Oublions un instant la vague des « torture porn » et des « found footage » surfant paresseusement (euphémisme)sur le succès des Saw et autre Paranormal Calamity. Y a-t-il des productions horrifiques récentes qui ont, avec les moyens de leurs ambitions, réussi à apporter quelque chose de neuf au genre ? The Mist, peut-être. Scream 4 ? (rires) La vérité est que, condamnée les trois quarts du temps à squatter les étals des vidéoclubs, pardon, les écrans des portails VOD, l’horreur a perdu à la fois en qualité, en imagination et en exposition médiatique. Chacune à leur niveau, les productions de genre se plient à des conventions et des codes à la mode pour mieux se vendre à l’international. Et au final, c’est le spectateur, blasé, qui fait les frais de cette infernale routine commerciale.

Mais le cinéma a ceci de beau qu’il permet toujours, au final, de laisser s’exprimer ici et là de vrais créateurs d’univers. Drew Goddard (scénariste de Cloverfield et sur Lost) et Joss Whedon (Avengers) ne prétendent pas jouer les Kubrick du slasher avec La cabane dans les bois, et théoriser à l’infini sur le sens caché des équarrissages forestiers. Le vrai, le seul exercice qui vaille la peine qu’on s’attarde sur un nouveau slasher, est celui du détournement en règle, du « partage en live » consciencieux et éclairé, à la manière de Tucker & Dale vs Evil dernièrement. Et encore : La cabane dans les bois est encore d’un autre tonneau. Moins immédiatement accessible, moins porté sur la vanne complice que sur l’humour grinçant, truffé de références cryptées typiques de l’ère du mash-up.

Déconstruction en cours

Sitterson (Jenkins) et Hadley (Whitford), deux costards-cravate qui en savent long sur la cabane.

Tout commence… pas tout à fait comme prévu, puisque la séquence pré-générique s’attarde sur les discussions d’un duo de cols blancs froidement trivial, Sitterson (l’excellent Richard Jenkins) et Hadley (Bradley « West Wing » Whitford), qui travaille dans des bureaux administratifs manifestement très vastes – on s’y déplace en voiturette. Changement de braquet, et retour à la « normale » : un groupe de teenagers, des filles en petite culotte, de beaux mâles en blouson de football, et un fumeur geek pour compléter la bande. Direction la fameuse cabane dans les bois, lieu de tous les vices et de toutes les horreurs depuis Vendredi 13, qui comme on s’en doute, n’a rien de la bicoque habituelle autour de laquelle rôderait un hockeyeur trisomique. Les deux costards-cravate que l’on a précédemment découverts observent en fait leurs moindres faits et gestes. Pourquoi ?

En révéler plus gâcherait quelque peu le plaisir, assez immense, pris devant cette Cabine à double, voire triple fond, qui fonctionne selon un principe de poupées russes inversé aussi jouissif que virtuose. Goddard (dont c’est le premier passage derrière la caméra) et Whedon assument et s’amusent de la dimension méta de leur histoire, se projetant ouvertement dans les personnages / démiurges de Sitterson et Hadley, qui manipulent « en direct » chacune des décisions des teenagers menés par Chris Hemsworth (qui n’était pas encore le Thor qu’on connaît au moment où le film a été tourné, soit en 2009). Les pulsions sexuelles de la blonde de service, le choix idiot de se séparer au lieu de se protéger mutuellement ou tout simplement de partir faire la fête dans des masures abandonnées, tous ces clichés usés jusqu’à la corde prennent ici, à nouveau, un tour ludique, puisque leur mise en scène (dialogues, lumière, musique) est assurée depuis leur QG par le duo.

Il y a peut-être des spoilers là-dessous

Curt (Hemsworth) et ses amis partent à la cave. Baaaad idea !

Cette rencontre explosive entre l’ambiance d’Evil Dead et le discours de Truman Show suffirait déjà à contenter les amateurs d’expérimentation dialectique et de mises en abymes cinéphiles. Mais ce qui donne à La cabane dans les bois l’aura d’un futur film culte, d’un train fantôme de folie, c’est son troisième acte, son bouquet final totalement invraisemblable où s’entrechoquent plus de références, de gore et de punchlines que le cerveau humain ne pourrait en assimiler. Le cliché se fait rituel, l’imagerie Z prend des atours mythologiques, voire même (soyons fous) cosmogoniques.

Il arrive que le film veuille empiler tellement de sous-textes et de clins d’œil que le film dérape, trop satisfait de sa propre malice pour voir que des répliques trop calculées font le même effet qu’un panneau « Souriez ! » brandi par un clown. Les allergiques à la fantaisie sophistiquée mais un brin cynique du père Whedon auront ici de quoi accumuler des cartouches. Mais quel amateur de cinéma fantastique pourrait décemment bouder son plaisir devant ce paquet de pop-corn sanguinolent, qui se permet de rendre hommage à la fois à Silent Hill, Hellraiser, Cube, la firme Asylum, Lovecraft et Stephen King, tout en proposant un vrai spectacle débridé à l’ancienne, c’est-à-dire généreux et bis en diable ?


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Quatresurcinq
La cabane dans les bois (Cabin in the woods)
De Drew Goddard
2009 / USA / 102 minutes
Avec Chris Hemsworth, Kristen Connolly, Bradley Whitford
Sortie le 2 mai 2012
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