L’ Inde fait partie de ces vastes territoires cinématographiques restant encore à défricher. La plus grande industrie filmique du monde fonctionne quasiment en vase clos depuis des lustres, ses grosses productions comme ses films d’auteurs ne s’exportant que très ponctuellement ailleurs qu’en Asie. Le pays et son milliard d’habitants regroupent pourtant des centaines de cultures, des milliers de paysages, de personnages et de codes spécifiques qui ne demandent qu’à franchir les frontières, si le spectateur occidental fait l’effort de s’initier à un cinéma « différent ».

Plusieurs titres passent régulièrement entre les mailles du filet et viennent réjouir nos pupilles sevrées de danses bollywoodiennes, de cascades over-the-top et d’épopées au rythme dantesque (au moins autant que la durée des films proprement dits). Cette année, c’est Gangs of Wasseypur, chronique leonienne monumentale de 5h20 (sortie en deux parties chez nous, le deuxième acte étant prévu pour la fin décembre), qui a créé l’événement par son ambition démesurée et ses personnages évoquant une version sauvage et excentrique du Parrain.

Gangs of Wasseypur, l’incroyable saga mafieuse dont le deuxième épisode sortira le 26 décembre.

D’autres grands succès, comme Lagaan, Devdas, Fantômes, Une famille indienne et plus récemment Endhiran et Ra.One, blockbusters de science-fiction projetés dans divers festivals de l’hexagone, ont donné un aperçu du savoir-faire indien. Et on ne parle même pas du triomphe aux Oscars du Slumdog Millionaire de Danny Boyle, qui n’a étrangement pas déclenché de vague d’exportation massive des productions venues de Bollywood. Dans ce royaume de l’entertainment (qui désigne en fait Bombay, où les studios sont implantés) où chaque projection est considérée comme une fête en soi, chaque long-métrage ou presque est passé à la sauce masala. Ce terme culinaire désigne le mélange des genres – comédie, action, romance, musical, drame et policier – au sein d’un même film, un cocktail dont raffolent les spectateurs et qui peut décontenancer les estomacs non préparés.

En janvier, l’association South asia Paris new art viendra combler un manque criant en créant le premier festival français consacré, entre autres, aux productions indiennes. Le bien-nommé Festival du film d’Asie du Sud transgressif (FFAST) se déroulera à Paris et permettra de voir une douzaine de films en provenance de cet Eldorado trop peu exploré. Si on ne connaît pas encore les détails du programme, on peut espérer voir certains des titres présentés ci-dessous : thriller, action, aventure, actrices sublimes et héros frimeurs sont les ingrédients éprouvés de cette sélection haute en couleurs. Plus que jamais, n’essayez plus de comprendre : regardez !

Le souffle de l’amouuuur

Rarement film aura porté un titre aussi tristement prémonitoire. Jusqu’à mon dernier souffle, sorti en Inde à la période du diwali, fête automnale incontournable qui fait figure à la fois de Noël et de premier de l’an hindou (en tout cas dans le nord du pays), est le dernier long-métrage du maître du mélodrame Yash Chopra. Décédé à 80 ans avant de pouvoir assister à la première de son film, le réalisateur avait signé des dizaines de grands succès populaires, dont plusieurs avec la méga star Shahrukh « King » Khan (Ra.One, Devdas). C’est ce dernier qui est à l’affiche de cette grande romance de 2h40 sortie sur quelques écrans français la semaine dernière. Khan y interprète un émigré londonien qui devient démineur dans l’armée indienne après une tragédie amoureuse. Grands sentiments, déclarations d’amours chantées, humour niais et ralentis sur le beau gosse le plus populaire de Bollywood marchant devant des explosions… On nage en plein Bollywood style, pour le pire comme pour le meilleur.

Enfants de Sardaar !

