Top 10 : Ridley Scott
Quarante ans de carrière, une trentaine de films et une réputation d’artiste infatigable qui n’est plus à faire : Ridley Scott méritait bien un top 10 !
Il approche des 80 ans, et n’a sans doute jamais autant tourné : tout comme Clint Eastwood, Sir Ridley Scott est en train de s’offrir une fin de carrière royale, en enchaînant les tournages comme s’il venait de découvrir le cinématographe. Et pourtant, le cinéaste d’origine britannique a depuis bien longtemps trouvé sa voie, celle d’un conteur-né passionné par l’image, qui ne s’impose aucune limite lorsqu’il s’agit de mener à bien les projets qui lui tiennent à cœur.
[quote_left] »Scott, dessinateur de talent, est doté d’un sens inné du cadre et de l’image léchée. »[/quote_left] Ridley Scott est la définition même de ce que l’on a commencé à appeler dans les années 80 les « pubards » : un réalisateur qui a fait ses armes non pas sur des téléfilms ou des pièces de théâtre, mais dans le monde a priori pas très glorieux de la publicité. Avec son petit frère, le regretté Tony Scott, l’ancien élève du London Royal College of Art passa dix ans, à la tête de sa propre société de production RSA (pour Ridley Scott Associates) a réaliser des milliers de spots de promotion jugés à l’époque révolutionnaires. Scott, dessinateur de talent doté d’un sens inné du cadre et de l’image léchée, arriva sur le tard à Hollywood, mais ne tarda pas à y imprimer sa marque, notamment grâce au succès d’Alien.
Plus de 35 ans plus tard, le cinéaste, qui aborde chaque nouveau film comme un général prépare une bataille, effectue un nouveau retour remarqué dans le domaine de la science-fiction, avant un nouveau retour à la saga Alien, avec Seul sur Mars. Un film spectaculairement optimiste et léger, bien loin des angoissantes visions du futur dont il était devenu, en peu de titres, l’un des spécialistes. L’une de ces visions se nomme Blade Runner, et ce film-là réapparaît aujourd’hui aussi en salles, en copie neuve et dans sa version director’s cut. Une expression d’ailleurs née en partie grâce à Scott, qui, ça n’est une surprise pour personne, reste aussi un sacré perfectionniste. Tout ça méritait bien un top 10, non ?
10. BLACK RAIN
Avouons-le : le choix du film devant occuper cette 10e place a été ardu, car entre la comédie attachante Les Associés, le mésestimé film d’apprentissage qu’est Lame de fond ou le bien bancal, mais parfois somptueux Exodus, chacun présente des arguments plutôt solides. Et pourtant, c’est Black Rain qui fait donc son apparition ici. Le genre de film qui ne devrait pas nous rendre nostalgique, avec son avalanche de filtres d’un goût douteux, son arrogance pro-occidentale à l’image de son héros à coupe mulet (Michael Douglas en mode « à cran »), son manichéisme viril et, de manière générale, son caractère outrageusement eighties – et pas dans le bon sens du terme. Mais voilà, Black Rain c’est aussi ce buddy movie attachant où Andy Garcia faisait encore – brillamment – ses preuves, son atmosphère paradoxalement très sombre et morbide pour un film aussi commercial, ses rues enfumées de Tokyo évoquant une version contemporaine de Blade Runner, une violence esthétisée déjà sous influence du cinéma asiatique moderne… Black Rain, c’est une série B comme on en fait plus, et qui avait dû rendre fier le frérot de Ridley, Tony, qui enquillait ce genre de plaisirs coupables comme des perles à l’époque.
9. KINGDOM OF HEAVEN
Nous l’avons mentionné plus haut : si la notion de director’s cut est aujourd’hui monnaie courante, on le doit en partie aux innombrables versions alternatives sorties par Scott dès le début de l’ère DVD. Œuvre ambitieuse sur les Croisades, dépeignant les religions avec une intelligence rare au cinéma, Kingdom of Heaven a souffert à la fois des comparaisons avec Gladiator (auquel il ne ressemble aucunement) et d’un remontage express ordonné par les studios, qui handicapait gravement la compréhension du récit et des motivations des personnages en salles. Restauré lors de sa sortie en DVD, le montage intégral dévoile la véritable ampleur d’un film payant un tribut manifeste à David Lean, aussi spectaculaire que complexe, et nous vengeant du projet avorté que Paul Verhoeven devait réaliser au milieu des années 90 avec Arnold Schwarzenegger. Certes, Orlando Bloom fait un Croisé pâlot, mais il n’est finalement que le héros par défaut d’un récit épique et choral, qu’il faut continuer à réévaluer.
