Une fois de plus, le génie marketing de Marvel a fonctionné à plein régime. Il n’y a qu’à voir les résultats monstrueux de Thor : le monde des ténèbres au box-office mondial pour s’en convaincre : depuis Iron Man, ces gens-là savent donner exactement au public ce qu’il veut voir. Et tant pis si les promesses restent à l’état… de promesses, et si le discours promo a désormais plus valeur de note d’intention. Au final, quoi que fassent le producteur Kevin Feige et son équipe, tout ce qui porte l’étiquette Marvel / Avengers se transforme en or. Et c’est d’autant plus étonnant (et quelque part remarquable, ou regrettable selon les points de vue) lorsqu’on parle de ce qui constitue jusqu’à présent la franchise la moins convaincante de la firme.

Car malgré le fait que le Dieu du Tonnerre ait été très bien intégré à l’univers des Avengers, Thor trouvant entre autres avec Captain America un partenaire à la noblesse d’esprit similaire (sans compter qu’ils sont tous deux totalement en décalage avec leur époque / notre univers), il est bon de se rappeler qu’à l’origine, la première incarnation filmique du personnage s’est révélée être proche du ratage intégral. Laid, mou, moyennement drôle et instantanément oublié, le Thor de Kenneth Branagh ne réussissait qu’une seule chose, capitale pour les pontes de Marvel : imposer l’acteur idéal dans le rôle principal. Dans l’esprit du grand public, Chris Hemsworth est devenu indissociable de la perruque blonde de l’homme au marteau, en plus de constituer un indéniable atout esthétique pour attirer le public féminin. Une suite était donc plus que souhaitée, avec l’inclusion de méchants aimés de la fanbase (les fameux Elfes noirs, dont l’histoire un brin confuse nous est contée dans un prologue sentencieux à la Peter Jackson), le retour de l’autre star de la franchise, Tom Hiddleston, dans le rôle d’un Loki devenu l’élément indispensable de l’univers « thorien », un budget accru et la promesse – nous y voilà – d’un épisode plus sombre, plus « épique » comme aiment le seriner les exécutifs hollywoodiens depuis l’exemple The Dark Knight.

Taylor à la rescousse ?

Thor : le monde des ténèbres, le royaume du surplace

[quote_right] »Sourire, c’est bien que ce qu’on fera le plus dans Thor : le monde des ténèbres, pas toujours aux dépens du film. »[/quote_right]Après la caution « Shakespeare » apportée par Branagh, Marvel a donc dégainé donc l’un des réalisateurs de l’adulée Game of Thrones, Alan Taylor, après avoir tenté de débaucher certains de ses collègues. À l’arrivée, l’apport artistique du vétéran de HBO, excepté le recours bienvenu à des décors de tournages réels en lieu et place des fonds verts (une idée malheureusement peu utilisée au final), s’avère bien faible : Thor 2, en reprenant pêle-mêle les éléments et le ton qui ont fait le succès de Thor et Avengers, se contente de jouer la carte de la sécurité, au détriment de toute ambition narrative ou stylistique.

L’histoire débute logiquement quelques temps après la bataille de New York, alors que Thor a repris sa mission de protecteur des Neuf Royaumes (qui consiste apparemment à débarquer au dernier moment sur un champ de bataille pour terrasser le plus gros soldat de l’armée adverse – un moment littéralement pompé au dialogue près sur une scène de Troie). Son père Odin a emprisonné le traître Loki, qui aime toujours autant sourire en coin derrière les vitres de sa cellule, tandis que sur Terre, Jane Foster se languit de son musculeux demi-Dieu à Londres (pourquoi Londres ? Hé bien, c’est toujours mieux que le Nouveau-Mexique, déjà). Forcément, une menace intergalactique venue du fond des âges va venir chambouler le quotidien de nos héros – et de leurs comparses peuplant le fond de l’écran – et chercher à annihiler tout le cosmos, en commençant par la Terre. Oui, comme dans Avengers.

