En 2010, le violent et pas très folichon Bedevilled, premier film d’un ancien assistant de Kim Ki-Duk (Pieta), décrivait sans détourner le regard un microcosme rural à la fois archaïque et révoltant, où régnait machisme et sectarisme. Un miroir peu reluisant tendu à la société sud-coréenne, toujours travaillée par ses paradoxes et les fantômes de la dictature militaire. S’il n’emprunte pas du tout les mêmes sentiers du film de genre à tendance horrifique, A girl at my door, remarqué au Festival de Cannes (c’était dans la sélection Un certain regard), jette lui aussi un œil loin d’être flatteur sur les tréfonds de la campagne locale, qui n’a parfois rien à envier aux territoires rednecks traversés par le cinéma américain.

July Jung, qui en est comme beaucoup de réalisateurs du cru à son premier film, choisit à son tour de mettre en avant des personnages féminins complexes confrontés aux préjugés et à la brutalité d’une communauté. La différence, le rejet qu’elle provoque, le lien qu’elle crée imperceptiblement entre ceux qui en souffrent, est au cœur des thématiques abordées par ce premier essai incroyablement accompli.

Portraits de femmes

A girl at my door : une amitié pas comme les autres (FFCP 2014)

Dès ses premières images baignées de lumière, A girl at my door nous emmène dans un coin de campagne idyllique, avec des ruelles sinueuses débouchant sur la mer d’un côté et ses champs fleuris de l’autre. Le sergent Young-Nam (l’excellente Doona Bae, bien connue chez nous pour ses rôles dans Cloud Atlas, The Host ou Sympathy for Mr Vengeance) n’a toutefois aucune illusion sur l’endroit dans lequel elle a débarqué : mutée de force, elle « purge » sa peine dans un village endormi qui ne vit que maigrement de la pêche. Peu de choses à faire sur place, hormis protéger la jeune Doo-Hee, adolescente régulièrement tabassée à la fois par ses camarades et par sa famille, constituée d’un beau-père alcoolique et d’une grand-mère hystérique. Par devoir, Young-Nam décide de mettre la jeune fille en sécurité chez elle. Ce qui, en raison d’un passé qui ne va pas tarder à frapper à sa porte, va déclencher une série d’événements qui vont les pousser toutes les deux dans leurs retranchements…

[quote_center] »A girl at my door se présente comme une véritable découverte, très élaborée dans ses partis-pris de mise en scène. »[/quote_center]

Abus sur les enfants, alcoolisme, exploitation, homosexualité réprimée… La diversité et la gravité des sujets abordés par July Jung font indéniablement d’A girl at my door un drame sérieux, qui pourtant ne pénètre pas une seule seconde le champ du misérabilisme. Un bon exemple de cette approche réside dans la manière dont la réalisatrice aborde le thème de l’homosexualité féminine, une « pratique » taboue et peu tolérée en Corée du Sud (pour donner un ordre d’idée, les collègues de Young-Nam dans le film en sont rendus à assimiler l’homosexualité, tout comme l’avait fait Poutine, à la pédophilie). Bien qu’il s’agisse d’un élément clé de la personnalité de son héroïne, obligée de choisir une vie solitaire, ascétique et en retrait, ce versant de sa vie privée est dévoilé dans une séquence banale, par petites touches de dialogues qui laissent le spectateur recoller les morceaux d’une vie brisée. A girl at my door contient certes quelques éléments « sensationnalistes », notamment dans sa description d’une enfant à la fois désarmée, vivace, mais influençable, autour de laquelle planent les principaux mystères du film. Mais tout comme le travail de policier de Young-Nam est utilisé comme symbole d’une société masculinisée à outrance, ces éléments assez glauques sont là pour accélérer la naissance d’une amitié pas comme les autres.

La marque d’un auteur… ou de deux

A girl at my door : une amitié pas comme les autres (FFCP 2014)

Malgré quelques pistes secondaires un peu mal exploitées, comme l’histoire de ces immigrants illégaux exploités dans les bateaux de pêche (un thème inclus au chausse-pied, mais qui se justifie en partie lors d’un beau et révélateur échange de regards), et une tendance à la répétition – les fameuses bouteilles d’eau de Young-Nam sont avalées d’une traite une fois toutes les cinq minutes, en moyenne -, A girl at my door se présente comme une véritable découverte, très élaborée dans ses partis-pris de mise en scène. La façon dont Young-Nam et Doo-Hee évoluent et se rapprochent ou s’opposent dans le cadre, entre autres, est exemplaire.

Tout comme l’humour, utilisé à bon escient (en gros pour moquer la rigidité, voire la beaufitude, des habitants du village), la justesse de ton est à souligner, et on peut imaginer quelle influence a exercé Lee Chang-Dong, cinéaste culte auteur d’Oasis et Secret Sunshine, anciennement professeur et ici producteur de July Jung, dans la construction du film, qui porte la marque de ce spécialiste des mélos délicats et sophistiqués interrogeant les éternels paradoxes de son pays. Comme dans ses films, A girl at my door échappe en effet à l’écueil de la sur-dramatisation et à l’excès de cabotinage qui parasite souvent les productions coréennes. Le résultat n’est en rien un brûlot sociétal ou un film à charge, même si l’appareil juridique local est nettement tourné en dérision : c’est une histoire terrible et touchante à la fois, qui possède un aspect universel pouvant trouver une résonance bien au-delà de ses frontières.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatresurcinq
A girl at my door
De July Jung
2014 / Corée du Sud / 119 minutes
Avec Doona Bae, Jang Hie-jin, Kim Sae-ron
Sortie le 5 novembre 2014
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