Cela fait trois fois maintenant que Ridley Scott nous emmène loin, loin dans l’espace, là où personne ne vous entend crier (mais de toute façon, il n’y a pas d’air là-bas, donc vous ne pourriez même pas le faire). Et à chaque fois, ses odyssées dans le domaine de la science-fiction spatiale s’accompagnent d’une obsession manifeste pour les lésions ventrales. Dans Alien et Prometheus, le ventre d’un malheureux héros et d’une héroïne était agressé par une créature extraterrestre belliqueuse. Signe que nous naviguons ici dans un tout autre genre de récit, c’est à une opération de suture express, pour refermer une plaie béante dans l’abdomen du héros, que nous assistons au début de Seul sur Mars. Réparer et soigner, plutôt que de détruire et de tuer : le nouveau blockbuster de sir Ridley, son quatrième film en autant d’années, est placé tout entier sous ces auspices positivistes, qui en font une œuvre bien moins angoissante que ce que son titre français laissait penser.

Astronautes, unissez-vous !

Seul sur Mars : que la Science soit avec toi

Drew Goddard, le réalisateur de La cabane dans les bois et ici scénariste, a adapté plutôt fidèlement le livre d’origine d’Andy Weir, The Martian, gros succès de 2011. Le ton adopté par le film ne surprendra ses lecteurs : extrêmement technique, mais en même temps décontractée et bourré d’humour, cette histoire-là pose peu de questions sur notre place dans l’univers ou la fragilité de notre raison humaine face à un environnement hostile et désertique. C’est un survival, le plus extrême et futuriste qui soit, mais ça n’est pas pour autant une odyssée intérieure. Seul sur Mars, s’il contient une ou deux références religieuses, ne célèbre qu’un seul Dieu, et son nom est la Science.

[quote_center] »La bonhomie de Matt Damon fournit un visage idéal à cette histoire immédiatement entraînante. »[/quote_center]

D’ici quelques décennies, donc, l’Homme aura mis le pied sur Mars. Tout comme dans Mission to Mars, Planète Rouge ou, hum, Ghosts of Mars, le film de Scott commence par dépeindre le quotidien d’astronautes dans leur base martienne, emmenée par le commandant Lewis (Jessica Chastain, impliquée, mais comme absente). Leur mission s’avère pourtant rapidement écourtée : suite à un décollage en catastrophe, l’un des leurs, le botaniste Mark Watney (Matt Damon) est laissé pour mort sur la planète rouge. Panique et consternation à la Nasa ! Seulement, sur place, à quelques 80 millions de kilomètres, Watney se réveille. Il est encore en vie, aussi seul sur la planète que pouvait l’être Yoda, et il a bien l’intention de ne pas mourir là, malgré le fait que les éléments, le temps et ses chances soient contre lui. « Je vais devoir chier de la science », s’exclame-t-il face à l’ordinateur de sa base, qui va lui servir de journal intime. C’est le début d’une longue odyssée mobilisant le monde entier (oui, même la Chine), qui a pour seul but de ramener l’astronaute égaré sur sa planète natale.

Un problème = une solution

Seul sur Mars : que la Science soit avec toi

Bien que la description du scénario de Seul sur Mars fasse indéniablement penser à une version spatiale de Robinson Crusoé, ou de son pendant hollywoodien, Seul au monde, le film tel que nous le découvrons est loin de se résumer à un one-man-show de Matt Damon en Mac Gyver du futur. La Nasa, qui avait déjà loué les mérites et le réalisme scientifique du roman d’Andy Weir (moyennant quelques inexactitudes servant avant tout le suspense du récit), a apporté tout son soutien à Scott et son équipe lors du tournage du film. Tout comme Apollo 13, auquel Seul sur Mars ressemble énormément, l’agence spatiale américaine est un peu le héros par défaut du film. La Nasa est ici dépeinte comme un repaire de bureaucrates et de pros de la communication cherchant à faire voter des crédits et se donner un beau profil, certes. Mais le scénario de Goddard ne cherche pas longtemps à masquer les qualités partagées par l’ensemble des protagonistes restés sur Terre, avec lesquels nous passons tout de même beaucoup de temps : comme Watney, comme l’équipage de l’Hermès (le grand vaisseau qui sert de moyen de transport entre les deux planètes), ce sont tous des rêveurs et des génies amoureux de la science et des mystères de l’univers. Et de fait, il n’y a dans Seul sur Mars aucun personnage abusivement transformé en antagoniste, aucun égoïsme mal placé ou Compagnie omnisciente complotant contre les héros : adepte d’univers plutôt sombres et dépressifs, Ridley Scott signe sans doute le film le plus optimiste et léger de sa carrière, aux côtés… d’Une grande année, son mélo viticole avec Russell Crowe.

