Son œuvre picturale et cinématographique est célébrée depuis des années dans tous les musées du monde, suite à une exposition triomphale au MoMa de New York. Un culte ardent lui est voué par des fans qui continuent un créateur de formes à l’imaginaire unique, une marque déposée « burtonienne ». Pourtant, impossible de ne pas sentir que dans sa dernière partie de carrière, Tim Burton s’est mis à bégayer plus qu’à inventer, les meilleurs éléments de ses films étant finalement des redites de ses plus grands chefs d’œuvre. Surtout, le génie de Burbank semblait s’être embourgeoisé, vendant sans complexe son âme à Disney, le studio même qui l’avait viré avec fracas au tout début de sa carrière. Le fond du trou a sans doute été atteint avec Dark Shadows, ersatz involontaire de La famille Addams phagocyté par un humour de maternelle et un casting en roue libre. Au moment du sympathique mais très familier Frankenweenie, Burton avait déclaré essayer « de ne pas me projeter trop dans l’avenir. Je n’ai pas de projet spécifique que je sente indispensable au point de m’y mettre tout de suite ».
Un nouveau regard sur la création
Et de fait, le réalisateur, qui a récemment fêté ses 56 ans, revient derrière la caméra avec un scénario qui n’a rien de personnel, puisqu’on le doit à Scott Alexander et Larry Karaszewski, les auteurs de Man on the moon. Et là encore, c’est un biopic d’artiste, un peu plus original et excentrique que la moyenne. Big Eyes raconte ainsi l’histoire de Margaret Keane, artiste peintre dont les toiles rencontrèrent un immense succès dans les années 50 et 60. Ses œuvres, des portraits de femmes ou de jeunes filles tristes caractérisées par leurs immenses yeux, sont rentrées rapidement dans la culture populaire, au point de la rendre riche, elle et son mari Walter Keane. Seulement, l’époque n’étant pas encore au féminisme, les peintures étaient vendues sous le nom de ce dernier, qui finit par s’en attribuer la paternité. Les Keane finirent par aller en justice pour régler leur différent (et divorcer par la même occasion), et Margaret, qui devint par la suite témoin de Jéhovah, ne put signer ses œuvres de son nom avant 1986.
Si Burton n’est pas l’auteur du script de Big Eyes, il est de notoriété publique que le réalisateur est un fan et grand collectionneur de l’œuvre de Keane, qu’il avait même approché dans les années 90 pour des commandes de peintures. En voyant la prometteuse première bande-annonce du film, prévu pour une sortie à Noël aux USA et en France (pile-poil pour la saison des Oscars), il apparaît que le thème de l’artiste à succès souhaitant revendiquer la paternité d’une œuvre très intime, sans pour autant savoir si cette reconnaissance serait synonyme de bonheur, touche particulièrement Burton, qui est après tout un dessinateur avant toute chose. Big Eyes, dont la facture, soignée mais d’apparence très traditionnelle (à part quelques séquences d’hallucinations où Margaret voit des grands yeux partout), s’apparente surtout à une sorte de pari pour le cinéaste, qui s’éloigne pour la première fois depuis longtemps des encombrant Johnny Depp et Helena Bonham Carter, ainsi que du genre fantastique. Son seul biopic jusqu’à présent reste Ed Wood, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le personnage intéressait sans doute autant Burton que l’univers cinéphilique qu’il décrivait avec une tendresse infinie. Big Eyes, avec son couple d’acteurs oscarisables (Christoph Waltz et Amy Adams), son patronnage par les frères Weinstein, son petit budget garantissant une vraie liberté de ton, pourrait paradoxalement s’avérer plus académique mais tout aussi intéressant pour la carrière du créateur d’Edward aux mains d’argent.