Mister Babadook : la mère de toutes les peurs

par | 21 novembre 2025

Mister Babadook : la mère de toutes les peurs

Premier film de Jennifer Kent, Mister Babadook tient autant du drame psychologique que de l’épouvante feutrée. Retour sur un film singulier.

Venu d’Australie et couvert de prix à sa sortie, Mister Babadook est le premier long-métrage de l’actrice Jennifer Kent, qui sans révolutionner le genre fantastique, a choisi une approche assez singulière pour se démarquer. Le film prend plus volontiers la forme d’un drame psychologique intimiste, qui s’échine au fil des minutes à instiller le malaise dans l’esprit du spectateur, plutôt qu’à le faire bondir toutes les dix minutes de son siège. On est loin, ici, d’un film de fantômes façon The Conjuring.

Si le long-métrage paraît familier, c’est dans l’installation d’un rapport complexe entre une mère fragile et son enfant hyperactif et irascible, qui évoque des œuvres comme We need to talk about Kevin. Amelia (Essie Davis, vue dans Matrix Reloaded et Australia) ne peut mettre de côté la mort brutale de son mari dans un accident de voiture, le jour même où elle mettait son fils Samuel au monde. De manière inconsciente, elle projette ses angoisses et ses frustrations (affectives, professionnelles, voire sexuelles) sur cet enfant à la fois aimant et incontrôlable, dont le franc-parler et l’agressivité lui interdisent toute vie sociale. Leur vie bascule lorsqu’elle lui lit un soir un livre pop-up intitulé « Mister Babadook » : un ouvrage bizarre parlant d’une force obscure qui viendrait semer la mort dans leur famille. Samuel est persuadé de l’existence de cet esprit malfaisant et adopte un comportement encore plus irrationnel. Amelia finit par flancher nerveusement, et voit, elle aussi, le Babadook ramper au plafond… A-t-elle basculé dans la folie ?

Les spectres du passé

Mister Babadook : la mère de toutes les peurs

À cette question, centrale, Jennifer Kent tente intelligemment de ne pas apporter de réponse simple, préférant faire voyager ces deux personnages et son public dans une zone incertaine où les frontières entre raison, rêves, hallucinations et cauchemars deviennent de plus en plus floues, grâce à l’utilisation d’ellipses visuelles récurrentes brouillant  la temporalité du récit. La réalisatrice déclare que l’une de ses influences reste David Lynch. Et si Mister Babadook respire l’amour du cinéma (les fantômes de Méliès et de Mario Bava sont liés à l’intrigue principale, le Babadook lui-même évoque autant un cousin ramoneur de Freddy Krueger que le Candyman de Clive Barker), cette référence est une clé précieuse pour comprendre le va-et-vient opaque orchestré par la réalisatrice. Son quasi huis-clos ne passionne pas tant par la gestion de ses scènes de pure terreur – plus ou moins efficaces, mais surtout très rares – que par la superposition constante de scènes ouvertes à l’interprétation.

« Ses singularités et sa cohérence artistique font de Mister Babadook une œuvre unique, à la fois drame tortueux et film d’épouvante feutré. »

Qu’advient-il par exemple du collègue d’Amelia (qui travaille comme aide-soignante dans la plus dépressive des maisons de retraite imaginables), soupirant évincé de l’intrigue par un simple mais brutal contre-champ ? Si cette femme accablée par la peur de n’être pas une bonne mère se met à halluciner une invasion de cafards, n’a-t-elle pas aussi, par un effet d’auto persuasion conjugué au manque de sommeil, halluciné l’apparition de ce terrible Babadook ? Et est-ce un hasard si Samuel, qui a le don d’imaginer des stratagèmes pour piéger son croquemitaine (façon Maman j’ai raté l’avion !) est autant passionné par la magie ?

Entre trauma et deuil impossible

Mister Babadook : la mère de toutes les peurs

Les zones d’ombre dans Mister Babadook se révèlent moins littérales que narratives, le scénario ne levant jamais le voile sur l’identité réelle de ce monstre de papier aux contours indistincts, ou sur la profondeur des névroses d’Amelia, tour à tour attachante et pathétique, nerveuse et apathique. Tout au plus est-on sûr que l’histoire agit comme une métaphore d’un deuil impossible, et un passage obligé des ténèbres à la lumière d’une femme ayant du mal à embrasser sa maternité. Il y a dans ce récit une dimension profondément intime, destinée à rester elle aussi cloîtrée dans les recoins d’une cave…

Si elle semble à l’aise pour construire, pièce par pièce, cette histoire de famille sans pour autant embrasser pleinement la dimension fantastique de son récit (le fameux livre pop-up est sous-exploité, et les apparitions du défunt mari d’Amelia se révèlent maladroites), Jennifer Kent s’impose aussi, quelques années avant le choc The Nightingale, comme une efficace directrice d’acteurs. Amie de longue date d’Essie Davis, elle lui offre de multiples opportunités de montrer sa palette d’actrice : sa prestation relève de la démonstration de force, dans un registre psycho-possédé pourtant difficile à tenir sans tomber dans le cabotinage sordide. De même, le jeune Noah Wiseman hérite d’un rôle encore plus casse-gueule de gamin tête à claques et criard, qui doit se montrer caustique, apeuré, sûr de lui, apaisé ou insupportable, dans des scènes qui n’ont rien de tendre – et n’auraient jamais passé le stade du scénario de l’autre côté de l’Atlantique.

Ces singularités et cette cohérence artistique font de Mister Babadook une œuvre unique, à la fois drame tortueux et film d’épouvante feutré, qui mérite sa réputation de petit classique des Antipodes. Dommage que d’une certaine manière, le premier aspect soit plus abouti et original que le deuxième.