Réalisateur au CV plutôt sympathique à défaut d’être passionnant (SaltUn américain bien tranquille, et surtout Calme blanc) Phillip Noyce s’est lancé à son tour dans la dystopie pour adolescents. Adaptation du premier tome de la trilogie de Loïs Lowry, un précurseur du genre, The Giver (littéralement Le Passeur) reprend à la lettre les codes du teen-movie de science-fiction, modelé à l’école Hunger Games. Inspiré de monuments de la SF comme 1984, de George Orwell, Fahrenheit 451, de Ray Bradbury ou encore Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, The Giver se déroule dans une société futuriste où les habitants, shootés aux antidépresseurs, ne ressentent plus rien. Ce monde en noir et blanc, se colorise progressivement au fur et à mesure que le héros, l’Élu, découvre la supercherie et tente de rendre leur humanité aux humains.

Comme un air de déjà-vu

The Giver : le passeur de bêtises

Si vous avez l’impression d’avoir déjà vu cette histoire quelque part, c’est tout à fait normal. Le film partage avec son cousin Divergente le même postulat de départ : un jeune homme, à l’aube de sa vie d’adulte, attend sagement qu’une assemblée de Sages lui délivre un travail en fonction de ses habilités. Mais comme il cumule toutes les qualités, le Grand Sage le nomme « Passeur de mémoire ». Jonas, incarné par Brenton Thwaites (le prince charmant dans Maléfique), va suivre une quête initiatique à la recherche de la vérité sur l’histoire des hommes. Naïf, atone et donc énervant, le jeune homme est entouré par des personnages caractéristiques des quêtes initiatiques. Son fidèle acolyte Asher (Cameron Monaghan, prochainement dans A Day to Kill) tente de le convaincre d’obéir à l’ordre établi et même après que Jonas lui eût infligé un coup de poing en pleine figure (de la violence !), se sacrifie pour lui permettre d’accomplir son destin. La « fille », Fiona, incarnée par l’israélienne Odeya Rush (We Are What We Are), met bien sûr les instincts de notre héros en émoi, tout en restant, autre évidence, parfaitement chaste.

[quote_center] »Qui ne collerait pas de baffes à ce jeune acteur sur son vélo tout blanc aux mimiques, tantôt ébahies, tantôt émerveillées, tantôt guimauve ? »[/quote_center]

Le rôle le plus mignon revient à Alexander Skarsgård (Éric dans True Blood) qui incarne le père de Jonas, un aide-soignant doux et idiot, spécialiste de l’euthanasie. Sa mère, Katie Holmes, la femme forte de la famille, est complètement lobotomisée pour le bien de la communauté. Le mentor de Jonas, la fameux « Passeur », reclus dans un temple, n’est autre que Jeff Bridges. Pour le rôle du tyran, la méchante Grande Sage, The Giver avait visiblement davantage de budget que Le Labyrinthe, qui avait recours à Patricia Clarkson, puisque c’est Meryl Streep qui s’y colle. Tout ce beau monde a visiblement fait plaisir à son banquier grâce à ce film.

Le scénario de The Giver pourrait tenir sur une feuille de papier à cigarette tant sa simplicité et son manque criant de suspens font peine à voir. Outre la sempiternelle voix off particulièrement agaçante, le film ne nous épargne aucune réplique affligeante. Le montage, même s’il s’accélère à la fin, s’avère d’une lenteur préhistorique. Les flash-backs de Jonas sont teintés d’images façon fond d’écran Windows entrecoupées de plans « terribles », mais édulcorés, de morts et de désolation. Qui ne collerait pas des baffes à ce jeune acteur sur son vélo tout blanc aux mimiques tantôt ébahies, tantôt émerveillées ? Le twist final, qui se noie dans sa propre palette graphique, respire le manque d’inspiration et la paresse artistique. Il nous épargne toutefois la traditionnelle amorce d’une séquelle trop appuyée. Prophétique ?

Un ver dans le fruit

The Giver : le passeur de bêtises

L’aspect le plus terrifiant de The Giver reste sur le prosélytisme primitif qu’il véhicule. Dans un monde censé retrouver ses couleurs, la société apparaît toujours bien blanche de peau (mis à part quelques personnes de couleur, dans un lointain arrière-plan). Les femmes, bien entendu, se complaisent à élever des enfants, tandis que les garçons deviennent pilotes de chasse. L’allégorie biblique se pose aussi en évidence. Le stratagème de la « pomme » qui permet à Jonas d’éviter de prendre ses médicaments pour enfin découvrir le monde tel qu’il existe rappelle la fuite d’Adam et d’Ève du Jardin d’Éden. La figure prophétique de l’Élu, qui retourne sur terre (en scooter, cette fois) pour éclairer les humains sur leur véritable origine ne laisse lui aucune place au doute.

L’espace prépondérant accordé aux enfants soulève des questions. Car, quand il s’agit de tuer un bébé, le parallèle avec la religion se renforce encore.  Si Jonas se demande s’il a bien agi en rétablissant la vérité, en redonnant leur humanité aux hommes tout en sauvant la vie de son petit frère, Noé, descendant direct d’Adam, est, quant à lui, torturé entre sa mission d’anéantir la race humaine et son incapacité à commettre un infanticide sur sa propre descendance. Au final, Dieu accorde une seconde chance aux hommes, qui se sont adonnés à la haine et à guerre, pour reconstruire un monde meilleur.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Zerosurcinq
The Giver (Le Passeur)
De Philip Noyce
2014 / USA / 97 minutes
Avec Jeff Bridges, Meryl Streep, Alexander Skarsgard
Sortie le 29 octobre 2014
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