Comme le souligne assez souvent l’un des adages favoris de la presse féminine, les hommes sont tous de grands enfants. Jamais vraiment attentifs, jamais vraiment remis des influences qui ont forgé leur adolescence et leur culture d’adulte. Imaginez alors si l’un de leurs rêves d’enfants, genre avoir un doudou qui parle et devient de facto votre meilleur-ami-pour-la-vie, devenait réalité ? Ted apporte une réponse hilarante à ce questionnement existentiel, dans ce qui se révèle être à la fois une comédie potache, un accomplissement technique probant, et un récit d’apprentissage touchant au cœur sans se forcer. C’est aussi une célébration assez tordue de l’amitié virile, dans tout ce qu’elle peut avoir de dérisoire et d’essentiel.

Stand by Ted

John (Wahlberg), Ted (McFarlane) et Lori (Kunis), un ménage à trois pas comme les autres…

Mais d’abord l’histoire : un futur couch potatoe de première classe nommé John Bennett (hommage à Commando ? On n’ose y croire), enfant des années 80 sans ami qui fait un soir de Noël le vœu que son tout nouvel ours en peluche prenne vie. Comme on est au cinéma, et qu’une musique à la John Williams retentit au son de la voix de Patrick Stewart, son vœu est exaucé pendant la nuit, et « Ted » acquiert effectivement la parole. Vingt-sept ans et quelques talk-shows plus tard, les deux amis ont grandi, en tout cas en apparence : John a la carrure et la bouille de Mark Wahlberg (qui a toujours fait un hébété convaincant), et donc une petite amie splendide appelée Lori (Mila Kunis, adorable girlfriend de l’année). Il a un job alimentaire, et glande régulièrement dans le canapé avec Ted, tout en regardant les nanars de leur enfance comme Flash Gordon. Évidemment, Lori a au bout de quatre ans un peu de mal à supporter leur vie de colocataires attardés, d’autant qu’elle est draguée par son boss, Rex (Joel McHale, en rupture de Community et génialement abject).

Malgré ce que les changements d’affiche auraient voulu faire croire aux spectateurs français, Ted n’est pas une comédie romantique dynamisée par l’irruption d’un personnage dont la drôlerie repose sur l’opposition entre son apparence trognon et sa personnalité d’obsédé sexuel sarcastique. Non, Ted est une véritable bromance reprenant à son compte les clichés et la trame scénaristique usée des romcoms (rencontre, moments heureux, conflit et rupture, puis réconciliation) pour les appliquer à une histoire d’amitié indéfectible. John n’est pas vu en train de conquérir Lori (excepté lors d’un flash-back hilarant repompant une scène culte de Y a-t-il un pilote dans l’avion ?), mais au moment où il hésite à s’engager, alors qu’il sait qu’une page de sa vie avec Ted pourrait alors être tournée. Si le Barney Stinson de How i met your mother était la conscience de Ted, la réponse à ce dilemme serait claire : « Bros before hoes ! ». S’engager ou glander ? Ou les deux ? Vaste, très vaste problème, les amis.

Un doudou plus vrai que nature

Ted et John organisent la party du siècle pour leur idole, Sam « Flash Gordon » Jones !

En posant au cœur de son film ces enjeux certes légers mais universels, Seth McFarlane avait l’assurance de pouvoir réutiliser dans un cadre bien établi l’humour gras, référentiel, méchamment ironique et lui aussi attardé de ses séries animées, Les Griffin et American Dad en tête. Ted, son premier film live était au départ prévu lui aussi pour être une série télé animée. Les progrès technologiques récents ont permis d’imaginer sur grand écran cette grosse boule de tissu qui s’exprime avec la voix caractéristique de son créateur (ou, hem, de Joey Starr en français). Ted, le personnage, est d’une qualité photoréaliste, crédible aussi bien lorsqu’il donne la réplique à Mark Wahlberg, grâce à la performance capture, que lorsqu’il se retrouve embarqué dans des aventures à suspense, dans la dernière et plus faible demi-heure du film. McFarlane s’autorise même quelques embardées techniquement épatantes, comme lors de ce combat douloureux et cartoonesque entre les deux héros, qui confirme si besoin était que ce doudou-là n’est vraiment pas pour les enfants.

Comme pour toute comédie, on appréciera Ted si l’on est sensible aux vannes à la fois très étudiées et pas bien finaudes de McFarlane. Le film est rempli de caméos non-sensiques (de Sam « Flash Gordon » Jones à Norah Jones en passant par, sic, Tom Skerritt), de gags kamikazes et de références à la décennie chérie du créateur de Cleveland Show, les années 80. La plupart sont évidentes (Star Wars of course, Retour vers le futur, Aliens…), d’autres plus subtiles (l’accélération de voiture façon Tonnerre Mécanique !) et leur accumulation pourra faire grincer des dents ceux pour qui l’hommage cinéphilique est avant tout un aveu d’impuissance créative. De même, il est clair qu’à force de caser dans quasiment chaque dialogue une blague-qui-veut-tuer – la dernière d’entre elles y parviendrait presque -, l’auteur et réalisateur fasse parfois choux blanc.

Par ailleurs, la partie centrée sur la famille voulant kidnapper Ted est, on le répète, plus faible et moins convaincante. Comme si McFarlane avait eu peur de se répéter ou de ne pas avoir assez de matière pour concentrer son attention sur son très spécial ménage à trois. C’est pourtant dans les moments les plus simples, en apparence même niais, que le film se montre le plus drôle et le plus touchant. L’idée des « thunder buddies » sert bien sûr à placer une chanson déjà culte, mais aussi et surtout de marqueur pour transmettre au spectateur l’idée d’une évolution du personnage de John. Les références à Spielberg, à son univers à la fois identifiable et source d’émerveillement, à ses moyens de transmettre par l’image une émotion brute, sont innombrables dans le film de McFarlane : s’il chasse sur des terres plus triviales, le réalisateur « débutant » parvient malgré tout à mélanger une certaine innocence dans son cocktail d’insanités débitées avec une inconscience revendiquée. Cela rend encore plus unique et rafraîchissante cette comédie définitivement au poil.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Ted
De Seth McFarlane
2012 / USA / 106 minutes
Avec Mark Wahlberg, Mila Kunis, Giovanni Ribisi
Sortie le 10 octobre 2012
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