L’annonce en 2008 d’un reboot de La Planète des singes aura au moins eu une conséquence déplaisante : elle nous a rappelé au souvenir de la version « signée » Tim Burton en 2001. Un gros navet profitant certes de somptueux costumes, armoires et maquillages simiesques, signés Rick Baker, mais refoulant du goulot à cause d’un script délirant de crétinerie (aaah, ce climax non-sensique qui essaie tant bien que mal de singer l’original…), et de personnages totalement à côté de la plaque, du belliqueux et bien caricatural méchant incarné par Tim Roth à la blondasse Estella Warren, tellement en mode « parachutage de gros seins pour les jeunes » qu’elle disparaîtra de la circulation sitôt le film oublié. Eh oui, même dans le secteur des blondes à forte poitrine, il faut un tant soit peu savoir jouer pour pouvoir se faire une carrière…

C’est donc en connaissance de cause que les producteurs de la saga ont voulu reprendre les choses à zéro. Exit les voyages intersidéraux et les twists tordus : ces Origines-là veulent jouer la carte de l’intime. Cette nouvelle Planète des Singes est signée par un quasi-débutant (Rupert Wyatt, dont le premier long, The Escapist, est toujours inédit en France), mais dans les coulisses, les experts de Weta Digital ont eux le prestige de l’expérience King Kong pour remporter l’autre défi de cette préquelle à gros budget : créer des singes numériques aussi photo-réalistes et crédibles que possible. Au final, c’est sur eux que reposera la portée émotionnelle du film, et donc sa réussite.

La conquête de la planète des hommes

La planète des singes : les origines, ce reboot a une âme

Air connu, la transformation des singes en espèce dominante s’explique cette fois par des manipulations scientifiques financées par un grand consortium. Bien que dirigées par le scientifique Will Rodman (James Franco, plutôt sobre), personnage positif, dans le but philanthropique de guérir la maladie d’Alzheimer, ces expériences menée sur le cerveau de chimpanzés vont, comme dans un bon vieux comics, faire d’eux une nouvelle espèce, à la fois animale et humaine. Et comme dans toute bonne évolution, c’est le patient zéro, César (Andy Serkis, fabuleusement expressif derrière son masque digital) qui va mener leur révolte contre des humains oppressifs.

 Il n’y a même pas de spoilers dans ce résumé, pas plus en tout cas que dans la piteuse bande-annonce française, qui tient plus du « previously » de série télé (sauf qu’il n’y a pas d’épisode suivant pour l’instant !). C’est la principale faiblesse de La planète des singes : les origines : malgré ses qualités, son attention portée à ses personnages simiesques, sa progression dramatique méticuleuse et sa volonté de ne pas donner dans l’épate artificielle, le script de Rick Jaffa et Amanda Silver est sans surprise aucune. Matons abusifs, patrons voyous, gentil couple de héros : chacun est à sa place, l’ambiguïté n’est de rigueur pour personne, et marketing oblige, on sait très bien où tout cela va mener. Mais ça n’est pas le plus important.

Au commencement était le regard

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Non, ce qui compte, c’est la fascination exercée par une créature digitale d’un (presque) nouveau genre : le singe César, qu’on suit de sa naissance à l’âge adulte avec l’émerveillement que l’on pourrait avoir à la découverte d’une espèce inconnue. Miracle de technologie, César est au centre de quasiment tous les plans du film, de deux plans-séquences tournoyants (et se répondant en miroir, car opposant la liberté relative de sa maison, à celle, absolue, de la forêt surplombant San Francisco) aux close-ups épousant, dans des cadrages toujours serrés, son regard si profond. Weta réussit l’incroyable : là où souvent, l’animation digitale pêche, à savoir les yeux de ses créatures virtuelles, César existe physiquement, bien plus par exemple que les échassiers aux grands yeux d’Avatar. Son « âme » est présente à l’écran, comme l’est du coup le jeu d’acteur d’Andy Serkis, désormais rompu à l’exercice. Pas étonnant que la meilleure idée du film concerne le changement de couleur des yeux des singes, lorsqu’ils accèdent à une intelligence supérieure sous l’effet du sérum miracle de Rodman.

 Pas étonnant aussi, en contrepartie, que les personnages humains nous paraissent si pâles en comparaison. D’abord parce qu’ils sont schématiques, mais aussi parce que leur sort nous paraît moins attachant, moins viscéralement intéressant que celui de ces quadrupèdes venant se dresser contre leur oppresseur, lors d’un affrontement ô combien symbolique sur le Golden Gate Bridge, frontière visuelle et géographique entre la société des hommes et la Nature régénératrice.

 Film contrôlé, fonctionnel, prévisible, La planète des singes version XXIe siècle est donc malgré tout une vraie réussite. Il détourne les attentes d’un public sevré aux blockbusters généralement stériles et vidés de toute substance dramatique (Transformers, anyone ?), pour imposer le récit, nuancé et parfois carrément impressionnant, de la naissance d’un leader, vue de l’intérieur, se passant quasiment de mots (mais quels mots !) pour en traduire les tourments et les sentiments. Chapeau Andy !


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troisssurcinq
La planète des singes : les origines (Rise of the planet of the apes)
De Rupert Wyatt

USA / 2011 / 125 minutes
Avec James Franco, Freida Pinto, John Lightow, Andy Serkis
Sortie le 10 août 2011
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