Trop habité par ses personnages Matthew McConaughey ? Tellement intense qu’il finirait presque par occulter ses partenaires ? Une chose est sûre, pour faire tourner l’acteur oscarisé qui crève littéralement l’écran à chaque apparition, il vaut mieux savoir s’y prendre. Gary Ross n’a rien d’un débutant. Le réalisateur du stupide, mais non moins impressionnant Hunger Games, a longuement buché son sujet avant de se lancer dans Free state of Jones, comme il nous l’a confié il y a quelques jours. Cette fresque épique démarre en pleine bataille durant la guerre de Sécession, du côté des sudistes. Pour ceux qui connaissent mal le passif du réalisateur, il convient de ne pas s’attendre à de grandes scènes de combat. L’essentiel est ailleurs. Comme plus tard dans le film, la caméra effleure son acteur et ses interlocuteurs, et distille déjà quelques informations historiques (« les officiers sont soignés en premier », « les propriétaires d’esclaves ne sont pas mobilisés grâce à la loi des 20 esclaves »). Porté par une star totalement impliquée (et visiblement ravie de prendre l’accent lourd du Mississippi), le long-métrage adopte plutôt un ton profondément humaniste et quasi documentaire.

Une lutte sans fin

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Il faut dire que Free state of Jones a beaucoup à vous apprendre, en particulier pour tous ceux qui n’ont fait qu’effleurer, à l’école, le récit de la fondation des États-Unis. Dans ce cas, même si le jeu en vaut la chandelle, il faudra s’accrocher pour intégrer certains faits (comme l’inversion des partis Républicains et Démocrates, ou la période de la Reconstruction). Durant cette guerre civile sanglante, un groupement rebelle composé de soldats déserteurs et d’esclaves en fuite menés par un fermier, Newton Knight, mène une guérilla contre les Confédérés, au cœur des marais du Mississippi. Sous l’impulsion de leur leader et de plus en plus nombreux, ils vont fonder le premier état où les hommes sont libres et égaux sur le territoire américain : l’état libre de Jones.

Mais après la guerre, Lincoln, à des milliers de kilomètres à Washington, instaure des lois qui ne sont guère appliquées dans le Sud. D’ailleurs, aussitôt aboli, l’esclavage est restauré sous l’appellation laconique « d’apprentissage ». À mesure que la population noire américaine accède à des droits essentiels, comme le droit de vote (pour les hommes, n’exagérons rien !), les attaques racistes se font plus violentes, cruelles et sanglantes, avec l’apparition du terrible Ku Klux Klan. Newton Knight, qui avait déposé les armes pour vivre une histoire familiale compliquée, devra à nouveau se battre pour défendre la cause des tous.

Entre mythe et réalité

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La redécouverte de cette vaste période historique, se traduit dans cette fiction par un aspect absolument captivant et paradoxalement moins convaincant : le film est tellement proche du réel, des livres d’Histoire dont il s’inspire, qu’il nous sort littéralement du récit pour se rapprocher du docu-fiction. En effet, Gary Ross introduit maladroitement dans son intrigue des coupures temporelles qui nous ramènent à l’époque des années 50, auprès d’un descendant de Newton Knight confronté, lui aussi, aux lois ségrégationnistes du Mississippi. Nous imaginons sans peine l’intérêt qu’a pu trouver le réalisateur, plongé dans les documents et les témoignages de la famille Knight, à cette petite histoire qu’il veut monter en parallèle avec la grande. Mais elle reste somme toutes anecdotique, et éloigne le spectateur de son sujet principal.

[quote_center] »Free state of Jones a beaucoup à vous apprendre, en particulier pour tous ceux qui n’ont fait qu’effleurer, à l’école, le récit de la fondation des États-Unis. »[/quote_center]

Seuls les spécialistes les plus pointus de l’histoire américaine connaissent le destin de ce héros désintéressé, courageux, aux yeux du moins de Gary Ross. Sortis dans un pays en pleine campagne électorale, où un ignorant raciste se trouve propulsé en première ligne, Free state of Jones n’a guère intéressé ses citoyens, malheureusement. Riche à plus d’un titre, il représente surtout un plaidoyer humain pour l’égalité sociale quelle que soit la couleur de la peau. Autre signe du profond malaise qui entoure le film, il lui est reproché ses approximations autour du personnage de Knight, qui pour beaucoup n’était pas le saint homme que Ross nous dépeint. Certains historiens reprochent au cinéaste « certains oublis », comme le fait que sa femme, l’ancienne esclave libérée, « appartenait » à la famille de Knight elle-même et non à un riche gouverneur pervers. La prise en compte de cette ambiguïté autour de cette figure américaine, invisible dans le film, aurait peut-être renforcé sa crédibilité. Free state of Jones n’en demeure pas moins une œuvre instructive et tragique, mais qui mérite un recul salutaire.

[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]Pour consulter les archives de Gary Ross, rendez-vous sur ce site dédié.[/toggle_content]


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Free state of Jones
De Gary Ross
2016 / États-Unis / 149 minutes
Avec Matthew McConaughey, Gugu Mbatha-Raw, Mahershala Ali
Sortie le 14 septembre 2016
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