Comme toutes les histoires vraies se voyant portées à l’écran, celle de Philomena Lee, pour les scénaristes Jeff Pope et Steve Coogan, « méritait d’être racontée ». C’est un lieu commun, certes, mais le récit qu’ils en ont tiré, adapté du roman du journaliste Martin Sixmith, le prouve par A+B, par la grâce d’une réalisation discrète mais limpide, du talent de ses interprètes et des choix de narration que le duo a opérés. Philomena, à la base, peut se voir comme un petit cousin spirituel et thématique du très dur Magdalene Sisters de Peter Mullan, une « affaire » là aussi bien réelle qui se voit d’ailleurs citée dans les dialogues du film de Stephen Frears. Il y est là aussi question des traitements honteux réservés aux jeunes filles tombées enceintes hors-mariage dans les couvents de la très religieuse Irlande des années 50, mais Philomena s’intéresse moins au quotidien laborieux et esclavagiste de ces jeunes femmes qu’aux conséquences de cette période de l’histoire sur le destin d’une d’entre elles en particulier.

[quote_right] »Nous voyons mal après coup qui d’autre que dame Judi Dench aurait pu entrer avec autant d’humanité et de versatilité dans la peau de Philomena. »[/quote_right]Philomena Lee a en effet la malchance de tomber amoureuse, le temps d’une nuit étoilée, d’un beau jeune homme qui la met enceinte, elle qui jusqu’alors « ne savait même pas qu’elle avait un clitoris ». Sa famille l’envoie dans un couvent tenu par des bonnes sœurs qui feraient presque passer la mère de Carrie White pour une aimable bigote. Là, Philomena et ses consoeurs travaillent toute la journée à lessiver du linge, et ne peuvent voir leurs bébés qu’une heure par jour. Jusqu’au jour où son petit Anthony lui est enlevé, adopté par une famille dont elle ne saura rien. Plus de cinquante ans plus tard, Martin Sixmith, journaliste revenu de la politique, s’intéresse à cette histoire, et commence à enquêter avec Philomena sur ce qui est advenu d’Anthony, après que cette dernière, croyante fervente, ait enfin dévoilé son secret à sa fille…

Une histoire irlandaise

Philomena : au nom du fils

C’est Steve Coogan, comédien réputé en Angleterre (notamment grâce à son personnage fétiche créé à la radio d’Alan Partridge, passé récemment par la case adaptation cinéma) malheureusement plus connu chez nous pour ses incartades hollywoodiennes comme Le tour du monde en 80 jours, qui le premier a eu l’envie de conter l’histoire de cette dame pas comme les autres, ayant surmonté les pires tragédies sans jamais perdre de son humour, ni surtout de sa foi. Intelligemment, Coogan a choisi de mettre en avant dans le film le personnage de Sixmith, narrateur absent de l’histoire dans le livre, pour créer le plus improbable, mais aussi le plus réjouissant des duos, Martin et Philomena s’opposant dès les premières scènes en presque tout. Age, sexe, foi, éducation et surtout classe sociale, l’une des grandes marottes de la filmographie de Frears, qui avait accepté le film comme une commande avant de se l’approprier avec classe. Cette friction initiale (Philomena aime raconter de A à Z les romans à l’eau de rose qu’elle dévore, à un Martin affichant en permanence un cynisme qui la dépasse), confère au film un humour salvateur, le fond du sujet étant lui bien sûr d’une noirceur implacable.

Une bonne part du premier acte est ainsi consacrée en flashback à la jeunesse de Philomena, vécue tout simplement comme un cauchemar sans fin. Tandis que l’enquête de Sixmith débute et emmène bientôt le duo en Amérique, une question taraude le spectateur entre deux délicieuses saillies verbales sur Lincoln ou les aéroports : comment cette femme à qui l’on a arraché ce qu’elle a de plus cher a-t-elle pu se reconstruire, et garder durant des années cette personnalité insouciante, terre-à-terre et tranquille ?

Le pardon ou la révolte ?

Philomena : au nom du fils

Les mystères qui se lèvent petit à petit par la suite, en plus d’être orchestrés avec un tact et une acuité dramatique exemplaires, se chargeront de donner les réponses (et d’en suggérer d’autres) à cette question existentielle, Philomena se transformant alors non pas en œuvre accusatrice et en colère (ce que représente par exemple le personnage de Martin, d’abord distant puis révolté par ces injustices, à l’instar du spectateur), comme peut finalement l’être Madgalene Sisters, mais en plaidoyer pour le pardon, cette paix intérieure que recherche sans parfois s’en douter Philomena. C’est un parti-pris qui peut sembler naïf sur le papier, mais qui à l’écran, se révèle bouleversant au possible, Frears maintenant un équilibre parfait entre la tendre dérision et le drame émotionnel, qui n’en ressort que de manière plus puissante au vu de l’attachement que l’on éprouve pour les personnages. On rit dans Philomena autant que l’on pleure, et l’un découle sans aucun doute de l’autre à chaque fois.

Bien sûr, cette alchimie narrative ne servirait à rien si elle n’était pas soutenue par les acteurs adéquats. Nous voyons mal après coup qui d’autre que dame Judi Dench aurait pu entrer avec autant d’humanité et de versatilité dans la peau de Philomena : celle-ci prend vie dans la moindre de ses manies, de ses contradictions et de ses silences. Parfois larguée, parfois péremptoire, toujours digne et mesurée, Philomena est le genre d’héroïne que l’on n’oublie pas, et si Coogan, dans la peau de Sixmith, sort lui aussi transformé et bousculé dans ses convictions de cette « aventure », c’est avant tout son voyage intime à elle qui est au centre de toute l’attention. Son histoire méritait après tout bien d’être racontée, si possible avec talent. C’est chose faite.


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Quetresurcinq
Philomena, de Stephen Frears
De Mark Steven Johnson
Angleterre-USA-France / 2013 / 98 minutes
Avec Judi Dench, Steve Coogan, Sophie Kennedy Clark
Sortie le 15 janvier 2014
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