Le dernier bébé de Danny Boyle démarre en territoire familier, routinier même pour qui a révisé son Braquage à l’anglaise et ses Ocean’s Eleven. Un personnage en voix off nous explique par A + B comment il est devenu quasiment impossible de voler une œuvre d’art précieuse aujourd’hui. Finie l’époque où il suffisait de débarquer armes à la main pour emporter le butin. Sauf que le personnage en question, Simon, est lui-même commissaire-priseur, et donc le mieux placé pour aider un gang de cambrioleurs à dérober une peinture valant 25 millions de dollars. Montage azimuté et elliptique, plongée instantanée dans l’action et plaisir manifeste de provoquer en quelques minutes un rush d’adrénaline pour mieux capter l’attention du spectateur : pas de doute, nous sommes bien dans le nouveau film du réalisateur de Trainspotting, fils prodigue de l’Angleterre élevé au rang de trésor national après avoir dirigé la cérémonie d’ouverture des JO de Londres. Cette « mission » remportée haut la main n’est pas sans conséquences sur le projet Trance, tourné pendant et monté après l’Olympiade : moins ambitieux qu’un Slumdog Millionnaire, ce polar gigogne est avant tout un exercice de style conçu pour jouer avec vos nerfs, pour vous bluffer comme dans une soirée au casino.

 

[quote_left] »Boyle se fait plaisir en menant l’audience par le bout du nez. »[/quote_left]Contrairement aux apparences et au premier quart d’heure, Trance est en effet non pas un film de braquage, mais un thriller sur l’hypnose : après avoir doublé Franck (Vincent Cassel, classe sans même faire d’effort) au cours du hold-up, Simon (James McAvoy, qui casse un peu plus à chaque rôle son image de gentil garçon) se retrouve blessé, amnésique, et emmené en urgence à l’hôpital. Où a-t-il caché la toile ? Impossible de le savoir, et Franck et son gang décident donc de faire appel à une hypnothérapeute. Simon choisit Elizabeth (Rosario Dawson, filmée comme une déesse par son nouveau chéri de réalisateur) : elle est efficace, douée, mais finit par vouloir elle aussi une part du gâteau. La tension – sexuelle, entre autres – monte tandis que les souvenirs de Simon remontent à la surface, et que les véritables intentions de chacun se dévoilent. Mais comment discerner la réalité quand votre mémoire elle-même est manipulée ?

Petites manipulations entre amis

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L’hypnose et l’amnésie sont des thèmes particulièrement appréciés des scénaristes : quoi de mieux pour multiplier les retournements de situation que de jouer avec des vérités cachées, des révélations « déblocables » à l’instant souhaité ? Entre les mains de Boyle et de ses deux scénaristes, Joe Ahearne et John Hodge, ce terrain de jeu exigeant de la part du spectateur une grande suspension d’incrédulité devient avec Trance un prétexte tout trouvé pour déjouer les attentes dans un genre idéalement codifié. À partir du moment où la troublante – et troublée – Elizabeth pénètre de son plein gré dans ce petit cercle de bandits londoniens, le film se transforme en délectable jeu de chaises musicales, où chacun devient à son tour le maître de le partie, en révélant ou plutôt en cachant ses cartes pour mieux servir ses intérêts. Le fait que McAvoy incarne par exemple un joueur de poker compulsif n’est certainement pas un hasard : ce Simon à la bonne bouille de petit malin frustré par sa carrière se retrouve manipulé comme un jouet par le réalisateur. Prisonnier derrière une vitre-écran contre laquelle il ne cesse de cogner, littéralement, tandis que, comme un puzzle aux pièces difformes, les souvenirs du jour du hold-up se rassemblent, utilisant à chaque fois la métaphore de la boîte de Pandore s’ouvrant sur un nouveau et noir secret. Libre à chacun de le reconstituer a posteriori : quand Trance se termine, difficile de savoir si nous avons bien, nous aussi, correctement rétabli l’ordre des choses ou si tout n’est encore, malheureusement, qu’une illusion.

 

Plus encore que dans Petits meurtres entre amis, son premier essai très noir sur lequel le réalisateur consacré semble jeter un œil nostalgique (pas étonnant qu’il en ait du coup retrouvé le scénariste), Boyle se fait plaisir en menant l’audience par le bout du nez, en théorisant avec un rire sardonique sur la dimension manipulatrice de son art, et en mélangeant jusqu’à l’absurde, jusqu’à l’incohérence, les niveaux de perception. Ses ingrédients sont connus. Dès les premières minutes, on retrouve le montage plein de pulsations stroboscopiques, les grands angles, les jeux de lumière agressifs. Comme dans 127 heures et Slumdog Millionnaire, on perçoit cette sensation grisante d’être au cœur d’un tourbillon sensitif parfaitement maîtrisé, avec des codes couleur suggestifs, des clichés savamment détournés (comme ces hommes de main patibulaires tombant d’un seul coup en sanglots à l’évocation du mot « fraise » !) et des éclairs de violence aussi tétanisants – la demi-tête de Cassel, made in Cronenberg – que la sexualité est frontale – le mot n’est pas trop fort dans le cas de Rosario Dawson, dont l’intimité même devient un enjeu scénaristique. Le résultat est inconséquent, charnel et imparfait, parfois infantile dans sa volonté manifeste de perdre le spectateur à tout prix en lui refusant l’accès à une vérité vérifiable, mais le jeu en vaut la chandelle.


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Trance, de Danny Boyle
2013 / Royaume-Uni / 101 minutes
Avec James McAvoy, Rosario Dawson, Vincent Cassel
Sorti le 8 mai
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