Voir une production chinoise s’attaquer à l’univers steampunk pour l’importer au sein d’un film de kung-fu en costumes a de quoi étonner, vu que le cinéma local demeure moins porté sur les mélanges contre-nature que son voisin nippon. Avec Tai Chi Zero / Hero (ou « 0 » et « O », si vous aimez les symboles), c’est un peu comme si Wild Wild West (oui, le film, pas la série) rencontrait Il était une fois en Chine, avec une volonté affichée de s’attirer le public adolescent via un emballage aussi branché qu’inoffensif. L’attelage derrière le diptyque est au moins aussi rutilant que les machines qui peuplent l’univers de ces deux films. Les producteurs sont les mêmes que ceux de la saga Ip Man, l’auteur du script n’est autre que Chen Kuo-Fu (Detective Dee), Sammo Hung se charge des chorégraphies martiales, et à la réalisation, on retrouve l’acteur et réalisateur Stephen Fung, surtout connu pour l’honnête House of Fury avec Anthony Wong.

Le premier opus à être sorti sur les écrans chinois est Tai Chi Zero : l’histoire nous transporte au 19e siècle, à la rencontre de Yang Lu Chan (joué par un véritable expert en tai chi, Yuan Xiaochao), guerrier gentiment simplet pourtant doté de pouvoirs redoutables. Lu Chan est en effet né avec une corne sur la tête qui si elle est frappée, transforme le pauvre en bête de guerre inarrêtable. Le seul problème est qu’à chaque utilisation de cette habilité, Lu Chan se fatigue un peu plus. Ce compte à rebours mortel (© dédicace à Sly) ne l’empêche pas de se passionner pour les arts martiaux, qu’il peut apprendre à la perfection juste en observant ses pratiquants. Contre toute logique – sinon il n’y aurait pas de film -, Lu Chan part donc pour se perfectionner vers le village de Chen, réputé pour abriter le plus imbattable des styles de kung-fu. Seulement, les villageois et plus particulièrement le maître Chang Xing (Tony Leung Ka-Fai, en mode cabotin) ont comme règle inviolable de ne pas apprendre leurs secrets aux étrangers. Qu’à cela ne tienne, Lu Chan va squatter le village sans renoncer, et participer involontairement à la lutte que celui-ci va mener contre son ancien fils prodigue, Zijing (Eddie Peng). Celui-ci, VRP de la révolution industrielle occidentale et vexé de ne pas avoir obtenu le respect de ses pairs, décide de tout faire pour faire passer un chemin de fer à travers le village. C’est le début d’une quête épique pour Lu Chan, qui va passer du statut de « zéro » à celui de « héros » (au moins, y a pas de spoiler) et incidemment, devenir l’inventeur du tai chi (là encore, c’est marqué dans le titre).

Seul un village résiste à l’envahisseur… 

Tai Chi / Tai Chi Hero, l’appel du kung-fu

Dans Tai Chi Zero, bien plus que dans sa suite, c’est moins le scénario, aventure initiatique comme la Golden Harvest en a produit des centaines (sans compter les mangas pour ados comme Naruto, qui reposent pour une bonne part sur ce type de récit) qui importe, que son illustration. Tai Chi Zero est dès ses premières secondes un spectacle survolté, faisant intervenir après une scène de bataille inaugurale un prologue muet en noir et blanc racontant l’enfance de Lu Chan auprès de sa mère (Shu Qi) ou insérant des séquences animées en cours de route. Bien qu’il s’attaque aux thèmes du conflit entre tradition et modernité, arts martiaux et armes mécanisées, et des dérives de l’industrialisation (symbolisées par une énorme machine de guerre surnommée « Troy 1 », crachant littéralement des morceaux de rails et fonctionnant comme une usine infernale échappée des Temps Modernes), le film de Stephen Fung ne laisse paradoxalement pas une séquence passer sans introduire à l’écran des gimmicks post-modernes hérités à la fois du jeu vidéo (on ne compte plus les références aux RPG, avec visite virtuelle du village et de ses lieux-clés, ou aux jeux de combats, avec jauges de vie et typos reprises directement à Street Fighter) de la littérature SF et steampunk, ou des séries B américaines (comme ces plans « rayons X » sur les os qui se cassent pendant les combats). Une sorte de Scott Pilgrim asiatique, qui ne s’interdirait aucune excentricité ou idée tape-à-l’œil.

