, mais le ton est forcé, la charge trop frontale et simpliste pour décrocher un rire ou choquer le chaland. Padilha, qui adopte alors un style caméra à l’épaule sans chichis, parvient malgré tout à poser une ambiance, RoboCop nous emmenant sans sommations dans le Moyen-Orient de 2028, « pacifié » par les ED-209 d’Omnicorp, qui font leur retour dans une version plus « kaki » et expéditive que jamais. Montage inspiré, violence habilement suggérée (pour esquiver un très handicapant classement PG-13, nous allons y revenir) : cette expansion militariste de l’univers inventé par Ed Neumeier porte alors ses fruits, déplaçant le discours sécuritaire de l’original sur un terrain international, dans une optique crédible de « machinisation » complète des conflits dans lesquels s’embourbent réellement les USA.

L’homme dans la machine

RoboCop : 50 % original, 50 % oubliable… 100 % inutile ?

Ce prologue n’est toutefois qu’un écran de fumée, une illusion qui se dissipe dès lors que la véritable intrigue de RoboCop se met en place. Et elle concerne bien entendu Alex Murphy (Kinnaman, aussi bon qu’il puisse l’être avec un personnage transparent), flic de choc en bute avec ses supérieurs et ses collègues ripous, qui au lieu d’être crucifié à coups de fusil à pompe par des voyous dégénérés, est déchiqueté très proprement par l’explosion de sa voiture piégée. Entre en scène ce qui reste sans doute le meilleur personnage du scénario, le docteur Norton (Gary Oldman, très motivé), un génie de la cyber-médecine tiraillé entre ses avancées technologiques personnelles et son humanisme forcené. Omnicorp s’approprie le corps de Murphy – avec l’accord de sa femme (Abbie Cornish) – pour le glisser dans un exosquelette dernier cri fabriqué en Chine (au milieu des champs de riz, comme le révèle la meilleure scène du film), et contourne la loi qui interdit l’usage de robots sur le sol américain. Transformé en « produit » marketé pour le grand public, repeint en noir, et plus ou moins lobotomisé, RoboCop/Murphy ne va plus avoir malgré tout qu’une seule idée en tête : se venger de ceux qui l’ont mis là, puis de ses capitalistes créateurs, Raymond Sellars (Michael Keaton, qui agite le sourcil comme à la grande époque) en tête…

Tout le monde reconnaîtra là les grandes lignes du film de 1987, que RoboCop fait mine d’oublier dans sa première heure, avant de les reproduire ensuite à la lettre, sans y amener la moindre fantaisie. Le résultat aurait certes pu être pire : Padilha n’est pas un manchot, et on sent bien que les scènes de « résurrection » de Murphy, qui s’éloignent drastiquement de la vision subjective hallucinée de Verhoeven, sont celles qui l’intéressent le plus. Coincés dans une sorte de remake aseptisé et biomécanique de Frankenstein, Oldman et Kinnaman parviennent grâce à une alchimie manifeste à faire ressentir toute la douleur d’un personnage en passe de mourir émotionnellement et pas physiquement. La mauvaise idée du script est de donner une part active à sa femme et son fils, un aspect tragique de l’histoire de Murphy étant alors purement et simplement éludé : comment faire croire à sa déshumanisation si la bonne vieille cellule familiale fait partie de l’équation ? De l’autre côté du miroir, les dirigeants d’Omnicorp dissertent eux sans fin sur le pourcentage d’humanité qui doit rester dans leur création, et sur la façon de rendre acceptable cette radicalisation du maintien de l’ordre. « Et s’il pouvait se transformer ? Les gamins adorent ça », lance même au débotté Pope (Jay Baruchel), le marketeux de la boîte.

RobotPropre

RoboCop : 50 % original, 50 % oubliable… 100 % inutile ?

Ces séquences à la froideur surprenante, aussi peu originales soient-elles, font tout le prix d’un RoboCop par ailleurs affreusement générique, lorsqu’il s’agit de remplir son contrat de « grand spectacle ». L’armure noire de Murphy, faute de vouloir reproduire le design immaculé de Rob Bottin, adopte un look « furtif » anonyme qui n’aurait pas dépareillé dans un GI Joe. Pire, RoboCop se voit affublé d’un taser (sic), emblême même de la timidité thématique d’un projet louchant ouvertement sur le succès des Iron Man, alors que les deux personnages sont diamétralement opposés (Stark est un jouisseur se découvrant une conscience, tandis que Murphy doit être un ilôt d’intégrité condamné à un sort pire que la mort). Les scènes d’action sont peu nombreuses et expédiées façon jeu vidéo, les méchants, pourtant nombreux, font de la (mauvaise) figuration, les dialogues empirent à chaque nouvelle scène, donnant dans le fan service injustifié (les fans sont CONTRE le remake, vous a-t-on dit !), le tout sans jamais introduire cet humour caustique et féroce qui faisait aussi le prix de la version Peter Weller. Enfin, comment faire croire que Détroit est tombé dans le chaos sans en montrer les stigmates ? PG-13 oblige, RoboCop est presque vidé de tout plan sanglant, de tout mordant : l’action aurait pu tout aussi bien se passer sur Naboo qu’on ne verrait pas la différence.

Comme un lancement de produit défectueux, l’intérêt pour RoboCop retombe donc malheureusement aussi vite qu’il est monté. L’arrivée d’une nouvelle séquence de monologue « jacksonien » (qui devrait vraiment arrêter de s’auto-caricaturer) vient même conclure sur une note assez ridicule cette bien morose tentative de « remettre au goût du jour » un classique intouchable. Un chef d’œuvre qui a passé le test des années pour des raisons qui échappent sans doute complètement aux producteurs.


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Deuxsurcinq
RoboCop
De José Padilha
USA / 2014 / 117 minutes
Avec Joel Kinnaman, Gary Oldman, Michael Keaton
Sortie le 5 février 2014
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