Quoiqu’on en dise, quoiqu’on en pense quand les lumières se rallument, Wonder Woman est un film important. Pas parce qu’il apporte un vent de relative fraîcheur dans l’univers de plus en plus déprimant du « DC-verse », ou parce qu’il récolte une salve de critiques positives inédite pour un film co-produit par Zack Snyder. Mais parce qu’il s’agit d’un blockbuster réalisé par une femme, Patty Jenkins (Monster, The Killing) entièrement dédié à la gloire d’un personnage de super-héroïne qui attendait son heure depuis 70 ans. Et qui arrive qui plus est au moment où le genre a atteint son pic de popularité, puisant dans une mythologie suffisamment riche et excitante pour faire oublier en quelques scènes des Supergirl, Catwoman et Elektra de sinistre mémoire.
Le film de super-héroïne restait un dernier bastion à conquérir pour les studios, qui ont fini par se rendre compte que la virilité exclusive du genre n’était pas une condition sine qua non de réussite. Wonder Woman est de fait un projet qui revient de loin, passé dans de multiples mains avant que la mise en place de l’univers partagé autour de la Justice League n’accélère sa mise en chantier. Jenkins, fan déclarée du personnage qui avait manqué de peu l’occasion d’être la première femme réalisatrice à s’attaquer au genre avec Thor : le monde des ténèbres, a eu la difficile tâche de s’approprier un long-métrage dont les contours avaient plus ou moins été définis pour elle. Batman V Superman est en effet passé par là avant, établissant dans l’esprit du public le costume, le thème musical et surtout l’interprète de Diana Prince, l’Israélienne Gal Gadot. Le résultat est un film d’aventures qui fait de l’œil aux succès de Marvel (on troque l’univers d’inspiration nordique de Thor contre la mythologie grecque des Amazones, et le décor rétro de Seconde guerre mondiale de Captain America contre les tranchées de la Première) tout en tentant de trouver le tempo idéal pour rendre justice à la super-princesse guerrière.
Diana Prince, ambassadrice de choc
Le scénario de Wonder Woman retourne, comme une évidence, aux sources de la BD, et débute sur l’île natale de la princesse des Amazones, Themyscira. Diana y est couvée à la fois par sa reine-mère (Connie Nielsen) et sa tante générale en chef (impeccable Robin Wright, badass même avec sa couronne un peu kitsch). Préparée à être une guerrière aux pouvoirs insoupçonnés, prête à affronter quand il réapparaîtra Arès, le dieu de la guerre qui s’est opposé à Zeus en personne. Le quotidien du monde secret des Amazones est bouleversé quand un pilote britannique, Steve Trevor (Chris Pine, très à l’aise en love interest) s’écrase sur l’île, poursuivie par des Allemands en colère. Dehors, c’est la guerre, des innocents meurent, et Diana sent que sa mission est là-bas : elle quitte son monde paradisiaque pour rejoindre « celui des Hommes, qui ne la méritent pas ». Et affronter par la même occasion le sinistre Ludendorff (Danny Huston) et… le Dr Poison (Elena Anaya), qui préparent un plan pour renverser le cours de la Guerre.
Plusieurs tons et plusieurs films s’affrontent dans Wonder Woman et tous ne partagent pas forcément la même réussite et les mêmes objectifs. Il y a logiquement de quoi exulter pendant les vingt premières minutes, lorsque l’action se concentre sur le monde « unisexe » de Diana, ses guerrières à l’adresse surréaliste, féroces et en même temps pleines de grâce dans leurs mouvements. Malgré quelques effets spéciaux et doublures numériques plutôt gênants, ce prologue ensoleillé nous plonge avec une louable naïveté dans cet univers de pure fantaisie, où les enluminures s’animent pour conter la chute des Dieux, et où une héroïne au cœur pur découvre avec le sourire d’un Peter Parker l’étendue de ses pouvoirs.