[quote_left] »Dans Tai Chi Hero, la star est avant tout le scénario. »[/quote_left]L’accumulation d’onomatopées visuelles, de split-screens, de freeze frames, de bruitages, d’animations cartoonesques et d’humour régressif (Lu Chan passe tout le premier épisode à se faire passer à tabac), fait que Tai Chi Zero frise parfois l’overdose pure et simple. Fung se permet même, à chaque introduction d’un nouveau personnage, d’annoncer à l’écran le CV de son interprète et ses rôles les plus connus ! De même, les motivations assez simplistes du méchant Zijing, qui est moins un mégalomane menaçant qu’un punching-ball constamment réduit en ridicule par l’irréductible village – transposé chez nous, le film pourrait de fait s’appeler Astérix contre les machines de fer – font que la tension dramatique est quasi inexistante, le ton variant nonchalamment d’une scène à l’autre. L’intrigue s’étoffe à travers la relation maître / élève entre Xing et Lu Chan, et l’existence d’un triangle amoureux au centre duquel se trouvent Zijing et la fille du maître, Yu Niang (Angelababy, mignonne comme tout). Cela n’empêche toutefois pas le film d’être sans surprises et assez répétitif dans ses péripéties, qui tombent parfois à plat (voir cette bataille rangée où les villageois se défendent à coups… de fruits et de légumes). Ce manque étonnant de prise de risques est toutefois rattrapé par l’opulence visuelle d’une production aux moyens fastueux, avec des effets spéciaux de premier ordre et des combats dans l’ensemble assez efficaces. La courte durée du film, associée à son rythme frénétique, finit même par provoquer en dépit de ces défauts une certaine euphorie, qui ne retombe pas pendant le générique, constitué d’une bande-annonce… de Tai Chi Hero.

Héros du tai chi malgré lui

Tai Chi / Tai Chi Hero, l’appel du kung-fu

Suite à ce tour de montagnes russes, le second épisode fait presque figure de rétro-pédalage stylistique, comme si Fung avait voulu ouvrir son histoire avec le maximum de tours de passe-passe avant de poser enfin ses personnages et d’offrir à chacun d’entre eux une trajectoire dramatique substantielle. En clair, dans Tai Chi Hero, la star est avant tout le scénario : si elles continuent à apparaître ici et là, les incrustations pop et référencées se font beaucoup plus discrètes. Les premiers à en profiter sont les acteurs, notamment Yuan Xiaochao : athlète avant d’être comédien, la star faisait ses débuts au cinéma avec Zero, et sa peine à jouer autre chose que l’ahuri de service se voyait comme le nez au milieu de la figure. Sans être forcément au niveau de ses pairs, Xiaochao semble ici plus à son aise. Lu Chan, forcé de se marier pour pouvoir apprendre le kung-fu de Chen, forme avec Yu Niang un couple comique à l’alchimie probante, les deux étant moins intéressés (dans un premier temps…) par les choses de l’amour que par celles du combat. Face à eux se dresse l’infatigable et endeuillé Zijing, désormais épaulé par un occidental richissime, Duke Fleming (Peter Stormare en vedette invitée, mauvais comme un cochon dans chacune de ses répliques appuyées) et une armée équipée de canons meurtriers.

L’ajout le plus intéressant demeure le personnage de Zaiyang, le frère de Niang longtemps disparu, dont l’absence de passion pour les arts martiaux se conjugue à un véritable don d’inventeur, au désespoir de son très traditionaliste père. Protagoniste ambivalent et attachant, Zaiyang est aussi celui à travers qui perdure l’imagerie steampunk et fantaisiste de cette séquelle : son aile volante et ses bombes artisanales sont au centre de spectaculaires scènes d’action qui ne font cependant pas oublier le massif « Troy 1 » de Tai Chi Zero.

Malgré ses qualités et ces apports bienvenus, on sent dans Tai Chi Hero que le récit s’essoufle, faute de vraiment proposer autre chose que des affrontements toujours plus tordus entre un village de prodiges martiaux et une vilaine armée aux visées expansionnistes. La conclusion de l’aventure fait figure de retour aux sources en bonne et due forme, Sammo Hung chorégraphiant un duel décisif et à l’équilibre incertain – dans tous les sens du terme – entre Lu Chan et le puissant Li Qiankun, interprété par nul autre que… Yuen Biao, ancien compagnon de route de Jackie Chan et Hung et dans les années 80, ici méconnaissable mais n’ayant rien perdu de son agilité. Ce mini-morceau de bravoure dont l’inventivité rappelle définitivement la saga martiale initiée par Tsui Hark, arrive néanmoins comme un cheveu sur la soupe, sans que le parcours initiatique de Lu Chan ai été véritablement compris, celui-ci devenant presque un héros malgré lui. Stephen Fung savait-il déjà à l’époque que l’ultime opus de sa trilogie (décidément…) ne verrait pas le jour, faute de succès commercial ? Vu la fin ouverte introduisant une sorte d’anachronique usine de la mort, on peut en douter. Toujours est-il que Tai Chi Hero boucle de manière assez décevante une saga avortée qui gagne pourtant à être dégustée d’une traite (les deux films mis bout à bout restent moins longs que Titanic) si l’on veut en apprécier les charmes et l’énergie infantile.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Tai Chi (Tai Chi Zero) / Tai Chi Hero de Stephen Fung
Chine / 2012 / 98 et 100 minutes
Avec Yuan Xiaochao, Tony Leung Ka-Fai, Angelababy
Sorties le 3 juillet et le 28 août en DVD et Blu-ray
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