Loin d’être un obstacle pesant, la science (les sciences, en fait, de la biologie à l’arithmétique) devient ici un pilier rassurant, sur lequel chacun s’appuie pour trouver une solution à des problèmes insolubles. Watney n’a pas d’eau, de nourriture, ou de réserve d’oxygène suffisante ? Il va tout simplement les créer en utilisant ses connaissances et son environnement, en prenant soin d’expliquer tout le processus à sa caméra portable (et donc au public) comme dans un épisode surréaliste de Man vs Wild. L’Hermès est trop loin de Mars pour revenir porter secours à l’astronaute ? Un petit génie des maths va trouver l’itinéraire de voyage parfait et l’expliquer à ses patrons (et donc au public) de manière saugrenue, mais parlante. Tout le film est ainsi conçu comme un va-et-vient binaire, entre présentations d’un problème, et sa résolution logique et pédagogique. Un vrai cours magistral, d’un pragmatisme inattaquable si l’on est pas diplômé d’astrophysique, qui réjouira ceux qui étaient restés de marbre face aux pirouettes philosophiques d’Interstellar, beaucoup moins porté sur la hard science en comparaison.

Un Martien pas si solitaire

Seul sur Mars : que la Science soit avec toi

Il serait criminel de bouder le plaisir pris devant les aventures du « martien » Watney. Jovial, boute-en-train, l’astronaute n’aborde jamais son épreuve comme un calvaire insoluble, mais comme une simulation de survie grandeur nature, un défi personnel qui ne le laisse jamais désarmé. Damon est un comédien immensément attachant, et sa bonhomie très américaine fournit un visage idéal à cette histoire immédiatement entraînante (l’acteur est aussi plus à sa place ici que dans son rôle totalement opposé de faux héros de l’espace dans Interstellar). En bon vétéran du genre, Scott se montre imaginatif pour assurer une continuité rythmée entre les scènes sur Mars, sur Terre, et dans l’Hermès, de sorte que chaque rebondissement découle immédiatement du précédent (et là aussi, c’est un casse-tête scénaristique qui nécessitait une bonne logique pour être résolu). Il y a du métier à l’œuvre pour faire de Seul sur Mars un film divertissant, et dans cette optique, la réussite est là, même si les ficelles émotionnelles sont usées et les personnages grossièrement définis.

Malgré tout, une certaine déception se cache dans les moments creux du film, un sentiment tenace d’occasion manquée. Et on ne parle pas ici de la très inutile 3D, aucunement prise en compte dans la mise en scène contrairement à Gravity. Jamais Mark Watney ne semble souffrir de la solitude qui peut étreindre un homme « seul sur une planète entière ». Désemparé, certes, parfois, mais jamais désespéré. Contrairement à celui de Robert Zemeckis, le film rechigne à prendre à bras le corps cette image d’isolement vantée par son titre. La Terre, et son contingent de têtes connues aux mines concernées occupent tellement l’espace (sic) que Watney semble être relié directement à eux, juste de l’autre côté de l’écran – et c’est d’ailleurs vrai une fois que les deux parviennent à rentrer en communication. « Les secours sont à 80 millions de kilomètres », clame l’affiche. Même si cela est physiquement vrai, le temps du cinéma compresse lui cette distance inimaginable en si peu de minutes, en si peu de contretemps, que le périple incroyable de son héros ressemble au final à un simple bug dans une machine aux huilages imparables (on y blague même dans le vide de l’espace). Une anecdote à l’échelle d’un système solaire que la Science n’en finit pas de démystifier, un problème après l’autre.


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Trois sur cinq

Seul sur Mars (The Martian)
De Ridley Scott
2015 / USA / 144 minutes
Avec Matt Damon, Jessica Chastain, Jeff Daniels
Sortie le 21 octobre 2015
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