Bollywood, c’est pire que Los Angeles. Les acteurs les plus aimés du public sont plus que des stars : ce sont des demi-dieux autour duquel se bâtissent tous leurs films, même les plus excentriques. Il ne faut donc jamais s’étonner de voir les réalisateurs mettre complaisamment leur vedette en avant, la star indienne ignorant le sens même du mot ridicule. Dans le rocambolesque Son of Sardaar, c’est un autre gosse-beau qui tient le haut de l’affiche, Ajay Devgn, un habitué des thrillers de Ram Gopal Varma et ayant décroché la timbale avec le hit bourrin Singham. Devgn, il aime la baston. Et avec ce lointain remake d’un film de Buster Keaton, qui se déroule au sein de la communauté Sikh (on les reconnaît à leurs turbans, pour aller vite), et où Devgn joue un autre émigré londonien qui revient régler des comptes familiaux en Inde, on est plus que servis. Cartoonesque, enlevé et joyeusement fou, Son of Sardaar a tenu tête au mastodonte commercial Jusqu’à mon dernier souffle lors de sa sortie. Le thème musical ronge-tête qui recouvre la bande-annonce (on parie que vous l’aurez en tête pour l’éternité) y est peut-être pour quelque chose.

 

Quick, Speed : voici Tezz

Tezz (« vitesse » en français) est un film d’action du genre « fashion victims », réalisé par Priyadarshan, prolifique cinéaste dont l’une des dernières productions, Aakrosh, traitait déjà sur le mode musclé le thème sensible des crimes d’honneur. Au casting de cette chasse au terroriste londonienne – encore ! – évoquant 24, on retrouve Anil Kapoor (devenu célèbre en Occident grâce à Slumdog Millonnaire et la dernière saison de… 24) ainsi qu’Ajay Devgn, qui ne chôme pas puisqu’il a enquillé pas moins de 15 tournages ces trois dernières années, et l’icône absolue Mohanlal. Le « Robert de Niro Indien » a la particularité d’être le premier acteur à avoir été nommé Lieutenant Colonel dans l’armée indienne – à 49 ans. Ce qui en dit long sur le bonhomme, non ? Malgré une grosse promotion, un casting trois étoiles et un trailer très efficace, Tezz a bizarrement fait un flop lors de sa sortie en avril dernier. La vie est injuste avec les stars.

La moustache et l’éléphant

En Inde, il n’y a pas que Bollywood. Le pays compte de multiples points cardinaux cinématographiques, localisés dans différentes régions avec leurs propres particularismes et leur propre langue. La plus célèbre de ces industries alternatives est Kollywood, la contrée du cinéma tamoul, localisée au sud de l’Inde à Chennai. Le cinéma tamoul est largement plus macho et déviant que son homologue de Bombay. Dans Alex Pandian, prévu pour 2013, la jeune vedette Karthi (Siruthai) joue comme souvent un redresseur de torts moustachu et dur à cuire, le genre qui n’hésite pas à envoyer valser des jeeps dans des palmiers. Cela ne l’empêche pas de chanter mais ici, le plus important est de mettre des baffes et de zoomer sur le visage grimaçant de Karthi pour bien montrer qui est le plus fort. Alex Pandian promet malgré tout d’être un sacré spectacle, avec notamment une scène sur le toit d’un train ayant englouti une bonne partie du budget, et la construction d’un palais en forêt ayant failli être détruit par les éléphants qui vivaient là. Eh oui. Tony Jaa vous avait pourtant dit de ne pas énerver les éléphants.

Le sentier du succès

Alors là, attention. On parle pour finir cette sélection d’un véritable raz-de-marée public, le 5e plus gros succès indien de tous les  temps – ce qui n’est pas peu dire dans un pays qui produit plus d’un millier de longs-métrages chaque année. Forcément, il y a dans Agneepath – « le sentier du feu » – une superstar masculine en tête d’affiche (Hrithik Roshan, le Don de Don 2, vu aussi chez nous dans La famille indienne et le savoureusement con Mission Kashmir) et une romance pailletée avec une femme sublime qui ondule au ralenti – on y peut rien, c’est bien un cliché pour une raison. Mais ce remake d’un classique local de 1990, outre qu’il ne soit que le premier film de son réalisateur (heureux homme), a aussi la particularité d’être véritablement somptueux. Et à Bollywood, ça n’est pas peu dire : située dans un village insulaire qui évoquerait presque le Temple Maudit (en partie à cause de son méchant, chauve et grimaçant), cette histoire de vengeance charrie des images hypnotiques, gorgées d’ocre et de ténèbres, et profite d’une ambiance quasi-mystique, qui détonne dans une industrie généralement plus frileuse qu’on ne le pense. Sorti il y a déjà un an en Inde, Agneepath pourrait sans problème faire parler de lui en Occident, si jamais un distributeur s’aventurait à nous le montrer sur (très) grand écran.