La femme au lasso
Les événements qui suivent son départ de l’île, et sa découverte de la vieille Europe (grisâtre, boueuse, engoncée dans ses codes et ses étiquettes d’un autre siècle), sont presque meilleurs. Plus que l’ouverture 100 % féminine, c’est là qu’apparaît de la manière la plus simple et la plus efficace le message implicite d’un film applaudi largement sur son supposé féminisme. Telle une Miss Chance, Diana bouscule l’ordre établi non par candeur, mais par un pur attachement à ses propres valeurs : elle n’a pas honte de son corps, de ses attributs guerriers, ignore les concepts de chaîne de commande, d’inégalité des sexes… Elle contredit par sa nature même les conventions en vigueur. Il est alors facile de passer outre le symbole d’une étrangère découvrant un monde qui lui est inconnu, pour y déceler la métaphore d’une femme empiétant un par un sur les « prés carrés » des hommes, affirmant dans un même élan son imperturbable modernité – c’était de fait la vision qu’en avait le créateur du personnage, William Moulton Marston.
À ce petit jeu du renversement des genres, où le compétent et fringant Chris Pine devient par exemple l’homme en détresse (il fait peu le poids face aux pouvoirs surhumains de Wonder Woman et à son lasso de vérité), Wonder Woman marque de précieux points pendant une bonne heure. Le film trouve sa raison d’être, et son pinacle spectaculaire lors du passage dans le « No Man’s Land » : face à l’adversité, une icône se dresse dans toute sa splendeur rococo, faisant jeu égal avec ses virils prédécesseurs sans pour autant les singer. Wonder Woman, tel que Jenkins l’imagine et que la radieuse Gadot l’incarne, possède un style, des valeurs et un désarmant code moral, qui en font un personnage attachant et positif plutôt qu’un objet sexy utilisé pour racoler un public masculin. Une héroïne en pleine émancipation et indépendante, à laquelle, sans aucun doute, de nombreuses jeunes filles ne peuvent manquer de s’identifier.
Prisonnière d’un genre
Pour tout cela, et malgré le côté interchangeable des méchants, la réécriture hasardeuse de l’Histoire, l’enchaînement un peu robotisé des événements et les contraintes voyantes du classement PG-13 (la guerre c’est sale, mais jamais trop), Wonder Woman a quelque chose de réjouissant. Seulement, s’il utilise avec bonheur certaines ficelles éprouvées du genre, le film peine aussi à s’en affranchir, et demeure un produit de son temps. La patte baveuse de Zack Snyder, crédité comme co-scénariste et auteur de l’histoire originale, est si visible et omniprésente qu’elle cannibalise la mise en scène de Patty Jenkins, dont l’apport stylistique est pour le moins difficile à cerner. Les ultra-ralentis, la fascination pour le surhomme, les répliques sentencieuses et surtout le goût immodéré du bonhomme pour les climax aveuglants, anonymes, outranciers et d’une laideur absolue répondent bel et bien présent dans cette superproduction.
Wonder Woman déçoit parce qu’il ne fait jamais vraiment oublier d’où il vient, et pourquoi les films de super-héros demeurent aussi populaires que décriés aujourd’hui. La lassitude est évidente dans la dernière demi-heure, qui cumule twist miteux et dialogues ridicules (« Je sais que l’amour peut changer le monde », ce genre de perles), tout en contredisant la prise de conscience du personnage principal, forcée de modifier son système de valeurs face à la cruauté des hommes – en gros, le mal n’est pas l’œuvre d’une personne, mais doit être combattu en chacun de nous. Patty Jenkins clôt l’ensemble sur un coda parisien tellement cliché, qu’il nous achève dans un soupir, plutôt qu’avec un sourire sur le visage. Espérons que le déjà annoncé Wonder Woman 2 saura s’affranchir de ces codes usés, tout en conservant sa dimension discrètement revendicatrice.
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Wonder Woman
De Patty Jenkins
2017 / USA / 140 minutes
Avec Gal Gadot, Chris Pine, Connie Nielsen
Sortie le 7 juin 2017
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