Propulsé star du jour au lendemain grâce au charisme animal dont il faisait preuve dans le premier X-Men, Hugh Jackman n’a jamais caché, depuis ses premiers jours dans la peau de Wolverine, vouloir tourner une adaptation de l’album iconique signé par Chris Claremont et Frank Miller. Un épisode quasi indépendant envoyant notre mutant griffu préféré au Japon, et qui brossait un portrait atypique et bien vu d’un Logan tout en traumas et fureur rentrée, opposé à la culture raffinée et labyrinthique d’un pays adepte du mystère et de l’arme blanche. Surtout, ce run historique permettait d’établir une analogie entre le statut de mercenaire solitaire propre à Wolverine, et celui de rônin, de samouraï sans maître ne trouvant aucun but à son existence.
[quote_left] »Cherchant un but à sa vie éternelle, pleurant les êtres disparus, Wolverine est ici, plus que jamais, un outsider sans repères. »[/quote_left]
Que cette analogie soit reprise texto dans la version finalement réalisée par James Mangold (appelé par Marvel après que Darren Aronofsky ait finalement jeté l’éponge), prouve que les scénaristes ont saisi, en partie, l’essence de cette saga fondatrice, annoncée timidement dans le précédent spin-off consacrée à Logan, le terriblement mauvais X-Men Origins : Wolverine. Ce nouvel opus « jackmanien », dans lequel l’acteur australien endosse tout de même pour la sixième fois la défroque du mutant, se veut donc être celui de l’introspection, son Dark Knight à lui. Barbu et retiré dans la forêt canadienne, Logan est dans Le combat de l’immortel à nouveau seul, traumatisé par la mort de sa bien-aimée Jean Grey (Famke Janssen, en mode figuration), qui lui apparaît dans ses rêves. Son triste quotidien change le jour où il rencontre l’étrange Yukio (Rika Fukushima), mutante venu du Japon pour l’amener auprès de son patron, le vénérable et richissime Yashida (Hal Yamanoushi), que Logan avait sauvé en 1945 lors du bombardement de Nagasaki. Wolverine accepte, et pénètre à son arrivée dans un monde de duperies et de traîtrises : le clan Yashida cache de nombreux secrets, et certains pourraient bien lui être fatals…
Un mutant à Tokyo
L’une des tragiques erreurs commises par X-Men Origins : Wolverine (outre de laisser passer dans un montage final des plans d’effets spéciaux à peine dignes d’une production Millenium) était de vouloir introduire dans un récit supposément « intimiste » – car consacré rappelons-le à un personnage en particulier – une armada de super-héros traités par-dessus la jambe, dont les dialogues se résumaient à une poignée de répliques supposément cool ou drôles. Le combat de l’immortel a pour objectif avoué de rectifier le tir en centrant dès les premières séquences l’action autour de Jackman, mis à nu dans tous les sens du terme et constamment au centre de l’attention. Cherchant un but à sa vie éternelle, pleurant les êtres disparus, Wolverine est ici, plus que jamais, un outsider sans repères, obéissant à son instinct au cœur d’un Japon où s’entrechoquent les traditions (la maison des Yashida, îlot passéiste perché face à une Tokyo futuriste), que Mangold dépeint toutefois moins de manière réaliste que folklorique – moines bouddhistes se transformant en yakuzas tatoués, ninjas pas très invisibles, petits villages côtiers remplis de poissonniers… rien ne manque.
Mangold, énergique touche-à-tout, est un peu l’héritier spirituel des John Sturges ou Don Siegel, réalisateurs qui approchaient chaque nouveau film comme un exercice excitant de plus, sans se soucier d’obéir à un quelconque plan de carrière, opère à nouveau un virage tonal complet après l’inégal Night and day. Cinéphile averti, il avoue s’être inspiré cette fois tout autant du Yakuza de Sydney Pollack ou de Josey Wales que d’Ozu. Et si ces influences transparaissent peu visuellement, le film étant manifestement conforme à la « charte graphique » Marvel (couleurs vives, décors très typés, abondance de plans américains), on sent bien que le réalisateur a voulu soigner la caractérisation de ses personnages, et souligner les conflits qui rongent son personnage de justicier déraciné mais toujours aussi expéditif – un plan évoque même explicitement L’inspecteur Harry. L’idylle entre Wolverine et la petite-fille de Yashida, Mariko (Tao Okamoto), a beau être superficielle et peu crédible – la belle héritière remplit avant tout la fonction de princesse en détresse -, elle permet de personnifier les problèmes d’adaptation que rencontre Logan. De la même manière, le père de Mariko, Shingen (Hiroyuki Sanada, vu dans les Ring), est au centre de la meilleure scène du film, où il tente de déjouer la maladie qui le prive de son pouvoir de régénération, avant de s’engager dans un combat à mort cruellement inégal. Mangold y saisit en quelques plans la noirceur d’une histoire bien éloignée des canons habituels de la firme (on est loin de l’humour camp des Avengers).
Opération compromission
Malgré l’expérience de son réalisateur et une ambition thématique plutôt bien retransmise, Wolverine pâtit de son handicapant classement PG-13, qui ôte tout côté viscéral à un personnage rappelons-le armé de lames tranchantes, et d’un scénario affaibli par de pataudes retouches (le script initial était l’œuvre de Christopher McQuarrie, l’homme derrière Usual suspects et X-Men), qui multiplie à partir de son troisième acte les compromissions les plus énervantes. Wolverine voudrait être un récit sobre, sombre et riche de sens. Mais c’est avant tout un blockbuster estival, conçu pour drainer des foules désormais demandeuses de leur quota de destruction et de super-vilains surréalistes. D’où cette gênante inclusion de personnages inutiles comme la Vipère, dont les accoutrements fluo et le cabotinage hystérique jurent quelque peu dans le tableau, ou mal exploités, comme Harada (Will Yun Lee), archer d’élite au centre d’une étonnante poursuite démarrant dans un temple avant de se poursuivre en plein Tokyo, puis à bord d’un bullet train – on ne peut alors s’empêcher de penser à Mission : Impossible.
On ne compte donc plus les facilités narratives (comme cette forteresse dont seule une porte est apparemment bien gardée), les rebondissements gros comme une auberge (devinez qui se cache sous l’armure du Samouraï d’Argent ?), ou les intrigues insuffisamment développées, au point de se révéler parfois tout simplement confuses. Comme par hasard, elles concernent en grande partie l’horripilante Viper. Wolverine souffre aussi de sa longueur, préférant par exemple s’appesantir sur un prologue forestier superflu plutôt que sur les difficultés d’acclimatation d’un Logan plus grincheux que jamais. Dans ce rôle qu’il connaît maintenant sur le bout des griffes, Jackman, plus musculeux et monolithique que jamais, est à son aise. Si la franchise existe et perdure aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à lui. Contrairement à ce qu’il espérait, ce Wolverine-là n’a rien du thriller sauvage et sans concessions, promis à l’époque d’Aronofsky. Il s’agit tout au plus d’une honorable escapade, dont il vaut mieux oublier le bruyant et stupide climax, pour en retenir les moments de creux, et la belle idée d’une confrontation culturelle dépaysante dans le cadre, en général étriqué géographiquement, des films de super-héros.
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Wolverine : le combat de l’immortel, de James Mangold
USA / 2013 / 136 minutes
Avec Hugh Jackman, Tao Okamoto, Hiroyuki Sanada
Sortie le 24 juillet
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