La menace fantoche

Thor : le monde des ténèbres, le royaume du surplace

Le squelette du scénario de Thor 2 confine on le voit à la linéarité la plus désespérante. La crainte que les Elfes noirs ne soient qu’un catalyseur narratif provoquant les retrouvailles entre Thor, Jane et Loki se révèle rapidement justifiée : malgré un armement et des vaisseaux aussi cools qu’imposants, Taylor se désintéresse totalement de leur mythologie, aussi rapidement survolée que la planète verdâtre où ils habitent (les fameux paysages d’Islande aperçus dans GoT, ici hideusement défigurés à la palette graphique). Pire encore, le big boss Malekith (Christopher Eccleston, logiquement méconnaissable) n’hérite que de quelques répliques, risibles, pour camper un méchant tentant désespérément d’échapper à sa condition de nemesis générique, ne faisant même pas frémir le sourcil de son pimpant adversaire. Son bras droit Algrim, qui lui a droit de se transformer en uber-monstre cornu en pleine prison d’Asgard, fait plus impression que lui, c’est dire le niveau de la « menace ». Quant au fluide après lequel les Elfes courent, l’Ether, il remplit parfaitement sa fonction de McGuffin : un item indéfinissable – et par conséquent inutile – qui ouvre la porte à tout un arsenal cryptique d’âneries scientifico-intersidérales à base d’alignement des royaumes cosmiques et de téléporteurs, qui fera surtout sourire les fans du jeu Portal.

Sourire, c’est bien que ce qu’on fera le plus dans Thor : le monde des ténèbres, pas toujours aux dépens du film, cependant, contrairement au rococo premier épisode. Joss Whedon serait crédité une fois de plus comme script doctor sur un film qui a manifestement beaucoup été « retouché » en post-production, y compris via des séances additionnelles de tournage, notamment pour remettre en avant le personnage, chéri des fans, de Loki, alias l’homme qui ne peut (et ne veut) pas mourir – ni rester en prison, quitte à être libéré par ceux-là mêmes qui l’y ont mis. Certaines pistes ont été clairement sacrifiées (un triangle amoureux entre Jane, Thor et la guerrière Sif, reléguée à quelques apparitions) pour faire de la place à ce qui caractérise le mieux la franchise nordique : les gags. Dites donc à nouveau bonjour à l’équipe de bras cassés du premier Thor, incarnés par une petite troupe d’acteurs prestigieuse à qui l’on demande de se balader tout nu, de faire des blagues à base de téléphone portable et de rendez-vous galant calamiteux (hello Chris O’Dowd !), et plus généralement de désamorcer tout ce qui pourrait être perçu comme une scène sérieuse à l’aide d’une réplique plus ou moins bien sentie.

To kill or not to kill Loki

Thor : le monde des ténèbres, le royaume du surplace

Si on a donc souvent de la peine pour Natalie Portman et Stellan Skarsgard, force est de reconnaître que l’humour de cet épisode, qui n’a définitivement rien de ténébreux, fonctionne parfois du tonnerre (ho ho ho). Oui c’est honteux, mais Thor qui accroche son marteau au porte-manteau, qui répond « Ce n’est pas le mien » quand un portable sonne, ou balance son frère d’un vaisseau lorsque celui-ci critique son plan d’évasion, ça peut faire rire. Surtout quand on se rend compte que ces saillies drolatiques font oublier le caractère anodin d’un script terriblement mécanique et empesé, qui ne brille que très rarement par ses scènes d’action (l’assaut sur Asgard est excitant, mais évoque un peu trop Star Wars, et le duel final à travers plusieurs dimensions, façon Monstres et Cie, est une idée géniale malheureusement trop brièvement exploitée).

Exceptée une très belle scène d’enterrement façon viking et plusieurs moments bien sentis entre Loki et sa famille adoptive – Hiddleston peut être content de la célébrité que lui apporte le rôle : il hérite du personnage le mieux écrit -, l’émotion est absente dans Thor 2. Tous les « rebondissements » sont éventés un quart d’heure à l’avance, les protagonistes installés dans une routine familière, et la structure en trois actes désespérante de classicisme. L’inclusion toujours aussi artificielle du frère damné de notre blondinet électrique sent de plus en plus le fan service, même si ses motivations, et SPOILER le fait qu’il déjoue inexplicablement la mort FIN SPOILER confinent à l’incohérence la plus crasse. Au final, le côté « épisodique », quasi-télévisuel du projet, de plus en plus proéminent dans l’univers Marvel, se fait ici cruellement sentir (le dernier plan annonce logiquement un troisième opus), d’autant plus quand il se pare d’un humour de sitcom qui peut faire mouche, mais qui ne rend guère justice à un personnage et un univers aussi particulier que celui de Thor.

PS : deux points de malus pour les séquences post-générique (incompréhensibles ou anecdotiques, au choix) et pour la 3D du film, certainement la conversion la plus inutile… depuis le premier épisode !


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Deuxsurcinq
Thor : le monde des ténèbres (Thor : the dark world)
D’Alan Taylor
USA / 2013 / 112 minutes
Avec Chris Hemsworth, Natalie Portman, Tom Hiddleston
Sortie le 30 octobre 2013
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