8. LEGEND
Ridley Scott est un familier des productions à rallonge. Mais le tournage et la post-production de Legend demeurent encore la période la plus conflictuelle et difficile de sa carrière, à tel point que les à-côtés du film sont devenus plus célèbres encore que l’œuvre elle-même. Né de la volonté du réalisateur de porter à l’écran un conte original (et non une adaptation d’un récit en particulier) dans la lignée esthétique du classique de Jean Cocteau, La Belle et la bête, Legend a essuyé un échec cuisant en 1985, malgré le succès grandissant de sa star Tom Cruise et les efforts répétés du studio pour rendre le produit final attrayant pour les marmots. Réduite à peau de chagrin dans son montage de 98 minutes, la quête naïve de Jack pour sauver sa princesse des griffes du seigneur des ténèbres (une vraie réussite, due à Rob Bottin) retrouvera sur le tard des couleurs – et quelles couleurs – grâce à un director’s cut approuvé à la fois par Scott et sa star, sortis amers de cette coûteuse expérience.
7. AMERICAN GANGSTER
À la fin des années 2000, Ridley Scott est littéralement obsédé par l’idée de tourner, encore et encore, avec son pote Russell Crowe. Ils vont tourner quatre films ensemble à la suite, donc cet American Gangster où l’irascible Australien partage l’affiche avec un nouveau venu dans son univers : Denzel Washington. C’est bien lui, le gangster américain en titre. Un truand intimidant nommé Frank Lucas, qui a vraiment existé, et s’est construit un empire de la drogue en profitant de la guerre du Vietnam pour importer de la cocaïne depuis le Triangle d’Or asiatique. Le tout au nez et à la barbe des mafieux italiens en place sur la côte est. L’ironie de cette histoire à la Scarface n’a pas échappé au réalisateur et à son scénariste Steven Zaillian, qui bien aidés par un acteur affûté, font en sorte de ne jamais présenter Lucas comme un salaud intégral, mais un opportuniste aux méthodes brutales. C’est Washington qui brille et dont on se souvient dans ce film solide, même si moins virtuose que les classiques qui l’ont précédé. Pas Crowe, peu surprenant dans un rôle besogneux de flic borné.
6. THELMA ET LOUISE
Vestige d’une décennie où l’on pouvait encore fabriquer un succès populaire (et très désespéré si l’on considère la façon dont il se termine) avec deux femmes fortes – et jamais ridiculisées – en tête d’affiche, Thelma & Louise passe le test des années avec une vigueur qui continue de surprendre. Si Scott était connu pour avoir créé quelques personnages féminins marquants, rien ne pouvait laisser présager une œuvre aussi radicalement féministe et libertaire, coup de génie d’une scénariste débutante nommée Callie Khouri qui y gagnera son seul Oscar. Susan Sarandon et (surtout) Geena Davis ont bien sûr une part de responsabilité dans ce magnifique exemple de road movie à cheval entre plusieurs genres, où deux femmes en souffrance transforment leur week-end d’évasion en cavale à la Bonnie & Clyde. Pas parce que ça les amuse, mais parce qu’il y va, au départ, de leur honneur et de leur liberté. Leur tonitruant rappel à l’ordre trouve encore un écho nécessaire aujourd’hui : une manière comme une autre d’expliquer le pouvoir d’attraction de ce véritable classique moderne.
5. LA CHUTE DU FAUCON NOIR
Alors comme ça, La chute du faucon noir, que George W. Bush tient en haute estime, serait un film outrageusement patriotique, un peu à la manière d’un Nous étions soldats. Ironique, considérant que Ridley Scott est Anglais, et que le film, tiré du livre de Mark Bowden, relate par le menu les circonstances d’un énorme échec militaire américain. Certes, Ridley Scott y met les manières : si l’on goûte peu à son style marqué, clippesque, esthétisant (autant de termes pour qualifier l’amour du réalisateur pour les belles images), alors Black Hawk Down sera un calvaire. Porté par un vivier de gueules connues – ou pas encore au moment du tournage, comme Tom Hardy -, ce film de guerre d’une extrême intensité est tout entier dédié à l’illustration du combat urbain dans ce qu’il a de plus galvanisant, certes, mais surtout d’impitoyable. Les patriotes préféreront y voir glorifiées les notions d’héroïsme et de camaraderie, mais la morale à tirer de ce jeu de massacre chorégraphié, véritable matrice des FPS modernes, est surtout que ce genre de guerre « sale » ne fait que perpétuer le chaos plutôt que d’y mettre un terme.
