Comme BTW l’a souligné il y a quelques mois dans son dossier des adaptations de séries les plus attendues, Veronica Mars est un cas exemplaire de renaissance inattendue. Cette remarquable série culte du début des années 2000 aurait pu tout aussi bien tomber dans l’oubli le plus total. À l’issue de la troisième saison, la Warner et la chaîne CW n’avaient aucunement l’intention de soutenir les prétentions cinématographiques de son showrunner, Rob Thomas. Après un appel aux dons sur une plate-forme de crowdfunding, l’équipe réunie autour du réalisateur a pourtant surpris tout le monde en réunissant en un mois 5,7 millions de dollars : un budget décent permettant de tourner dans la foulée le film en quelques semaines seulement. Résultat : une belle publicité et un mode de distribution quasi expérimental pour une petite production diffusée en même temps dans quelques centaines de salles américaines, et à l’étranger uniquement en VOD, par la branche digitale de Warner.
Marshmallow pour fan assumé
[quote_left] »Non seulement Kristen Bell n’a pas pris une ride, mais elle endosse le rôle comme si elle l’avait quitté la veille. »[/quote_left]Veronica Mars, le film, assume sans complexe ce que X-Files et ses différentes itérations sur grand écran n’ont jamais osé : un film écrit, joué et filmé quasi exclusivement à l’intention des fans de la série. En finançant cette production, les aficionados du show martien ont permis de résoudre l’équation habituelle et compliquée des adaptations : comment plaire au grand public sans trahir la série d’origine ? « Veronica Mars est une lettre d’amour aux fans » a ainsi déclaré Rob Thomas, même si les non initiés aux aventures de la jeune détective privée peuvent apprécier sans nul doute le voyage à Neptune (nom de la ville imaginaire californienne où se déroule l’action).
Avant d’entrer dans le détail de l’histoire, il convient de revenir sur le doublage désastreux de la série et, aujourd’hui du film, sur notre territoire. Un petit retour en arrière s’impose. Après plusieurs années de diffusions et de critiques exemplaires dans la presse américaine, le groupe M6 rachète les droits de la série et décide de la transformer en « produit » pour « adolescents et ménagères de moins de 50 ans ». Résultats : des voix d’enfants enrhumés et des dialogues prépubères accompagnés d’une traduction puérile détériorent un show pourtant richement écrit et qui se distingue par ses références subtiles. L’adaptation cinématographique ne fait pas exception. Si vous souhaitez voir le film en VOD, optez à tout prix pour l’option « VO » et vous découvrirez que Kristen Bell ne parle finalement pas comme un canard, et que l’héroïne ne s’étend pas sur ses relations amoureuses lors de ses entretiens d’embauche, entre autres exemples embarrassants.
Retour au bercail
Elle vous a manqué ? Dix longues années après l’arrêt de la série qui l’a fait connaître, Kristen Bell (Sans Sarah, rien ne va) reprend son cuir et son taser pour combattre le crime dans la douce et violente ville de Neptune. Elle avait quitté cette « bouche de l’enfer », son ex-chéri Logan (Jason Dohring), ses amis Mac et Wallace et son privé de papa pour rejoindre la Big Apple, et poursuivre une brillante carrière, non pas au FBI, mais en tant qu’avocate. Elle s’apprête à rejoindre un cabinet d’avocats et avec son petit ami Piz et à abandonner définitivement son passé d’enquêtrice. Seulement voilà, Logan, qui pourtant a repris sa vie en main, est accusé une nouvelle fois de meurtre. Veronica revient à Neptune pour lui prêter main-forte.
La fille prodigue retrouve donc son père en mauvaise posture face un nouveau shérif (Jerry « Quinn Mallory » O’Connell) encore plus lâche et vénal que n’a pu l’être son frère au même poste par le passé. Logan, qui vit avec le toujours subtil Dick (Ryan Hansen, vu aussi dans Party Down, autre série supervisée par Rob Thomas), s’est engagé dans l’armée, avant de perdre sa petite amie et de replonger de nouveau dans les ennuis. Elle croise également la route de Weevil et de la mère de Duncan, de l’infernale Madison Sinclair, sans parler de Vinnie (Ken Marino, Party Dawn, Bad Milo!), Cob (Martin Starr… Party Down encore !) et de Léo, le flic charmeur. Des caméos surprenants sont également au menu, avec James Franco, venu en ami, et Jamie Lee Curtis. Seul Teddy Dunn, dans le rôle de Duncan Kane, manque à l’appel. Son personnage, petit à petit détrôné par Logan dans la série, n’aura visiblement pas su trouver sa place dans le film.
Une plume efficace
Conçu comme un épisode géant, le scénario tire sur des ficelles déjà exploitées de la série. Un prélude en guise de retrouvailles, un mystère à la Agatha Christie, un suspens montant crescendo et un retournement de situation final déroutant et moderne : le film tient pourtant bien la route sur grand écran. Les dialogues savoureux se dévorent avec délectation, en particulier lors des confrontations de l’héroïne avec ses — nombreux — ennemis. La voix off, toujours aussi (omni)présente, permet de comprendre le chemin intérieur effectué par la jeune femme, qui la conduira à un choix final aussi attendu que décisif. Nous pouvons peut-être regretter le rôle mineur du père, pilier de la série, qui entretenait avec Veronica une complicité et un respect mutuel rarement transcendés sur le petit écran. Malheureusement, Keith Mars dans le long-métrage n’a plus rien à prouver. La sœur de Duncan, Lilly, pourtant fil rouge de toute la série, n’est que brièvement évoquée, et même absente lorsque l’histoire pleure ses disparus. Sans transition, le film passe donc à l’« affaire » suivante.
Outre le scénario qui actionne plusieurs mécanismes familiers, le film reprend une autre caractéristique propre à la série : le jeu exemplaire et homogène des acteurs, à commencer par Kristen Bell. Non seulement cette dernière n’a pas pris une ride, mais elle endosse sans sourciller le rôle comme si elle l’avait quitté la veille. En sa compagnie, Jason Dohring parvient à faire renaître l’alchimie magique entre les deux personnages. Une mention spéciale doit aller à Jerry O’Connell, qui campe avec délice son rôle d’ordure.
100 % Neptune
Si les décors de la série semblent avoir totalement disparu (l’agence de détectives, l’appartement des Mars et le lycée de Neptune paraissent méconnaissables), le film conserve son identité visuelle si particulière. Rob Thomas parvient à recréer l’ambiance californienne et lunaire de la série, pleine de tons chauds et de profondes ténèbres. La lumière rasante semble écraser de nouveau les protagonistes de couleurs et de textures fortes oscillant entre le jaune aveuglant et le bleu envoûtant.
« Notre histoire est épique, elle défie les années et les continents », lance en fin d’aventure Logan à sa chère Veronica. Une ligne de dialogue qui illustre parfaitement l’état d’esprit général d’un film conçu pour rappeler la folle jeunesse des amateurs de la série, et donner un visage moderne à ces souvenirs nostalgiques. Même si leurs petits cœurs vacillent lorsque résonne, après près de 1 h 30 de retrouvailles, les premières notes du générique signées The Dandy Warhols, impossible de se retenir d’espérer une suite, tournée sur le même mode économique et participatif. Après tout, souvenez-vous, « a long time ago, we used to be friends »…
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Veronica Mars, le film
De Rob Thomas
USA / 2014 / 107 minutes
Avec Kristen Bell, Jason Dohring, Enrico Colantoni
Sortie le 13 mars 2014 en VOD
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