4. LES DUELLISTES
Anecdote parlante : Ridley Scott avait 39 ans quand il réalisa son premier long-métrage de cinéma, Les Duellistes. Un âge déjà vénérable dans le secteur, mais qui permet de comprendre pourquoi, dès ses débuts, le réalisateur venu de la publicité affichait déjà une telle maîtrise de l’image. Adaptation soufflante d’un court roman de Joseph Conrad, sur l’absurde lutte intestine que se livrent pendant une décennie deux officiers napoléoniens, Les Duellistes annonce de manière virtuose le haut degré de sophistication de son metteur en scène, inspiré ainsi par la peinture flamande, mais pas seulement. Sorti deux ans après Barry Lyndon, il en remontrerait presque à son compatriote Kubrick : plus ramassée, ludique en un sens, le résultat est en tout cas plus jouissif à découvrir. D’abord parce qu’il s’agit d’un émerveillement de tous les instants – Les Duellistes contiennent l’un des plus beaux derniers plans de l’histoire du 7e art -, mais aussi parce que Harvey Keitel et Keith Carradine, perruqués et moustachus, y personnifient le masochisme guerrier avec une justesse remarquable.
3. GLADIATOR
Qui eut crû qu’un des films les plus adorés du grand public ces 15 dernières années, soit un péplum ? Comme le film de pirates, le « film de toges » était pratiquement porté disparu depuis l’avènement du Nouvel Hollywood, quand Ridley Scott décida de s’en emparer, pour rebondir après plusieurs échecs successifs (dont l’hilarant, mais ridicule GI Jane), avec l’appui décisif de Dreamworks. La surprise n’en fut que plus grande ! En s’inspirant librement de La chute de l’Empire romain, en créant un formidable héros accumulant autour de lui tous les fantasmes et lieux communs liés à l’Antiquité (les guerres tribales, les jeux du Cirque, les complots des sénateurs romains… ne manquaient plus que les courses de chars), Ridley Scott parvint à livrer une œuvre unique et rassembleuse, caractérisée par son mysticisme prononcé. Russell Crowe y gagna la gloire et l’Oscar (en plus d’une foule de répliques immortelles), le genre une nouvelle – et brève – vie sur le grand et le petit écran, et Scott une nouvelle énergie. Pas mal pour un film dont le héros s’appelait tout de même Maximus Decimus Meridius.
2. BLADE RUNNER
Cinq montages, un making-of culte de 4 heures, des centaines de descendants plus ou moins légitimes, une suite tardive qui alimente tous les fantasmes… 33 ans après, que reste-il à découvrir sur Blade Runner, ce projet fou inspiré de Philip K. Dick qui refusa de tomber dans l’oubli après sa décevante exploitation en salles ? Ce film rétro-noir bouillonnant d’inventivité, fondateur sans le savoir du courant cyberpunk, matrice tout aussi involontaire de tout un pan de la bande dessinée SF, continue de faire rêver et de susciter l’admiration. Êtes-vous par exemple dans le camp des « Deckard est un Replicant » ? Que pensez-vous de l’apparition du cygne en papier ? Tant de questions… Ridley Scott doit rétrospectivement se réjouir d’avoir enfanté dans la douleur cette œuvre marmoréenne, incomprise avant d’être canonisée et déconstruite par ses légions d’admirateurs, auxquels se joindra sur le tard un Harrison Ford qui n’était pas son premier soutien. Des designs de Syd Mead aux anecdotes de Rutger Hauer sur l’origine de son monologue final, Blade Runner fascine sur tous les points, et c’est bien la première des qualités exigées d’une œuvre d’anticipation.
1. ALIEN
S’il ne fallait garder qu’un film de la franchise Alien… Okay, la lutte serait sanguinaire avec la séquelle testostéronée et franchement euphorisante de James Cameron. Mais parce qu’il a l’honneur d’être le premier à nous avoir révélé le visage de l’extraterrestre imaginé par HR Giger, parce qu’il a été l’un des premiers à nous faire regarder l’espace, non comme une nouvelle frontière, mais un tombeau en puissance, Alien gardera la première place, y compris dans la filmographie de Ridley Scott. Il convient de souligner que la réussite totale, écrasante, de ce chef d’œuvre de la science-fiction n’était pas le fruit d’un seul homme, mais d’une galerie d’artistes, designers, comédiens et scénaristes (Dan O’Bannon est pour une bonne part le créateur de l’univers de la franchise) au sommet de leur créativité. Alien, en 1979, était un film à rebours de la tendance en vogue d’une SF souriante et grisante, représentée par Star Wars et Superman. Le film de Scott, qui installa pour de bon son nom dans la conscience collective, vint chambouler cet état d’esprit avec un perfectionnisme confondant. Nul n’aurait souhaité vivre à bord de l’USS Nostromo : mais Scott parvenait à nous faire croire à son existence, sa plausibilité, comme jamais un film du genre n’y était parvenu. Signe de perfection supplémentaire : Alien ne gagne rien à être vu dans sa dispensable version director’s cut !